Sonntag21. Dezember 2025

Demaart De Maart

L’histoire du temps présentLa Jeunesse Esch en Lituanie et en Pologne (juin 1939)

L’histoire du temps présent / La Jeunesse Esch en Lituanie et en Pologne (juin 1939)
L’équipe de la Jeunesse Esch pose pour le photographe avant le match contre l’équipe nationale de Lituanie. Debouts de g. à dr.: Claudio Mastrangelo, Benny Rhein, Théid Loesch, Fränz Dumont, René Hoffmann, Momo Simonelli, Jängy Nickels. Agenouillés: Haxi Bernard, Adelio Mastrangelo, Jemp Hoscheid, Benjo Moia. Photo: Collection Denis Scuto

La première „Bar Sport Konferenz Jeunesse Esch Musée“ est née d’un de mes souvenirs d’enfance, plus précisément d’une histoire que m’a raconté mon grand-père et qui m’a impressionné. Mon grand-père s’appelait Jemp Hoscheid.

Né à Bissen en 1912, il avait déménagé en 1914 avec sa famille à Esch-sur-Alzette où son père avait trouvé un travail à la Brasseurschmelz, renommée usine de Terre rouge en 1919. Mon grand-père y a fait toute sa carrière professionnelle, d’abord comme ouvrier serrurier, à la fin comme contre-maître en chef.

Il fut aussi le gardien de la Jeunesse et de l’équipe nationale pendant les années 1930. Et il suivait plus tard de près son petit-fils qui faisait ses premiers pas de footballeur dans les Scolaires des Noirs et Blancs dans les années 1970. Nous avions un rituel hebdomadaire. Chaque dimanche matin, les lendemains des matchs de Scolaires qui se jouaient le samedi après-midi, nous faisions une promenade au Gaalgebierg. Nous y discutions du match et mon grand-père me racontait des histoires. Puis, nous nous rendions au Café Scarassa dans la Hiehl, chez Milio et Nuto Gaudina, anciens résistants et déportés politiques. J’y avais droit à ma grenadine gratuite alors que mon grand-père buvait son Elbling.

Une histoire marquante du grand-père

L’histoire qui m’a le plus impressionné fut celle d’une tournée de la Jeunesse Esch en Lituanie et en Pologne en juin 1939. Elle m’a marqué pour deux raisons. D’abord, c’était juste avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale avec l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie, le 1er septembre 1939. Deuxièmement, la tournée prit une tournure tragique avec la mort par noyade dans le fleuve Memel à Kaunas d’un jeune talent du club, Adelio Mastrangelo, le 7 juin 1939.

Permettez-moi de situer cette tournée dans un triple contexte historique: premièrement le football comme fait social majeur de l’entre-deux-guerres; deuxièmement le premier cycle victorieux de la Jeunesse avec les garçons de la „Wundermannschaft“ des années 1930; troisièmement l’ancrage transnational du club à travers ses matches amicaux, ses entraîneurs et ses joueurs.

1. Dans l’entre-deux-guerres, le football comme d’autres sports – cyclisme, athlétisme, boxe, etc – devient en Europe un fait social majeur. La diffusion de sa pratique, la structuration des institutions fédérales, l’afflux en masse de spectateurs et la place croissante que lui offrent les journaux l’imposent durablement dans le paysage culturel.

2. La Jeunesse Esch des années 1930 remporta en 1934/1935 la Coupe de Luxembourg et en 1936/1937 le doublé Championnat-Coupe, avec Jemp Hoscheid, Alphonse et Vic Majerus, Péitchen Mousel, Cani Rosa, Haxi Bernard, Heng Scharry, Benny Rhein, Jängy Nickels, Henri Hagener, Tiny Michels, Momo Simonelli, Théid Loesch, René Hoffmann. En 1938, deux juniors talentueux viennent renforcer l’équipe fanion: Victor dit Benjo Moia, fils de l’entrepreneur de construction Marco Moia, et Adelio Mastrangelo, fils de l’ouvrier mineur Remigio Mastrangelo.

