Mittwoch19. November 2025

Demaart De Maart

Photographie La collection Thomas Walther au Jeu de Paume

Photographie  / La collection Thomas Walther au Jeu de Paume
El Lissitzky, „Coureur dans la ville“ (essai de fresque pour un club sportif), 1926 York, Collection Thomas Walther © The Museum of Modern Art, New York, 2021

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Deux expositions parisiennes se recoupent et évoquent la photographie à ses débuts, „Enfin le cinéma“, au Musée d’Orsay, objet d’un précédent article, et celle du Jeu de Paume, „Chefs-d’œuvre du MoMA“. Cette dernière présente la collection Thomas Walther, l’un des moments forts de la collection moderne du MoMA. Certains clichés célèbres permettent de redonner un contexte à cette nouvelle technique devenue art.

On verra également que la démarche photographique est différente selon que l’on se trouve en Europe ou aux Etats-Unis. Alors qu’en Europe les avant-gardes artistiques s’échappent du canon réaliste pour une approche plus abstraite ou surréaliste, aux Etats-Unis on recherche une forme pure et nette, fidèle à la réalité, fourmillant de détails, comme le désirait, au début, le daguerréotype. Ainsi cette exposition explore-t-elle la scène artistique de l’Entre-deux-Guerres, du Bauhaus au surréalisme, avec des artistes incontournables et des clichés d’anonymes.

Une multitude de points de vue

De l’engouement pour la photo, surgissent une multitude de points de vue et d’approches, des scènes urbaines aux sportifs saisis sur le vif, des contre-plongées aux vues architecturales, sans oublier nus et autoportraits, des photomontages aux photoreportages, photos nocturnes, surimpressions, reflets déformants, tout est sujet à expérimentation.

Après avoir été invention technique, la photographie ne se réfèrera plus à la peinture, comme elle l’a fait dans un premier temps pour s’ennoblir. Pour la valoriser on aura recours à son essence même, à une approche directe et sans retouche, au cadrage, à la lumière. Ainsi le photographe américain Alfred Stieglitz (1864-1935) se concentre-t-il sur la composition géométrique de l’espace, le contraste entre l’ombre et la lumière. Il rompt avec le pictorialisme, ne recourt plus au flou et privilégie au contraire la netteté, la précision des détails. „C’est direct“, écrit-il, „aucune retouche, pas de fumisterie, pas de sentimentalisme, ce n’est ni vieux ni neuf … C’est si détaillé que vous pouvez distinguer tous les pores de la peau d’un visage.“ Ce constat confère à la photographie un point de vue plus esthétique et moderne.

Un exemple célèbre, dans l’exposition, celui du cliché d’Alvin Landon Coburn, „La Pieuvre“ (1909). Vue en plongée d’un square enneigé, image aplatie qui s’éloigne de la perspective utilisée en peinture depuis la Renaissance. Voilà une nouvelle image du monde, beaucoup plus graphique, une façon de penser la photo comme un medium en soi.

Michel Poivert (né en 1965), historien de la photographie, écrit: „La photographie expérimentale, en raison du caractère illimité de son horizon (tout sera toujours possible, car rien n’est interdit), est à la photographie ce que la poésie est au langage: son laboratoire.“ (préface du livre „Les Photographies célibataires“, Marc Lenot, Arles, Editions Photosynthèses, 2017).

La photographie aérienne transformera également la vision du monde. Les photos militaires publiées dans les revues influencent les artistes, notamment des peintres russes comme Malevitch. Abolition de la ligne d’horizon, monde plat et formes géométrique, surfaces colorées.

La ville comme sujet d’étude

Le peintre et photographe russe Lissitzky s’en inspire également. Le constructivisme, mouvement russe, né au début du XXe siècle, a pour objectif de construire des formes nouvelles en art, pour un monde nouveau. La ville devient sujet d’étude. La photographie en propose un idéal, fait de buildings, d’enseignes lumineuses, de mouvement. Et il est intéressant de voir comment un photographe russe comme Lissitzky s’empare de la ville pour la faire résonner avec New York. Alors qu’on présente Moscou, notamment Walter Benjamin qui y séjourne, comme un lieu chaotique, entre campagne et ville, Lissitzky, avec „Le Coureur dans la ville“ (1926), propose à partir d’un montage réalisé avec des photos prises dans la presse, la vision d’un athlète courant dans la ville. Rien de mieux pour symboliser la vitesse du monde et sa modernité. Si l’on examine la photographie, on s’aperçoit que les divers éléments ont été pris dans des magazines qui illustraient la ville américaine et que Lissitzky en a effacé, assez grossièrement, les signes du capitalisme avant de la reprographier. Cette image a été réalisée dans la volonté de participer à l’effort collectif de construction de l’Union soviétique, ceci avec des techniques et un regard venant de l’Ouest.

En Allemagne, le Bauhaus, école d’arts appliqués, propose des formes nouvelles et de nouveaux points de vue, pour une architecture moderne. La photographie en enregistre les processus et l’architecture photographiée devient composition abstraite, le réel pris en plongée, contre-plongée, exerce une sorte de vertige et de sidération – on regarde autrement. Le photographe est le constructeur d’une nouvelle vision, la photo étant un œil plus ouvert et plus conscient que l’œil humain. En outre, avec l’apparition du Leica, appareil plus petit qui permet d’abandonner le pied mobile, la photographie prendra son véritable essor et s’affranchira de multiples contraintes.

Pour conclure, à propos de cette exposition où chaque cliché est un moment fort, pour évoquer les multiples possibilités d’expérimentation et la façon dont la photographie s’émancipe également du réel, citons „Humainement impossible“ (1932), un autoportrait d’Herbert Bayer. Herbert Bayer, l’un des maîtres du Bauhaus, à la fois peintre, architecte, typographe, a délaissé le Bauhaus pour se tourner vers la Nouvelle Vision. Sur cette photo, Herbert Bayer se présente à la manière d’une sculpture antique, de façon surréaliste, dans un photomontage où il tient un morceau de son bras coupé, tout en se regardant, terrifié dans un miroir. Mise en abyme de son image par le jeu du miroir, toutes les expérimentations visuelles, en attendant le cinéma, semblent alors possibles.

A voir

Chefs-d’œuvre photographiques du MoMA
Jusqu’au 13 février 2022 
Jeu de Paume, 1, place de la Concorde  75008 Paris 
www.jeudepaume.org