28. November 2025 - 6.46 Uhr
En concert à la KulturfabrikÀ 19 ans la luxembourgeoise Emily Grogan offre déjà une belle collection de morceaux indie
Il y a des trajectoires discrètes qu’on entend résonner comme un écho qui prend son temps. Emily Grogan est de celles-là. Elle est née au Luxembourg, en 2006, l’année où Amy Winehouse grave „Back to Black“ dans la mémoire collective et où Cat Power sort „The Greatest“ pendant que les Arctic Monkeys, alors jeune groupe indie classic rock, cartonnent avec „Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not“. C’est la bande-son d’un monde alors vintage et connecté qui l’accueille alors qu’elle n’a encore rien dit, mais déjà, elle écoute.
Screaming Fields Song Contest
L’environnement est propice: dans la maison Grogan, la musique est une autre langue, dans un pays polyglotte. Sa sœur Lara est musicienne et chanteuse, elle aussi; leur père les encourage à jouer, de la musique bien sûr. Et Emily, toute jeune, déjà au piano, passe par le classique avant de dévier vers l’écriture. À 9 ans, elle compose sa première chanson. Sa voix sourit: „J’ai aimé écrire si jeune… Alors j’ai continué“. C’est comme une page d’ouverture de journal intime griffonnée. À 11 ans, elle découvre le Screaming Fields Song Contest, elle est trop jeune pour y participer, mais le désir est là, prêt à germer. Ce sera pour plus tard.
Quand on est ado, il y a surcharge d’émotions, et le songwriting, c’est un moyen idéal de les communiquer
Entre-temps, elle s’exerce, elle se façonne, joue avec des amis dans un groupe, donne même quelques concerts. À 15 ans, pendant le confinement, elle s’inscrit enfin. „Je me suis remise à faire du songwriting“, dit-elle, comme si l’élan avait juste été mis en pause. Le résultat est une bonne nouvelle: elle remporte le concours en 2021. Le contexte est figé, mais justement impeccable pour la création; s’il y a le manque d’espace, le confinement a en contrepartie permis de prendre le temps. Alors elle explore, elle écoute en boucle Radiohead, elle entre dans les mélodies plaintives de Thom Yorke, la mélancolie est féconde, ses compositions sont pleines de gravité douce et c’est bien naturel pour elle qui a „toujours aimé la musique triste“.
Introspection et perspectives
Depuis un an, Emily affine son projet sous son propre nom. Elle a délaissé le groupe d’ado et les concerts entre potes; elle écrit, compose, joue, chante. Multi-instrumentiste, elle passe de la guitare électrique au piano, manipule la basse, suit de près la direction artistique de son clip „The Other Side“, pas par contrôle obsessionnel, non, par curiosité, par goût du geste complet: „Ce n’est pas que je veuille tout gérer, mais ça m’intéresse de comprendre comment ça fonctionne.“ Elle donne des indications aux musiciens, discute des arrangements, imagine les visuels; voilà une façon d’injecter de l’âme par-delà l’introspection. „Quand on est ado, il y a surcharge d’émotions, et le songwriting, c’est un moyen idéal de les communiquer“, dit-elle, mais elle sent bien que l’écriture peut aller au-delà de l’intime, du journal. Elle commence à chercher des angles neufs: „Maintenant, je vais essayer d’aborder d’autres thèmes. Être plus métaphorique.“ Il y a cette envie de décaler le regard, de quitter le strict „je“, sans devenir quelqu’un d’autre.
Pink Floyd et Nirvana

Sur les réseaux, ses goûts musicaux sont dévoilés: affiches de Phoebe Bridgers ou Pink Floyd, elle cite aussi Nirvana, sa guitare gratte „Alison“ de Slowdive, son oreille est attirée par les textures de shoegaze: „La touche de ce genre me parle, c’est là encore mélancolique; chez Phoebe Bridgers, j’admire les mots simples.“ Mais Emily Grogan n’est pas confinée dans un romantisme musical d’un autre temps, elle n’est pas une réactionnaire pop; elle aime quand la modernité rime avec efficacité: „La formule qui fonctionne, ça a aussi du charme.“ Il y a peut-être une forme de décalage générationnel, mais il n’est pas frontal; autour d’elle, beaucoup écoutent du rap, apparemment surtout français, elle ne s’y oppose pas, c’est juste qu’elle se place ailleurs: „Quand je parle avec quelqu’un de mon âge qui ne fait pas de musique, ce n’est pas forcément ce que j’écoute. Mais j’aime aussi la pop de maintenant au sens large.“
Dans une époque où la musique est partout, quoique paradoxalement souvent en arrière-plan (streamée et zappée), Emily garde un attachement pour le support physique. Ce qu’on possède vraiment. „J’ai un lecteur CD, j’écoute des disques… Même si je n’ai pas de platine vinyle, j’apprécie l’objet, ce n’est pas pareil que de s’écouter de la musique sur son portable. Je lis même des magazines de musique!“ Et puis il y a le live pendant lequel sa voix varie, elle s’adapte, elle se tend, elle se relâche; les musiciens qui l’accompagnent la soutiennent sans lisser. Surprise, Emily ne joue pas de reprises, elle a de quoi tenir la scène avec ses propres chansons. Elle a même de quoi sortir un LP. Juste à temps pour fêter ses 20 ans?
De Maart
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