3. Trop souvent, le sport est étudié historiquement dans des espaces régionaux et nationaux, confortables mais réducteurs, qui ignorent les perméablités entre les territoires. Or, les relations internationales et les coopérations économiques eurent un effet important sur le développement historique des sports en Europe. Le Luxembourg se trouve au cœur d’une grande région industrielle, caractérisée par des migrations de main-d’œuvre et de capitaux, qui va du nord-ouest à l’est de la France vers les régions de la Sarre, de la Ruhr, de la Silésie en Allemagne et en Pologne en passant par la Belgique. Au sein de cette „Grande Région“ transfrontalière, les premières rencontres internationales entre ces pays voisins célèbrent la paix retrouvée après la Première Guerre mondiale. L’équipe nationale luxembourgeoise rencontre ainsi 25 fois l’équipe nationale de Belgique (A et B) et 19 fois celle de France (A et B) entre 1922 et 1939. Entre 1934 et 1939, le Luxembourg affronte sept fois l’Allemagne.

La Jeunesse, de son côté, multiplie les matches amicaux contre les clubs étrangers les plus divers: Schwarz-Weiss Essen, RC Strasbourg, FC Metz, Olympique Lille, Kispest Budapest, Eintracht Frankfurt, FC Antwerp, Libertas Wien, Kladno Prague … Elle recrute des entraîneurs étrangers: l’Allemand Ludwig Neureuther (Eintracht Frankfurt) en 1934/1935, l’Autrichien Gustav Wieser (Legia Varsovie, Ruch Chorzow) en 1935/1936, l’Allemand Lutt Steinbauer (FC Köln) en 1936/1937.

La Jeunesse est également le fruit de cet espace migratoire qui caractérise les régions industrielles. Un match fait ici figure de symbole, un match qui résume à lui tout seul des décennies de migrations de travail de l’Italie vers le Grand-Duché et d’intégration de ces immigrants et de leurs enfants dans le tissu social eschois. Le 5 décembre 1938, l’Obermosel-Zeitung annonce un match nocturne „Luxembourg – Italie“ au Stade de la Frontière (complètement rénové en 1937 pour les trente ans du club et doté d’un système d’éclairage). Les compositions des deux équipes révèlent qu’il s’agit en fait d’une rencontre entre le Luxembourgeois et les Italiens de la Jeunesse Esch. Composition du „Luxembourg“: Hoscheid, Mousel, Majerus I (Alphonse), Majerus II (Vic), Bernard, Loesch, Rhein, Nickels, Hoffman, Beck, Kayser. Composition de l’„Italie“: Camporesi, Mastrangelo I (Adelio), Solazzi, Pescarolo, Rosa, Bartocci, Simonelli, Mastrangelo III (Silvino), Moia, Battibugli, Marani.

Scène d’un match du Hakoah Vienne en tournée à New York en 1926. Max Gold (à gauche en maillot blanc) suit la balle du regard.
Scène d’un match du Hakoah Vienne en tournée à New York en 1926. Max Gold (à gauche en maillot blanc) suit la balle du regard. Photo: Jüdisches Museum Wien, Album Hakoah/Max Gold, Inventarnummer 013796/022

Un entraîneur oublié et sa tournée

En 1938, le club recrute comme entraîneur Max Gold, l’ancienne star du club juif Hakoah Wien. Max Gold est né le 2 février 1900 à Vienne de parents originaires de Lwow, la capitale historique de la Galicie polonaise. Gold fut défenseur (back droit) du champion d’Autriche de 1924/1925 Hakoah Wien. Ce joueur de foot professionnel fit ensuite carrière comme joueur et entraîneur à New York et à Chicago et, à son retour en Europe, entraîna notamment l’équipe nationale de Lituanie. A la suite de l’Anschluss en mars 1938, Max Gold, qui entraînait à ce moment-là le club viennois Floridsdorfer AC, s’enfuit d’abord à Varsovie où il dirige l’école nationale pour entraîneurs, puis arrive en septembre 1938 à Esch pour entraîner la Jeunesse. C’est lui qui grâce à ses contacts dans le monde du football d’Europe de l’Est organise la tournée en Lituanie et en Pologne.

