C’est un des paradoxes de ce scrutin présidentiel de 2022: défaite dans les urnes comme jamais depuis la Libération, et bien consciente qu’il lui faudra malgré tout se reconstruire entièrement ou presque, la gauche française reprend ces jours-ci un poids électoral dont elle s’était déshabituée. Mais – nuance essentielle – ce n’est pas tant de ses dirigeants qu’ils s’agit en l’occurrence, que de ses électeurs.
Les dirigeants, en effet, ne sauraient afficher un quelconque soutien à la candidate d’extrême droite: ils n’en ont évidemment ni l’envie, quelle que soit leur rejet du président sortant, ni les moyens, sauf à se discréditer dramatiquement et durablement. La plupart d’entre eux ont au demeurant appelé, dès dimanche soir, à faire barrage à Marine Le Pen. Certains en prononçant, fût-ce du bout des lèvres, le nom d’Emmanuel Macron; d’autres en se contentant, comme Jean-Luc Mélenchon (qui avait déjà adopté cette ligne de repli il y a cinq ans), de proclamer leur rejet de la candidate du Rassemblement national.
La tentation des mélenchonistes
Reste, pour leurs électeurs, à déterminer ce qu’ils vont faire le 24 avril. Pour un certain nombre d’entre eux, le devoir est clair: même si le mythique „Front républicain“ contre l’extrême droite semble bien mort et enterré (voir Tageblatt d’hier), ils voteront, le cœur gros de devoir le faire une fois encore, faute de candidat de gauche présent au second tour, pour Emmanuel Macron. Comme ils l’ont déjà fait en 2017, et comme ils l’avaient fait pour Jacques Chirac en 2002, pour faire barrage au père de Marine Le Pen.
D’autres se laisseront certainement tenter par l’abstention ou le vote blanc, refusant, comme le demandait le dirigeant communiste Jacques Duclos en 1969, à propos de l’affrontement entre Georges Pompidou et le très conservateur président du Sénat Alain Poher, de „choisir entre la peste et le choléra“. Une abstention forte aurait en outre l’avantage, à leurs yeux, de faire du vainqueur quel qu’il soit un(e) président(e) mal élu(e).
Mais il se manifeste déjà aussi, au sein de l’électorat de gauche, principalement mélenchoniste, une tendance favorable au vote Le Pen au second tour. Sans doute pour faire la politique du pire, toujours plus porteuse de situations „révolutionnaires“ que les périodes modérées. Mais aussi par l’effet d’une détestation viscérale à l’égard de Macron, dont on ne semble pas toujours avoir pris la vraie mesure à l’Elysée, et dont la virulence des Gilets jaunes, la violence de certaines manifestations, le complotisme qui a tant sévi à propos du Covid, ont été les signes. Le sondage publié hier à ce sujet par la chaîne d’information LCI montre que 24% des électeurs de Mélenchon au premier tour annoncent qu’ils vont voter Le Pen au second.
Les législatives, 3e tour?
Il est vrai qu’il y a déjà eu, ces dernières années, des signes d’une certaine porosité entre les électorats d’extrême gauche et d’extrême droite. Une partie importante des „lepénistes de base“ est très certainement venue des rangs du parti communiste, dont les effectifs se vidaient à vue d’œil en même temps qu’enflaient ceux du Front puis du Rassemblement national. Même remarque pour La France Insoumise de Mélenchon, formation qui a repris à son compte, dans le paysage politique français, le rôle de „parti de protestation“ qui était celui du PCF, bien au-delà des analyses marxistes-léninistes, et que partage avec lui le RN de Mme Le Pen.
Les deux candidats encore en lice ont déjà commencé à envoyer en direction de cet électorat de gauche (moins en l’occurrence les socialistes que les écologistes) et d’extrême gauche (les mélenchonistes en tout cas) des messages de séduction qui font un peu sourire les spécialistes – ou grincer des dents, c’est selon. Mme Le Pen se découvre ainsi une passion pour l’environnement, et continue à parler inlassablement du pouvoir d’achat, tandis que M. Macron prend brusquement conscience que repousser l’âge de la retraite à 65 ans est peut-être un peu difficile à admettre pour les syndicats, et parle finalement de 64 ans, en attendant peut-être une autre reculade …
Mais pour ceux qui ne sont plus directement en campagne, c’est de toute façon un autre combat électoral, majeur lui aussi, qui se profile déjà à l’horizon: celui des législatives de juin. Car c’est là, une fois acquis le verdict de la course à l’Elysée, que se jouera le deuxième temps de la recomposition politique de la France, au cours d’un nouveau round politique dont les vaincus d’aujourd’hui comptent bien faire le troisième tour de la présidentielle.
De Maart
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