L’histoire du temps présentLe refus de la collaboration

L’histoire du temps présent / Le refus de la collaboration
L’article en première page de l’„Obermosel-Zeitung“ du 1er septembre 1940 Quelle: Nationalbibliothek

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Il y a de cela 80 ans, paraissait l’appel „Heim ins Reich“. Signé par 32 personnalités luxembourgeoises, ce texte appelait la population à soutenir pleinement le rattachement du Grand-Duché au Troisième Reich. L’occupant n’exigeait donc pas seulement des Luxembourgeois qu’ils collaborent, ce à quoi leurs élites s’étaient dans l’ensemble résignées. Il leur demandait de prononcer eux-mêmes l’arrêt de mort de leur pays.

Le 31 août 1940, respectivement le 1er septembre, selon les titres, les Luxembourgeois découvrirent cet appel dans leurs journaux: „Männer und Frauen Luxemburgs! Es ist eine schicksalsschwere und die Zukunft unserer Heimat auf immerdar bestimmende Stunde, in der wir Luxemburger an Euch herantreten. Der Luxemburger fühlt deutsch. Er ist Deutscher nach seiner ganzen Wesensart, nach Geschichte, nach Abstammung, Sprache und dem Raum, in den er hineingeboren ist. Auch seine lebenswichtigen Interessen weisen nach Deutschland. Darum wird und muss er den Weg nach dem Reich aller Deutschen gehen.“

L’auteur de ce texte était Damien Kratzenberg, le chef de la Volksdeutsche Bewegung (VdB). Ce parti avait été fondé à la mi-juillet par des partisans luxembourgeois du Troisième Reich. Quelques semaines plus tard, il s’était mis au service du Gauleiter Gustav Simon, auquel Hitler venait de confier la mission de nazifier et de germaniser le Grand-Duché – le ramener „Heim ins Reich“, comme le rappelait cet appel qui, en conclusion, plaçait ses habitants face à ce choix qui n’en était pas vraiment un: „Entweder findet der Luxemburger als ebenbürtiger und vollberechtigter Volksgenosse heim ins Reich […] Oder aber er lässt sich in die neue Ordnung der Dinge hineintreiben als Bürger zweiten Ranges. Dann wird über seinen Kopf hinweg dekretiert, dann verzehrt er seine beste Kraft in unfruchtbarer Opposition mit Nörgeln und Hadern. Luxemburger Landsleute! Welche Wahl wollt Ihr treffen? Wollt Ihr ohne Vorbehalt und erhobenen Hauptes, ehrlich und loyal Euch freiwillig zu Deutschland bekennen und an der neuen Ordnung der Dinge mitarbeiten, oder wollt Ihr abseits von diesem großen Geschehen verharren?“

Le choix des signataires

Si l’opinion fut frappée par la brutalité avec laquelle l’appel „Heim ins Reich“ annonçait les changements à venir, elle le fut tout autant par la liste des 32 signataires, tous Luxembourgeois. Un bon tiers d’entre eux étaient des personnalités connues pour leur engagement pro-allemand, comme Roger Cresto, Charles Houdremont ou Jakob Lichtfuss. D’autres noms étaient moins attendus, celui du chef de la police, Michel Weis, par exemple, ou bien celui de René Deltgen, l’acteur luxembourgeois le plus connu de sa génération qui, il est vrai, avait fait l’essentiel de sa carrière en Allemagne.

Les autres signataires étaient pour la plupart des représentants des chambres professionnelles, comme le président de la Chambre des artisans Jean Witry, celui de la Chambre des employés privés, Alex Werné ou bien le syndic de la Chambre de commerce, Paul Weber. Le Gauleiter et son entourage avaient délibérément choisi de mettre en avant l’élite corporatiste pour faire comprendre à la population qu’ils la considéraient désormais comme la seule représentante légitime de ses intérêts.

L’élite politique avait trahi les Luxembourgeois, martelait la propagande nazie depuis des semaines. La Grande-Duchesse et le gouvernement avaient abandonné le pays, après l’avoir vendu pendant des décennies aux Français et aux Juifs, clamaient les occupants et leurs alliés de la VdB. Quant à la Commission administrative, ce gouvernement de fait créé par la Chambre des députés et le Conseil d’Etat pour traiter avec les Allemands, elle avait commis un crime impardonnable aux yeux du Gauleiter. Elle avait offert sa collaboration à Berlin.

L’acceptation de l’ordre nouveau

Depuis la fin du mois de juin 1940 et la victoire, apparemment totale des Allemands sur les Français et les Britanniques, la Commission administrative cherchait désespérément à entrer en contact avec les dirigeants du Reich. Son but était d’entamer des pourparlers afin de préserver l’indépendance du pays dans une Europe sous domination allemande.

La nomination du Gauleiter Simon à la tête de l’administration civile allemande au Luxembourg indiquait clairement que les Allemands ne souhaitaient pas négocier mais absorber purement et simplement leur petit voisin. Pourtant les membres de la Commission administrative n’avaient pas baissé les bras et décidé de tenter le tout pour le tout en court-circuitant le Gauleiter et en s’adressant directement à Hitler.

Début août 1940, ils avaient rédigé un télégramme à l’adresse du Führer, dans lequel ils assuraient ce dernier de la volonté unanime des Luxembourgeois d’accepter l’ordre nouveau. Tout ce qu’ils demandaient étaient des garanties pour la souveraineté du Grand-Duché. Ce télégramme devait être accompagné d’une pétition, signée par les principales les plus influentes du pays. Le Gauleiter avait eut vent de la manœuvre et, furieux, ordonné une perquisition qui lui avait permis de saisir ces documents.

