Donnerstag30. Oktober 2025

Demaart De Maart

Histoire du temps présent100 millions de francs au Honduras

Histoire du temps présent / 100 millions de francs au Honduras
Des soldats allemands en France Photo: Deutsches Bundesarchiv

Jetzt weiterlesen!

Für 0,99 € können Sie diesen Artikel erwerben:

Oder schließen Sie ein Abo ab:

ZU DEN ABOS

Sie sind bereits Kunde?

Au printemps 1942, Dante V. était lâché par ses protecteurs allemands à Paris. Cet Italien élevé au Luxembourg était arrivé deux ans plus tôt dans la capitale française. Il y avait fondé une entreprise chargée d’acheter des produits essentiels à l’industrie de guerre du Troisième Reich. Ce collaborateur amassa une immense fortune sur le marché noir, mais cela finit par lui coûter cher.

Fils d’un marchand de vin italien établi au Luxembourg, Dante V. était né à Esch le 29 mars 1903. Après sa scolarité au Luxembourg, il avait poursuivi des études de commerce à Nancy puis à Anvers. Il maîtrisait parfaitement l’allemand, l’italien, le français, parlait couramment l’anglais et se débrouillait assez bien en espagnol et en néerlandais. De 1923 à 1940, il travailla pour différentes entreprises belges, luxembourgeoises, italiennes et françaises, pour lesquelles il voyagea à travers l’Europe.

Dans la seconde moitié des années 1930, il commença aussi à rendre des services à l’Abwehr, le service de renseignement de la Wehrmacht, dont l’antenne de Trèves était dirigée par le commandant Reile. Lorsque ce dernier, élevé au grade de major, obtint un poste important à Paris, il fit immédiatement appel à V., dont il comptait mettre l’entregent, la maîtrise des langues et les relations commerciales au service de l’effort de guerre allemand1.

Une société écran au service de l’Allemagne

En juin 1940, Dante V. fonda la Compagnie Commerciale Italo-Continentale (CCIC). Cette société écran de l’Abwehr était un bureau d’achat. Sa mission était de dénicher et de racheter des stocks de matières premières, de métaux, de textiles et de tout autre produit dont les armées allemandes et en particulier la Kriegsmarine, son principal client, avaient un besoin pressant.

En octobre 1941, alors qu’il était interrogé par l’administration fiscale allemande au Luxembourg, l’homme d’affaires italo-luxembourgeois décrivit ses activités de la manière suivante :

„Die französische Regierung ist auf Grund der mit den deutschen Stellen getroffenen Abmachungen zu Lieferungen aller Art verpflichtet, macht jedoch geltend, dass im Lande von den verschiedensten, deutscherseits verlangten Dingen nur geringe Bestände seien. Werden zum Beispiel eine Million gefütterte Lederwesten oder wollene gefütterte Handschuhe benötigt, so wird französischerseits den deutschen Stellen erklärt, es seien nur 50.000 Stück aufzutreiben. Da setzt man meine Tätigkeit und die meiner Unteragenten ein. Durch diese unsere Tätigkeit ist es möglich, der Wehrmacht diese Waren ‚hinten herum’ zu verschaffen. Meinen Agenten resp. mir ist es bekannt, welche französische Firmen größere Bestände an diesen Dingen haben, und da setzt man das Geschäft an, sie in die Hände zu bekommen2.“

L’exploitation économique de la France occupée

Grâce à des intermédiaires comme Dante V., le Troisième Reich faisait d’une pierre deux coups, il s’appropriait des ressources indispensables tout en affaiblissant l’économie française. Car, si ce marché noir d’ampleur gigantesque profitait à quelques industriels, il était en revanche catastrophique pour la majorité de la population, qui avait à souffrir des pénuries et de l’inflation qu’il causait.

Le comble était que ces achats sous le manteau étaient payés par les Français eux-mêmes. Les sommes allouées aux bureaux d’achat comme la CCIC étaient prélevées sur les frais d’occupation que la France devait verser à l’Allemagne – 400 millions de francs français par jour, soit 120 millions d’euros!3 Comme l’écrivit l’historien Hans Umbreit, l’exploitation économique de la France contribua grandement à financer l’effort de guerre allemand:

