On est au début des années 1990, en Russie. Une étudiante finlandaise en archéologie rêve avec sa logeuse moscovite – et amante – d’aller admirer les fameux „pétroglyphes“ à Mourmansk. Finalement, Laura partira seule, le regard embué de mélancolie. Elle fera le long voyage dans le compartiment n°6 qu’occupe Ljoha, un Russe alcoolique, agressif, parti en quête d’argent facile dans les exploitations minières. Laura filme tout, elle envoie des images à Irina qui ne lui répond pas vraiment. Quelle promiscuité! Ces étrangers se disputent, se supportent très difficilement, essaient de s’éviter. Mais comment faire, il n’y a pas d’autre place en 2e classe.
Ils se rapprochent après une nuit arrosée chez la mère adoptive de Lioja. Mourmansk? La galère. La tempête est à l’œuvre. Le brouillard est total. Le réalisateur finlandais filme cette traversée chahutée dans le grand Nord russe avec empathie. Il pose sa caméra à hauteur des deux protagonistes (magnifiques Seidi Haarla et Yuriy Borisov) que tout oppose de prime abord. Au fil des (nombreux) kilomètres, la drôle de rencontre entre Laura et Ljoha prend les chemins sinueux de l’amour. Sans désir. Tageblatt a rencontré Juho Kuosmanen, déjà très remarqué pour son premier long métrage „Olli Mäki“, prix Un Certain Regard à Cannes en 2016. Le Festival de Cannes lui réussit visiblement puisque „Compartiment n°6“ a remporté en juillet le grand prix ex aequo avec „Un héros“ d’Asghar Farhadi.
Tageblatt: Le film est inspiré du livre „Compartiment n°6“ de Rosa Liksom paru en 2010. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce roman?
Juho Kuosmanen: Le roman de Rosa Liksom m’a bouleversé. J’étais à peu près sûr que certaines scènes pouvaient être fortes au cinéma: le huis clos mais aussi la beauté mélancolique du paysage russe. En même temps, j’étais très inquiet car il se passe tellement de choses dans ce compartiment que je pensais que c’était impossible de l’adapter au cinéma. J’ai réfléchi pendant plusieurs mois. Ce voyage en train, cette rencontre entre ces deux personnages se sont répétés dans ma tête. Impossible de m’en détacher.
Dans le roman, plusieurs personnages occupent le compartiment et votre choix s’est concentré sur deux protagonistes. Pour quelles raisons?
Une des difficultés était de faire une adaptation cinématographique. J’ai très vite compris que je devais écarter cette option. Nous avons convenu de faire un film inspiré du roman. Je voulais être libre et garder ce qui nous semblait essentiel. Nous avons aussi changé la décennie, l’itinéraire: vers Mourmansk au lieu de la Sibérie.
Pourquoi?
Surtout pour des raisons pratiques. En Sibérie, il était impossible de trouver des gares à mon goût. Le trajet vers Mourmansk était plus court, ce qui était bon pour le film et ne changeait rien à l’histoire. Mourmansk est un lieu authentique, elle est la plus grande ville au monde située au-delà du cercle polaire arctique. Nous avons montré les dessins rupestres qui n’existent pas en Sibérie. Nous avons aussi filmé la mer de Barents, bien plus belle. Mourmansk est très loin quand même (près de 2000 km de Moscou). Nous avons parcouru plus de 20.000 km en train, de la préproduction au clap final. Le tournage s’est fait pendant six semaines, ce qui est relativement peu.
Le train est déjà présent dans votre premier film „Olli Mäki“. Vous avez une fascination pour les trains?
Je voyage beaucoup en train. C’est le meilleur moyen de transport pour moi. Pour un film, le train est qualitatif. Dans un avion ou une voiture, vous êtes seul, vous ne parlez pas avec d’autres personnes. Dans un train, surtout pour un voyage de longue distance, vous partagez le compartiment avec des inconnus. C’est un lieu parfait pour les rencontres. Vous ne pouvez pas vous dérober. Vous êtes amené à vivre le voyage avec l’autre.
