L’histoire du temps présent„Avec la jeunesse, nous gagnerons l’avenir“

L’histoire du temps présent / „Avec la jeunesse, nous gagnerons l’avenir“
Les nazis en 1941 devant la synagogue à Luxembourg Photo: Bundesarchiv

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Il y a précisément 80 ans, le Gauleiter Gustav Simon a en grande partie accompli la mission que lui a confiée Hitler de ramener le Luxembourg Heim ins Reich. Au cours des mois de mars et d’avril 1941, le représentant de l’Etat totalitaire nazi entame alors le chantier le plus important et le plus déterminant de son mandat: la conquête de la jeunesse luxembourgeoise.

Au début de l’année 1941, le bilan du Chef de l’administration civile allemande au Luxembourg, le Gauleiter Gustav Simon, pouvait se targuer d’avoir en grande partie réalisé le rattachement au Reich de l’ancien Grand-Duché. Il avait abrogé ses institutions démocratiques, placé son appareil d’Etat sous son contrôle, supprimé ou mis au pas ses associations, syndicats et partis politiques, introduit l’essentiel de la législation du Troisième Reich par une série d’ordonnances.

Tout cela était indispensable mais pas suffisant. La mission du Gauleiter n’était pas uniquement de s’emparer du territoire mais d’annexer les esprits, germaniser la population et la convaincre des bienfaits de l’Etat national-socialiste. Pour cela, il pouvait compter sur la seule organisation politique luxembourgeoise encore autorisée, le parti pronazi Volksdeutsche Bewegung (VdB) qui, réorganisée sur le modèle du NSDAP, enserrait la société dans un réseau de plus en plus dense de sections locales.

„Mit der Jugend gewinnen wir die Zukunft“

Les nazis en poste au Luxembourg étaient toutefois persuadés que la majorité de ces adhérents qui avaient rejoint la VdB en nombres impressionnants n’avaient pas agi par conviction mais par opportunisme. Intérieurement, ils restaient incorrigiblement attachés au monde d’avant. L’humanisme stérile, la haine fratricide de l’Allemagne, le séparatisme petit-bourgeois que les Juifs, les Français et les curés leur avaient inculqué pendant des décennies avaient trop profondément pénétré leurs esprits – tel était le constat que dressait régulièrement le Sicherheitsdienst dans ses rapports.

La jeunesse, en revanche, était une page blanche. L’éduquer dans le national-socialisme était à moyen terme le moyen le plus sûr et efficace de fondre la société luxembourgeoise dans la Volksgemeinschaft. C’est d’ailleurs ce que Damien Kratzenberg, chef nominal de la VdB mais aussi professeur de grec et d’allemand, écrivit de but en blanc aux cadres dirigeants de son parti dans une circulaire du 22 mars 1941:

„Mit der Jugend gewinnen wir die Zukunft. Gewinnen wir sie, dann zerschlagen wir die letzten Hoffnungen unserer Gegner. Nichts beweist ihnen so unzweideutig und so unwiderleglich, dass ihre Sache verloren ist, wie die singend, stolz und glücklich durch die Strassen ziehenden Jungen und Mädchen der Volksjugend. Wer sich durch seine Namenunterschrift auf die Losung ‚Heim ins Reich’ festlegt, der übernimmt dadurch die Verpflichtung, auch seine Kinder in diesem Geiste zu erziehen bezw. erziehen zu lassen. Wer sich dieser Verpflichtung entzieht, muss sich darauf gefasst halten, dass sein Bekenntnis zu Grossdeutschland als erheuchelt angesehen wird.“

La mise au pas de la jeunesse

Dès le 31 janvier 1941, le Gauleiter avait décrété par ordonnance que seul les membres de la Luxemburger Volksjugend (LVJ), l’organisation de jeunesse de la VdB et l’équivalent luxembourgeois des Jeunesses hitlériennes, seraient autorisés à se présenter à l’examen de fin d’études secondaires. Le mois suivant, une autre ordonnance faisait de l’appartenance à la LVJ une condition indispensable pour obtenir un contrat d’apprentissage dans les domaines du commerce, de l’artisanat et de la fonction publique. Un pas supplémentaire fut franchi à la rentrée suivante, lorsque l’adhésion à une organisation de jeunesse nazie fut exigée pour pouvoir s’inscrire dans une école.