Le nom de Gold témoigne des silences et omissions qui caractérisent les récits historiques. Mon grand-père ne l’a jamais mentionné auprès de moi. Dans les annales du club, juste son nom de famille, Gold, est cité. C’est pourtant lui qui est à l’origine de la tournée de matchs la plus ambitieuse que le club ait jamais organisée, du 3 au 20 juin 1939. En plus, il s’agit d’un voyage en train à travers la moitié d’une Europe qui se prépare à la guerre, à travers l’Allemagne qui poursuit sa politique expansionniste après avoir annexé l’Autriche et la Tchécoslovaquie en 1938, en se faisant céder le Territoire de Memel par la Lituanie en mars 1939 et en augmentant la pression sur la Pologne en vue de récupérer ses anciens territoires.

Alors, j’ai voulu en savoir davantage. Face aux renseignements fort lacunaires de mon grand-père, décédé en 1988, et en l’absence, évidemment, de témoins d’époque de l’équipe encore en vie aujourd’hui, j’ai tenté de re-construire une partie de ce voyage à l’aide des sources historiques les plus diverses: nouvelles dans la presse quotidienne – Escher Tageblatt, Luxemburger Wort, Obermosel-Zeitung, Landwirt –, sportive – Les Nouvelles Sportives –, hebdomadaires – A-Z Luxemburger Illustrierte – sur le site eluxemburgensia.lu, brochures du club, dossiers de la Police des étrangers aux Archives nationales, archives de la Ville d’Esch, archives du Jüdisches Museum Wien, collections digitales des Archives nationales de Pologne, archives privées, entretiens avec Erika, la fille de Max Gold et de son épouse lituanienne Kreine Presyte, née en 1940 au Luxembourg …

Le voyage emmène l’équipe d’abord jusqu’à Kaunas, alors capitale d’une Lituanie qui a conquis sa liberté dans les guerres d’indépendance qui ont suivi la Première Guerre mondiale mais se trouve depuis 1926 sous la coupe du dictateur Antanas Smetona. A Kaunas, la Jeunesse affronte l’équipe nationale B puis A de Lituanie. De Kaunas l’équipe se déplace à Kattowitz dans la région industrielle de la Silésie polonaise, plus précisément dans la ville voisine de Chorzow (Königshütte), pour affronter le quintuple champion de Pologne des années 1930 Ruch Wielkie Hajduki et sa star Ernest Wilimowski. Nouveau déplacement cette fois vers la capitale polonaise de Varsovie pour jouer contre une sélection de Varsovie, puis le lendemain contre Polonia Varsovie. Après un séjour d’une semaine dans la capitale polonaise, un dernier match a lieu dans une autre ville industrielle, Starachowice, connue pour ses mines de fer et ses usines d’armement contre le SKS Star Starachowice.