Vous avez filmé dans un vrai compartiment? Comment s’est déroulé le tournage dans un espace aussi exigu?

On avait loué deux wagons-lits classiques et un wagon restaurant à Saint-Pétersbourg. On tournait les scènes de jour dans le train en mouvement, du matin au soir. Les deux acteurs et toute l’équipe mangeaient dans le wagon restaurant. Il nous fallait respecter les horaires d’arrêts et de départs. Bien sûr, ce n’était pas facile de tourner dans un espace aussi petit. L’enjeu était de rendre les choses moins difficiles. Nous étions presque inconscients, portés par notre projet. Les micros étaient cachés, l’équipe technique réduite au minimum. Je pense que les acteurs ont apprécié le tournage, ils jouaient sans devoir regarder le green screen, ce qui rendait leurs sentiments beaucoup plus authentiques. Pour moi, également, je n’avais pas beaucoup d’espace mais je vivais cela comme une aventure.
Comment avez-vous choisi les acteurs?
Je ne connaissais pas Seidi Haarla mais nous avons des amis communs. Dès l’écriture du scénario, je pensais qu’elle serait intéressée par le rôle. Nous avons parlé du roman et de tas d’autres choses. Seidi fait beaucoup plus jeune que son âge (38 ans, ndlr) et s’est complètement investie dans le rôle. Quant à l’acteur russe, c’était plus difficile. Nous avions un directeur de casting russe. L’homme, dans le roman, est âgé de cinquante ans. Nous l’avons recherché pendant longtemps. J’ai vu Yuriy Borisov dans un film russe „Le Taureau“ (de Boris Akopov) dans lequel il était surprenant de talent. Je l’ai rencontré même s’il ne correspondait pas du tout au personnage initial. En fait, je voulais réunir deux êtres totalement différents et complexes. Quand j’ai filmé Yuriy et Seidi ensemble, j’ai compris qu’ils étaient finalement similaires, proches même s’ils semblent tout à fait déconnectés au début du film. Ce sont deux âmes solitaires.
La babouchka, mère adoptive de Lioja, vit dans une maison au milieu de nulle part … Seule avec son chat, elle ne semble pas malheureuse.
C’est exact. De la même façon que Laura et Lioja font de leur solitude une liberté. C’est pourquoi leur rencontre est possible. Le guitariste présent dans le train dit „Nous sommes tous seuls sur cette terre“. Mais les trois personnages (Laura, Ljoha et la babouchka) savent vraiment ce que c’est d’être seul. Lui, pas vraiment. Il affiche une posture, disons, romantique voire romanesque, mais il ne connaît pas la vraie solitude.
Lydia Kostina incarne cette formidable baboucchka …
Lydia n’est pas une actrice. Nous l’avons rencontrée au cours de nos repérages. Nous l’avons filmée dans sa maison avec son chat. Elle dit à Laura „Essayez de trouver votre animal intérieur“, „Les femmes sont des animaux très intelligents“, des paroles magnifiques de sincérité. C’est elle qui a ajouté ces phrases qu’on ne retrouve pas dans le roman. La plupart des choses que Lydia Kostina incarne viennent d’elle. Nous l’avons rencontrée par hasard. Peut-être était-ce un destin.
La chanson „Voyage voyage“ de Desireless (1987) revient à plusieurs reprises. Pourquoi avoir choisi ce morceau français?
J’aime beaucoup cette chanson. Nous avions aussi écouté beaucoup de musiques russes. Même si le film se déroule en Russie, les gens écoutent les mêmes tubes qui rassemblent finalement. Nous voulions une musique internationale qu’on entendait au début des années 1990, un peu partout dans le monde.
„Compartiment n°6“ de Juho Kuosmanen. Avec Seidi Haarla, Yuriy Borisov, Dinara Drukavora, Lydia Kostina.
De Maart
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können