FranceMacron veut reprendre la direction des affaires – et prend un bien grand risque 

France / Macron veut reprendre la direction des affaires – et prend un bien grand risque 
Jean Castex (d.), haut-fonctionnaire sarkoziste, remplace Edouard Philippe à Matignon Photo: AFP/Ludovic Marin

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En nommant à Matignon Jean Castex, un haut fonctionnaire inconnu du grand public, Emmanuel Macron semble avoir choisi un exécutant au faible poids politique qui lui permet d’avoir les coudées franches en vue de la présidentielle de 2022. Mais pour nombre d’observateurs, y compris chez ses propres amis, c’est exactement ce qu’on appelle jouer avec le feu.

Le premier ministre français, Edouard Philippe, a présenté hier sa démission au président Macron, qui l’a acceptée et a nommé peu après pour le remplacer un haut fonctionnaire de 55 ans, M. Jean Castex, qui avait notamment été secrétaire général adjoint de l’Elysée durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, puis nommé „M. Déconfinement“ auprès du ministre de la Santé, lorsqu’il s’est agi de préparer la sortie du confinement imposé par la pandémie de Covid-19.

Le remaniement ministériel, qui était depuis plusieurs semaines déjà dans tous les esprits, allait-il comporter un changement de premier ministre? Une telle éventualité n’allait pas sans risques pour le chef de l’Etat: Edouard Philippe, trois ans après son arrivée à Matignon, pouvait s’enorgueillir d’une cote de confiance personnelle flatteuse, surtout après une succession de crises dont celle du coronavirus n’était pas la moindre. Il avait en outre été brillamment réélu au Havre dimanche dernier.

Mais justement: Emmanuel Macron supportait sans doute de plus en plus mal de voir son premier ministre très nettement plus populaire que lui – un peu comme François Mitterrand s’était débarrassé, en 1991, d’un Michel Rocard à la trop bonne image. En outre, l’hôte de l’Elysée, toujours à la poursuite d’un renouveau personnel susceptible de sauver sa réélection dans deux ans, voulait un visage nouveau pour incarner la dernière phase de son (premier, ou unique?) quinquennat. On imaginait, dans cette perspective, un virage à gauche: gaulliste de tendance juppéiste, Edouard Philippe venait de la droite; tout comme ses ministres de l’Économie et des Finances, des Comptes publics, de la Culture, de la Défense …

La vaine recherche de l’oiseau rare

Manifestement incapable de trouver l’oiseau rare dans les rangs de son propre mouvement, La République en Marche, ni dans ceux de la gauche „Macron-compatible“, si cette dernière existe encore, le président de la République s’est finalement rabattu sur un haut-fonctionnaire. Un homme estimable certes, et qui a été réélu maire de son village pyrénéen dès le premier tour, en mars, mais qui n’a jamais été parlementaire, ni ministre. Et dont le plus haut titre de gloire est d’avoir contribué à faire convenablement fonctionner, il y a une quinzaine d’années, la machinerie élyséenne. On ne saurait donc dire, à ce stade, qu’Emmanuel Macron ait recherché, ou en tout cas trouvé, la formule magique susceptible de restaurer son image passablement dégradée.

Ni sur le plan de la politique politicienne: „Je suis de droite, et je l’assume parfaitement“, expliquait naguère l’intéressé, qui a soutenu la candidature de François Fillon pour la présidence de l’UMP lors du congrès d’automne 2012. Quitte à se ménager ensuite d’utiles appuis dans la sphère macroniste: son nom avait circulé fin 2018 pour le ministère de l’Intérieur, après la démission de Gérard Collomb.

Un sarkoziste succède à un juppéiste, la droite succède à la droite

Ni, non plus, sur le plan du profil professionnel: ancien élève de l’ENA, issu des cabinets ministériels, Jean Castex est l’archétype du technocrate issu du moule énarchique, connaisseur avisé de la mécanique gouvernementale et de la haute administration, mais, pour l’instant, inconnu comme hardi pionnier politique: plutôt ce qu’il est convenu d’appeler, d’ailleurs avec une nuance de respect, un „fidèle serviteur de l’Etat“.

De là à penser qu’il a aussi, voire surtout, été choisi pour être un „fidèle serviteur“ du … chef de l’Etat, il n’y a qu’un pas, que la plupart des commentateurs n’hésitaient pas, hier soir, à franchir. „On n’a plus de premier ministre, on a un collaborateur“ du président, s’agace ainsi le patron des Républicains, Christian Jacob, ajoutant: „On pouvait attendre un virage politique, mais c’est technocratique, avec quelqu’un retenu pour gérer les affaires courantes.“

„Déjà-vu“

Pour Boris Vallaud, porte-parole du PS, „un sarkoziste succède à un juppéiste, la droite succède à la droite“. Même tonalité chez l’eurodéputée mélenchoniste Manon Aubry: „Un homme de droite remplace un homme de droite, pour mener la même politique.“ Et le président de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde, d’estimer que „le président veut gouverner seul et en direct pour préparer la présidentielle, ça ne fait pas réinvention, mais plutôt déjà-vu.“

De fait, et pour autant que l’on en puisse juger dans l’instant, la nomination de Jean Castex à Matignon apparaît comme le signe d’une volonté implacable, chez le président Macron, de reprendre personnellement et directement la gestion des affaires. Et cela d’autant plus qu’il semble convaincu que les Français attendent de lui, pour les deux petites années de pouvoir qu’il lui reste, tout un ensemble de réformes – certaines qu’il avait promises durant la campagne présidentielle de 2017, d’autres qui lui sont venues à l’esprit chemin faisant. La très lourde déconvenue des dernières élections municipales lui aurait suggéré que le salut de ses ambitions politiques passerait par un vaste bouleversement et de grandes innovations.

On ne jurerait pourtant pas que l’état actuel de l’opinion française, qui émerge tout juste d’une épreuve sanitaire majeure et entre dans une crise économique et sociale redoutable, corresponde vraiment à cette vision présidentielle. En se défaisant d’un premier ministre qui avait certes des défauts, mais qui avait, comme on dit, les pieds sur terre, et était populaire – fait rare après plus de trois ans de pouvoir – au profit d’un énarque, même talentueux mais pur produit de la haute administration, et probablement destiné à lui servir de directeur de cabinet que de chef du gouvernement, Emmanuel Macron prend un bien grand risque.

On le dit confiant dans le fait qu’au second tour, en 2022, c’est encore face à Marine Le Pen qu’il sera de toute façon confronté – et donc vainqueur. Mais pour nombre d’observateurs, y compris chez ses propres amis, c’est exactement ce qu’on appelle jouer avec le feu.

titi
4. Juli 2020 - 10.25

Macron, ça passe ou ça casse! Et si Edouard Philippe se présentait également comme candidat aux prochaines élections présidentielles? Affaire à suivre!