Le chroniqueur Léon Thurm

Un des deux officiels et membres du comité de la Jeunesse qui accompagne l’équipe, le chef de délégation Léon Thurm, employé à l’usine de Terre rouge, représentant du club à la FLF, couvre le voyage pour le Escher Tageblatt. Son premier récit daté „Kaunas, 6.6.1939“ décrit, sous des traits volontairement codés, une Europe sous la menace nazie: „Es ist ein langer Weg von Luxemburg, von der Mosel über den Rhein, die Elbe, über die Weichsel zur Memel. Aber wenn Fußballer reisen, gibt’s keine Langeweile. Durch Deutschland, das Land der Uniformen und der Fahnen gab es eine sehr schöne Fahrt. In Kassel Reichskriegstag. Herrgott, welches Volk dort zusammenströmte. Sonderzug auf Sonderzug, sodaß in Berlin mit einer einstündigen Verspätung gerechnet werden mußte. Berlin in Festesschmuck anläßlich des Besuches des jugoslawischen Prinzregenten. Ein wunderbares Bild: das Brandenburger Tor und die Alleen. In vollgepfropften Zug ging es dann durch die Nacht dem berühmten Korridor zu, über Danzig nach Königsberg, um am frühen Morgen die litauische Grenze zu erreichen. Zoll-, Paß- und Devisenkontrolle ging überall glatt vonstatten. Fußballer haben ja in dieser Hinsicht Glück. Im an Deutschland abgetretenen Memelgebiet hat man bereits überall die litauischen Namen der Städte in deutsche umgesetzt. Gegen Mittag Ankunft in Kaunas, nach monotoner Fahrt durch die Schlachtfelder des Krieges 1914-18. Kaunas, früher als Kowno eine russische Festung, ist eigentlich eine neue alte Stadt. Durfte im alten Rußland kein Haus mehr als ein Stockwerk haben, so bemühen sich heute die Litauer die schönsten Großbauten inmitten der noch sehr zahlreich vorhandenen typisch russischen einstöckigen Holzbauten zu errichten. – Und anderer Länder, andere Sitten! Hier regnet es ja Protokolle für nicht Einheimische. Geht man quer über die Straße, flugs ist der Schutzmann da, und ein Lit. Strafe muß auf der Stelle bezahlt werden. Bleibt man zu zweien auf dem Bürgersteig stehen, wieder einmal zahlen muß der Sachse.“ (L. T., Jeunesse Esch in Litauen, Escher Tageblatt, 10.6.1939, p. 3)

Léon Thurm relate ensuite une cérémonie émouvante devant le Tombeau du soldat inconnu en l’honneur de ceux qui ont donné leur vie pour l’indépendance et la liberté de la Lituanie, cérémonie qui a lieu le soir de l’arrivée de l’équipe à Kaunas. Il ne manque pas de faire le lien avec le Luxembourg qui fête en juin 1939 le Centenaire de son Indépendance à l’ombre de l’Allemagne nazie: „Ein kleines Volk, das für seine Freiheit kämpfte und noch kämpft. Schicksalsverbunden mit uns.“

Thurm revient également sur les deux premiers matches victorieux de la Jeunesse, le premier disputé le 5 juin contre l’équipe de Lituanie B et remporté 1-0, le deuxième contre Lituanie A par 3-0. Pour la tournée, la Jeunesse, où les deux frères Majerus et Silvino Mastrangelo avaient dû déclarer forfait faute de congés, s’était renforcée par deux joueurs de l’Union Luxembourg, l’international Fränz Dumont et Claudio Mastrangelo, le frère aîné d’Adelio. Ce furent d’ailleurs ces deux joueurs ainsi que Haxi Bernard et Jängy Nickels qui furent parmi les meilleurs d’après Thurm. Le journal lituanien Laikas titre de son côté: „Futbolninkai, nejuokinkit svieto!“ („Footballeurs, ne faites pas rire le monde!“). Puis le journal enfonce le clou dans l’article en soulignant que la Jeunesse a en fait encore mal joué: „Cette équipe (la Jeunesse Esch) joue un football typiquement allemand (mauvais, naturellement), sans astuces, direct, tout en force.“ (Laikas, n° 128, 1939, p. 4)

Photo de groupe sur les escaliers de l’église St-Michel à Kaunas. Il s’agit de la dernière photo d’Adelio Mastrangelo vivant (assis, 1er de la g.)
Photo de groupe sur les escaliers de l’église St-Michel à Kaunas. Il s’agit de la dernière photo d’Adelio Mastrangelo vivant (assis, 1er de la g.) Photo: Collection Denis Scuto

La mort tragique d’Adelio

Puis se produit l’inconcevable. Le lendemain du match, le 7 juin, il fait chaud et l’équipe décide l’après-midi d’aller se baigner dans le Niémen (Memel), le grand fleuve qui traverse Kaunas, après avoir fait une visite de la ville le matin. Adelio se noye sous les yeux médusés de ses coéquipiers. Les faits sont rapportés dans la même édition du 10 juin 1939 du Escher Tageblatt, sur la même page où est publié le premier récit de Léon Thurm: „Kaunas, 7.6.39. Schreckensbotschaft. Es ist zu schlimm, man kann es kaum fassen. Einer der Unsrigen ist nicht mehr. Adelio Mastrangelo hat heute nachmittag sein Leben gelassen. Noch so zufrieden heute morgen, noch so lebenslustig, aber jetzt… stehen wir alle an der Bahre eines teuren Kameraden, den wir alle innigst beweinen.“