Qui n’est pas avec les nazis est contre eux

L’idée de publier un appel de personnalités luxembourgeoises réclamant l’annexion de leur pays au Troisième Reich était donc une réponse directe à l’initiative de la Commission administrative. Une liste de signataires fut concoctée, ceux dont les noms y figuraient furent convoqués au siège de la VdB, dans la matinée du 17 août 1940. Ils y furent notamment accueillis par Kratzenberg, et par le Kreisleiter Müller, un proche collaborateur du Gauleiter.

Ce qui se passa ensuite a été raconté, après la guerre, dans le cadre de l’épuration, par plusieurs des participants. Müller se serait montré brutal et cassant. Il aurait fait savoir aux hommes qu’il avait réunis qu’ils avaient tout intérêt à signer le texte qu’on allait leur soumettre et leur avait finalement asséné que le Gauleiter considérait que tous ceux qui n’étaient pas avec lui étaient contre lui. Il leur avait ensuite laissé deux jours pour réfléchir. Réunis de nouveau au siège de la VdB, le 19 août, ils prirent connaissance du texte de Kratzenberg et finirent par le signer.

Les signataires entendus après la guerre se justifièrent en expliquant que les hommes politiques dont ils avaient sollicité l’avis s’étaient tous montrés évasifs – à l’exception notable de l’abbé Origer, qui les avait encouragés à ne pas céder. Leurs proches les avaient également convaincus que signer l’appel était un moindre mal. Alex Werné rapporta ainsi que des collègues lui auraient tenu le discours suivant: „Si tu refuses de souscrire, les biens de ta famille seront confisqués et tu prendras le chemin emprunté par tous ceux qui ont opposé une résistance; les étapes connues sont la prison et le camp de concentration; dès lors nul n’osera plus faire une objection et les employés se plieront aux exigences de l’envahisseur. Alors que si tu restes on pourra ensemble – puisque tous ont gardé leur confiance en toi – organiser une résistance sournoise, une opposition tenace.“

Une union étroite avec le Reich

S’il est évident que la marge de manœuvre des signataires était extrêmement réduite, un document montre toutefois qu’elle n’était pas nulle et qu’ils ne se sont pas seulement laissés emporter par les événements. Il s’agit d’un mémorandum que Léon Metzeler, un cadre important de l’entreprise sidérurgique Arbed adressa le 7 octobre 1940 à un haut fonctionnaire nazi. Sa lecture permet de comprendre l’état d’esprit des élites luxembourgeoises à ce moment.

„Die Luxemburger haben den Ernst der Lage erkannt und fügen sich den Verordnungen des Chefs der Zivilverwaltung“, écrivait Metzeler: „An ihrem aufrichtigen Verständigungswillen ist nicht zu zweifeln. Einen neuen Beweis desselben gaben kürzlich die um Unterzeichnung des ,Heim ins Reich‘-Dokumentes angegangenen Herren, indem sie sich erboten, folgende schriftliche Erklärung abzugeben: Die Unterzeichneten erklären hiermit, dass sie in der gegenwärtigen Lage Europas das Wohl ihrer engern Heimat in einem engen, wirtschaftlichen und kulturellen Zusammenhang mit dem Grossdeutschen Reich sehen und dass sie bereit sind, in loyaler Zusammenarbeit mit den deutschen Behörden dieses Ziel verwirklichen zu helfen.“

Les signataires de l’appel „Heim ins Reich“ avaient donc proposé une déclaration alternative aux Allemands. Ce à quoi ils s’y engageaient aurait dû suffire, estimait Metzeler: „Kein Patriot kann mehr geben. Seinem Vaterland unter allen Umständen die Treue wahren, ist zwingendes Gebot der Selbstachtung und der Selbsterhaltung. Es ist also klar, dass die Luxemburger Staatsbürger zu der in der Form des international ausstrahlenden Staatsaktes zu vollziehenden eventuellen Annexion ihres Landes die Initiative nicht ergreifen, noch derselben im Voraus zustimmen können.“

Pas de Vichy à la luxembourgeoise

A la fin de l’été 1940, les élites luxembourgeoises étaient prêtes à s’adapter à l’ordre nouveau, prêtes aussi à engager le Grand-Duché dans une union étroite avec le Troisième Reich. Elles souhaitaient toutefois être associées au processus, conserver une certaine marge de manœuvre pour elles et leur pays, et surtout elles rechignaient à signer l’arrêt de mort de ce dernier, surtout en l’absence d’un traité de paix. Bref, elles auraient préféré un Vichy à la luxembourgeoise, un Etat aligné sur l’Allemagne nazie mais conservant un semblant de souveraineté.

Or cela était précisément ce que rejetaient le Troisième Reich et son représentant au Luxembourg, le Gauleiter Simon. Pour les nazis, les Luxembourgeois étaient de race allemande, leur place était au sein du Reich. Il valait donc mieux qu’ils l’acceptent, qu’ils embrassent pleinement ce destin qui, après tout, faisait d’eux des ressortissants de la puissance hégémonique en Europe, des membres de la race des seigneurs. Telle était le message explicite de l’appel „Heim ins Reich“. Le message implicite était que la collaboration était impossible. Ce ne sont pas les Luxembourgeois qui la refusèrent mais les Allemands.

J.C.Kemp
21. September 2020 - 14.45

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