„Nicht die eroberten Gebiete im Osten – wie die nationalsozialistischen Planer gehofft hatten –, sondern die besetzten Länder Westeuropas lieferten den größeren Beitrag zur deutschen Kriegswirtschaft. Unter ihnen war Frankreich die wichtigste Bezugsquelle für Rohstoffe, Maschinen, Halb- und Fertigprodukte, Geld und Arbeitskräfte. Allein die dem Land abverlangten finanziellen Leistungen ergaben etwa 10% der deutschen Kriegsfinanzierung. […] Die vorgefundenen Bestände an Spar- und Mangelgütern aller Art waren so groß, dass sie nach Einschätzung durch die deutschen Rüstungsdiensstellen für längere Zeit zur Deckung des deutschen Bedarfs ausreichten4.“

Un petit business parallèle

Dante V. joua un rôle non négligeable dans cette entreprise de pillage. Il employait près de 300 personnes et traita pour près de 300 millions de francs français (90 millions d’euros) d’affaires avec les Allemands. Lui-même touchait sur chaque transaction une commission allant de 0,5 à 5%. Cela lui permit de mener la grande vie à Paris, où il occupait notamment un appartement à deux pas de l’Arc de Triomphe, dans la très prestigieuse Avenue Hoche.

Les affaires qu’il menait pour les Allemands ne représentaient toutefois qu’une partie de ses revenus. Dante V. s’adonnait en effet à un trafic parallèle. Une partie des bénéfices qu’il réalisait étaient réinvestis dans l’achat de produits de luxe français (vins, maroquinerie, parfums). Grâce aux protections dont il jouissait, il les faisait ensuite passer clandestinement, par camions, voire par wagons entiers, au Luxembourg et de là en Allemagne.

Mais les choses finirent par mal tourner, puisqu’à l’automne 1941, l’administration fiscale allemande au Luxembourg lança une enquête contre lui. Celle-ci permit notamment d’établir qu’il avait transféré près de 100 millions de francs français (30 millions d’euros) au Honduras et avait joui de complicités au plus haut niveau de l’administration allemande au Luxembourg. Au nombre de ses complices figuraient le bras droit du Gauleiter Simon, Friedrich Münzel, dont il était un intime, ainsi que le Dr. Broicher, qui dirigeait le service économique de l’administration civile allemande au Luxembourg.5

Une fin incertaine

Si Dante V. ne fut pas poursuivi, il devint en revanche persona non grata dans le Paris occupé et dut céder la direction de la CCIC à une autre figure importante de la collaboration luxembourgeoise, André Folmer. Il s’installa alors à Milan où il continua à faire des affaires, cette fois-ci pour le compte de l’Italie fasciste. Alors que la guerre touchait à sa fin en Europe, deux Français se présentèrent au monastère milanais de San Carlo, où il avait trouvé refuge, et l’emmenèrent.

Sa sœur déclara par la suite l’avoir vu une dernière fois à Longwy, en août 1945. Il lui aurait confié à cette occasion qu’il collaborait avec la police française. Après cela, il disparut complètement des radars, sans que personne ne sache ce qui avait pu lui arriver. Puis, en 2009, un journaliste français consacra un livre à l’un des deux hommes qui étaient venus chercher Dante V. à Milan, le commissaire Robert Blémant.

Ce policier et résistant, qui devint plus tard un homme influent du Milieu, réussit à mettre Dante V. en confiance. Ce dernier accepta de livrer tout ce qu’il savait au sujet de la collaboration économique, probablement en échange d’une contrepartie. Mais cette fois-ci, c’est lui qui fut floué. Une importante quantité de bijoux ainsi que des toiles de maître lui appartenant disparurent puis, en septembre, lui-même s’évapora. Blémant affirma qu’il s’était évadé. Il fut cependant plus vraisemblablement assassiné6.


1 Archives nationales de Luxembourg (ANLux), fonds Affaires politiques (AP) V12.

2 ANLux AP V 12, Bericht über die Verhandlung zwischen: Finanzamt und Dante V., Luxemburg, 6. Oktober 1941.

3 Les conversions de devises ont été réalisées sur le site de l’Insee: https://www.insee.fr/fr/information/2417794 (dernière consultation le 1.4.22).

4 Hans Umbreit, Die Verlockung der französischen Ressourcen. Pläne und Methoden zur Ausbeutung Frankreichs für die kriegsbedingten Bedürfnisse und die langfristigen Ziele des Reiches, in: La France et l’Allemagne en guerre, Paris, 1990, pp. 435-448.

5 ANLux AP V12rapport du 15 septembre 1947.

6 Jean-Pax Méfret, Un flic chez les voyous. Le commissaire Blémant, Paris, Pygmalion, 2009, pp. 200-201.