Au Luxembourg, c’est notamment l’hebdomadaire du Comité olympique luxembourgeois, Les Nouvelles Sportives, qui pleure sa mort dans une notice signée J. D.: „Es war am vergangenen Mittwoch, an einem heißen Tage, an einem spielfreien Tage; nachmittags 3 Uhr, als man sich entschloss ein kühles Bad zu nehmen. Mit einem plötzlichen Aufschrei versank Adelio vor den Augen seiner Kameraden. (…) Morgen Dienstag werden wir ihn ins kühle Grab legen, den 21jährigen Burschen, der, gerade wie eine Tanne und stark wie eine Eiche, durch das Leben, über die Fußballplätze schritt. 21 Jahre! Herrliche Jugendzeit – in der ein Gewitter aufzog, und der Blitz fällte die gerade, hohe Tanne, schlug die starke Eiche um. Ist es Fatalität, ist es Zufall: am 13. Juni 1918 wurde Adelio (in Cedar Point in U.S.A) geboren, am 13. Juni 1939 nach genau 21 Jahren, an seinem 21. Geburtstag, nimmt ihn die Escher Erde auf. Das Leben ist voller Geheimnisse…“

Adelio est né en effet aux Etats-Unis à Cedar Point, près de Chicago, cinquième enfant de Remigio Mastrangelo et de Marianna Petronio, originaires de L’Aquila dans les Abruzzes italiennes. (Remigio aura cinq autres enfants avec une deuxième épouse dans les années 1920.) Remigio y travaillait dans les mines de charbon de l’Illinois. La famille retourne en Italie après la Première Guerre mondiale pour ensuite émigrer à nouveau, cette fois-ci dans le bassin minier lorrain-luxembourgeois et ses mines de fer, d’abord à Audun-le-Tiche en 1925, puis à Esch-sur-Alzette, en 1928, où ils habitent rue des Boers.

Ses coéquipiers Alphonse et Vic Majerus portent la première couronne de fleurs du cortège funéraire à l’enterrement d’Adelio Mastrangelo dans une rue de l’Alzette bondée, le 13 juin 1939. Photo de Victor Ahlen.
Ses coéquipiers Alphonse et Vic Majerus portent la première couronne de fleurs du cortège funéraire à l’enterrement d’Adelio Mastrangelo dans une rue de l’Alzette bondée, le 13 juin 1939. Photo de Victor Ahlen. Photo: Collection Denis Scuto

Une solidarité incroyable

Au Luxembourg, une formidable solidarité s’organise, solidarité dans l’émotion et solidarité matérielle. Le Tageblatt lance une souscription pour financer le retour de la dépouille d’Adelio. La dépouille est accompagnée par Léon Thurm jusqu’à Berlin et par son frère Claudio, complètement dévasté, puis c’est au tour du trésorier de la Jeunesse, Emile Hellinghausen, de les ramener à Esch. Son frère Claudio a fait un choc nerveux, perd pendant plusieurs mois l’usage de la parole et est incapable de reprendre son travail comme monteur chez l’installateur Gieleske à Luxembourg-Ville.

Le 13 juin, le jour du 21e anniversaire d’Adelio, plus de vingt associations et des milliers de personnes prennent part au cortège funéraire qui part du quartier de la Frontière, passe par la rue de l’Alzette pour mener Adelio vers sa dernière demeure, le cimetière de Lallange, où le président de la Jeunesse, Dr Emile Colling, „den Dokter vun der Grenz“, tient une oraison funèbre. Après avoir fait l’éloge du jeune apprenti-peintre, du défenseur athlétique des Noirs et Blancs au grand cœur, aimé de tous, il s’adresse en italien à la famille Mastrangelo: „Mi associo al suo grande dolore, unitamente alla collettività italiana ed a tutta la cittadinanza di Esch, che ha voluto oggi dimostrare, con piena solidarietà, communanza di affetto, di cordoglio, di suffraggio all’anima benedetta.“ (Zum Begräbnis Adelio Mastrangelos, Escher Tageblatt, 15.6.1939, p. 2)