Le personnel enseignant fut lui aussi soumis à une pression accrue de la part du régime. En mars 1941, les enseignantes et enseignants qui n’avaient encore adhéré à aucune organisation nazie furent menacés de renvoi ou de mutation forcée en Allemagne. Au même moment, des Allemands furent placés à la tête des écoles. Le 20 avril 1941, le Gauleiter fit par ailleurs savoir que les fonctionnaires dont les enfants n’avaient pas adhéré à la LVJ devaient être limogés.

La décision la plus lourde prise dans ce contexte fut toutefois l’introduction du Reichsarbeitsdienst (RAD), le 20 avril 1940. Ce service du travail obligatoire avait d’abord été mis en place en Allemagne par le pouvoir nazi pour contourner l’interdiction de la conscription imposée par le traité de Versailles. Au Luxembourg, ce service militaire de substitution fut, dans un premier temps, ouvert aux seuls volontaires.

Le jeune hitlérien R

Le message essentiel que le régime nazi voulait transmettre aux jeunes luxembourgeois était que rien ne les condamnait plus à une existence étriquée dans un pays minuscule, puisqu’ils étaient désormais voués à prendre part à une révolution historique colossale, en tant que représentants de la „race des seigneurs“. Dans certains cas, cet endoctrinement porta ses fruits.

Certains enfants ou adolescents firent ce que le régime nazi attendait d’eux. Plus authentiquement acquis à ce dernier que ne l’étaient leurs parents, ils estimaient qu’il était de leur devoir de scruter leur attitude, quitte à dénoncer père et mère si nécessaire. Le diplomate luxembourgeois Antoine Funck, alors en poste à Vichy, fit état d’un tel cas dans un rapport envoyé au gouvernement en exil:

„M. R, régent de la classe des apprentis à l’institut Émile Metz à Dommeldange […] a adhéré à la V.D.B., et son fils unique, partisan acharné de la jeunesse hitlérienne, a dénoncé même ses camarades à la Gestapo. Un jour, M. R fut cité par celle-ci et on lui fit entendre qu’il ne pourrait pas garder son emploi. M. R se récria et fit valoir qu’il était rallié au parti. L’agent de la Gestapo objecta: ‚Il semble pourtant qu’au sein de votre famille vous vous prononcez contre le parti.’ M. R blêmit et comprit qu’il avait été dénoncé par son propre fils. ‚Qu’est-ce que ma femme en dira?’ dit-il, les larmes aux yeux.“

Le prix de la soumission

Ce cas extrême était loin d’être la norme. L’offensive nazie sur la jeunesse contribua plutôt à la dégradation de l’opinion, palpable dans cette première moitié de l’année 1941. L’été précédent, la grande majorité de la population s’était résignée à l’annexion à l’Allemagne parce que cette dernière semblait avoir gagné la guerre. Mais près d’un an après le début des combats à l’Ouest, l’Angleterre était loin d’être vaincue, les combats n’avaient pas cessé et la résignation à se soumettre était donc moins évidente. Une autre anecdote narrée par Funck en donne une illustration:

„A Luxembourg […], rue Bernard Haal, des membres de la VdB firent irruption dans les maisons et invitèrent les habitants à arborer le drapeau à croix gammée pour fêter l’anniversaire du Führer. Une couturière, Madame Gales, de Schwebsange, sortit dans la rue et lança aux partisans nazis: ‚Gewant emol fir d’e’scht de Krich, an dann kommt der erëm.’“

Le prix de la soumission semblait d’autant plus élevé maintenant que la victoire allemande n’était plus aussi certaine. Beaucoup de Luxembourgeois commencèrent aussi à se demander si leurs enfants n’auraient pas à le payer de leur vie. Si le conflit venait à s’éterniser, ne seraient-ils pas eux aussi appelés sous les drapeaux par ce régime qui les considérait comme des Allemands? L’angoisse monta d’un cran le 23 mai 1941 quand, à peine trois mois après son introduction au Luxembourg, le RAD devint obligatoire.