Cette initiative du président français marque un tournant dans ses relations avec le Kremlin et son chef. Durant les premières années de son quinquennat, Emmanuel Macron semblait convaincu que ses prédécesseurs, tout particulièrement François Hollande, n’avaient pas affiché à l’égard de Vladimir Poutine une sollicitude suffisante.
Très peu après son élection, il avait donc reçu ce dernier à Versailles avec beaucoup de faste; c’était le premier chef d’Etat ou de gouvernement à y être invité par le nouveau locataire de l’Elysée. Et Macron avait assuré à son visiteur qu’à ses yeux, aucun grand sujet intéressant les affaires du monde ne devait être traité sans participation russe, même s’il avait déjà fait état de divergences à propos de l’Ukraine et de la Syrie.
Il y avait eu ensuite, un an plus tard, une visite du président français à Saint-Pétersbourg, où il avait exhorté la Russie à ne pas oublier ses racines occidentales, et à renouer un vrai dialogue avec l’Union européenne et avec les Etats-Unis. Enfin, en août 2019, au fort de Brégançon, résidence officielle d’été des présidents français, le maître du Kremlin avait été reçu avec chaleur par les Macron, et s’était vu proposer par son homologue français d’établir un „dialogue stratégique“ entre leurs deux pays. Initiative qui avait d’ailleurs été jugée regrettablement solitaire par les partenaires européens de la France.
Réactiver le „format Normandie“?
Mais cette main tendue avec insistance par Macron ne devait pas, à l’usage, réussir à réchauffer les relations bilatérales. En Syrie comme en Afrique sahélienne, en particulier, la France allait en faire l’amère expérience. En outre, à partir du printemps 2020, la propagation du Covid-19 puis de ses succédanés, s’ajoutant à la tentative d’assassinat d’Alexeï Navalny, acheva de mettre en panne un rapprochement qui n’avait guère commencé, en réalité, que du côté français.
Avec ce double voyage, à Moscou aujourd’hui et à Kiev demain, avec d’évidentes ambitions de médiateur de paix, Emmanuel Macron montre au moins qu’il ne craint pas de prendre des risques politiques, puisqu’il va se retrouver à nouveau au cœur d’une crise qu’il aurait pu se contenter d’observer et de commenter de loin. Au risque, comme pour la Libye et 2017, le nucléaire iranien en 2019 ou le Liban en 2020, que son implication personnelle reste vaine. Cette fois-ci, il s’avance cependant moins seul; d’autant plus que ce n’est pas uniquement comme chef de l’Etat français qu’il s’engage, mais aussi comme détenteur de la présidence tournante du Conseil de l’UE.
Il souhaite en particulier réactiver le „format Normandie“, autrement dit des discussions quadripartites officieuses (France, Russie, Allemagne, Ukraine) nées durant la guerre du Dombass en marge de la célébration commune, le 6 juin 2014, du débarquement de Normandie. Le problème étant que les dirigeants ukrainiens n’en veulent pas, considérant que l’installation, à leurs frontières, de quelque cent mille soldats russes lourdement équipés rend toute discussion impossible.
Un enjeu de politique intérieure
C’est bien, d’ailleurs, ce qui pourrait rendre sa visite de demain au président Zelensky au moins aussi délicate que celle d’aujourd’hui au Kremlin. Emmanuel Macron reste en effet persuadé, dit-on à l’Elysée, et contrairement aux dirigeants de Kiev, que „l’objectif de la Russie aujourd’hui n’est pas l’Ukraine, mais la clarification des règles de cohabitation avec l’OTAN et l’Union européenne“, comme l’assure d’ailleurs Moscou.
Cette nouvelle entreprise diplomatique comporte inévitablement aussi un enjeu de politique intérieure. Car elle devrait servir, dans l’immédiat, les ambitions présidentielles de l’homme de l’Elysée: en rendant une vraie dimension internationale à sa fonction, elle le place clairement au-dessus des inévitables petites médiocrités de la campagne, et diminue d’autant la stature de la plupart de ses adversaires. Du moins celles et ceux que l’on a un peu de peine à imaginer négociant avec Poutine …
Mais le risque, a contrario, n’est pas mince: si la démarche française échoue, le seul mérite du président sortant restera alors d’avoir essayé. Ce qui ne serait déjà pas rien, certes; mais si, ce lundi à Washington, le chancelier Scholz obtient, lui, de meilleurs résultats avec Joe Biden, l’impuissance élyséenne sera d’autant plus cruellement soulignée – et, pour le coup, à un bien mauvais moment.
De Maart
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