Le capitaine de la Jeunesse Hoscheid lors de l’échange de fanions avant le match contre une „Städtemannschaft“ de Varsovie le 14 juin 1939, match perdu 3-1 par la Jeunesse. Les joueurs, aux mines sombres, portent un brassard noir en signe de deuil: de dr. à g., Bernard, Moia, Rosa, Hagener, Loesch, Dumont
Le capitaine de la Jeunesse Hoscheid lors de l’échange de fanions avant le match contre une „Städtemannschaft“ de Varsovie le 14 juin 1939, match perdu 3-1 par la Jeunesse. Les joueurs, aux mines sombres, portent un brassard noir en signe de deuil: de dr. à g., Bernard, Moia, Rosa, Hagener, Loesch, Dumont Photo: Archives nationales digitales Pologne

Pour l’équipe, le voyage continue vers la Pologne, le cœur lourd. Quatre matchs joués, quatre matchs perdus. Et des photos montrant des joueurs portant le brassard noir en signe de deuil et aux mines sombres. A l’Hôtel Royal de Varsovie où ils logent pendant une semaine, les drapeaux sont en berne. Les visites des sites emblématiques de la ville que racontent les photos de mon grand-père, les photos devant la statue de Frédéric Chopin, le Belvédère du Parc Lazienki, le restaurant et dépôt à vins Fukier, les réceptions et rencontres avec le consul de Belgique Comte d’Aspremont Lynden ou le Baron Jacquinot, administrateur d’AEG pour le Luxembourg et l’Europe, auraient pu être les points culminants d’une tournée inoubliable, dans le sens positif. Mais avec la mort d’Adelio, le bilan dressé de cette tournée fut négatif et les séquelles en furent longues. Les chemins de la Jeunesse et de Max Gold se séparèrent à la fin de la saison. Max Gold dut subir ensuite, comme les autres Juifs du Luxembourg, les discriminations et les persécutions des nazis qui occupèrent le Grand-Duché de 1940 à 1944. La saison footballistique 1939/1940 fut achevée par la Jeunesse à l’avant-dernière place, synonyme de descente de la Division d’honneur en Première Division, division inférieure dans laquelle le club sera classé en 1945, lorsque le championnat de football régulier reprendra dans le Luxembourg à nouveau libre.

Le bilan fait par Léon Thurm fin juin 1939 dans le Tageblatt résonna bien longtemps dans les têtes: „Wäre unsere Expedition komplett geblieben, vielleicht wäre unsere ganze Tournee eine Siegestournee geworden. Aber so… Mit des Geschickes Mächten, usw.“ (L.T., Jeunesse in Polen, Escher Tageblatt, 20.6.1939, p. 2)

Jeunesse Esch Musée

Le cycle de conférences Bar Sport, organisé par Denis Scuto et Joëlla Van Donkersgoed (C2DH), s’inscrit dans le cadre du projet „Jeunesse Esch Musée“, destiné à retracer l’histoire unique du club de la Frontière, fondé en 1907. C’est un projet collaboratif où le club, l’équipe de projet, les anciens joueurs, les supporters et toute personne intéressée enrichiront ensemble la collection historique des Noirs et Blancs et raconteront l’histoire du club dans un musée sur le Stade de la Frontière, qui doit ouvrir ses portes en 2027. Prochaine conférence sur la Jeunesse pendant la Seconde Guerre mondiale (en luxembourgeois avec traduction simultanée en français): mardi 20 janvier 2026, 19.30 h au Musée national de la Résistance et des Droits humains à Esch, „Les Morts pour la Patrie de la Jeunesse Esch“. Vous trouverez la version intégrale de la première conférence sur la tournée en Lituanie et en Pologne en luxembourgeois sur la chaîne Youtube de l’Université du Luxembourg: https://www.uni.lu/c2dh-fr/articles/conferences-bar-sport-traces-historiques-jeunesse-esch/Themen