Mittwoch10. Dezember 2025

Demaart De Maart

CinémaDans „Six jours, ce printemps-là“, Joachim Lafosse revient sur un souvenir d’enfance

Cinéma / Dans „Six jours, ce printemps-là“, Joachim Lafosse revient sur un souvenir d’enfance
Le cinéaste belge Joachim Lafosse Photo: Kris Dewitte

Fidèle observateur des dysfonctionnements familiaux, le cinéaste belge Joachim Lafosse suit cette fois Sana, une jeune mère divorcée. Sans doute „Six jours, ce printemps-là“ est son film le plus personnel. Rencontre.

Tageblatt: L’histoire du film vous est personnelle. Depuis quand vouliez-vous la raconter et pourquoi?

Joachim Lafosse: Cette semaine de vacances, mon frère jumeau et moi l’avons passée il y a 40 ans. Quand je suis rentré à l’école de cinéma, je me suis toujours dit que cet épisode de mon enfance ferait un film, car on a vécu quelque chose d’étrange. C’est le moment où nous découvrons, mon frère et moi, ce qu’est le déclassement social. On était dans une bulle et il y avait quelque chose de protecteur dans la famille de mon père. A partir du moment où ma mère ne tenait plus à vivre avec lui, elle ne faisait plus partie de cette bulle. Et du coup, d’une certaine manière, nous non plus. C’était particulier parce que, nous, on y avait encore droit, mais plus notre mère. Comme elle s’occupait encore de nous, la situation était étrange. C’est un moment où on grandit.

Un enfant de dix ans peut-il comprendre le déclassement social?

C’est à cet âge-là que je comprends concrètement que les choses ont changé. Je sais que ma mère n’a pas les moyens de mon père et que cela ne va pas être simple pour elle. Mais on l’a déjà compris quelques mois auparavant, quand Sana, dans le film, a dû se mettre à travailler, cumuler les boulots pour s’en sortir. Des jobs mal payés et difficiles parce qu’elle n’avait pas de diplôme. Et cette réalité-là, on n’a pas pu l’éviter. Puis, cela a été très étrange aussi lorsque notre mère nous annonce, „on va à la maison de vacances de vos grands-parents paternels, mais on ne dit rien“.

La question du divorce et des différences sociales concerne surtout les femmes …

Je pense que c’est une vérité sociologique et statistique. Les séparations et les divorces ont beaucoup plus de conséquences difficiles à gérer pour les mères divorcées que pour les pères divorcés, parce qu’elles ont moins de moyens. Alors c’est encore plus vrai quand les couples sont formés d’êtres qui ne viennent pas du même milieu ou de la même classe sociale. En fait, la différence sociale nous rattrape toujours, quelque part. C’est une des questions que pose le film: les différences de classe s’effacent-elles ou se révèlent-elles avec le temps? „Six jours, ce printemps-là“ expose mon point de vue sur la question.

L’acteur luxembourgeois Jules Waringo (d.) joue le nouveau compagnon de Sana (Eye Haïdara, g.)
L’acteur luxembourgeois Jules Waringo (d.) joue le nouveau compagnon de Sana (Eye Haïdara, g.) Photo: Cinéart

Et quel est votre point de vue?

En fait, j’ai réalisé beaucoup de films sur des crises familiales et je plongeais le spectateur au milieu de la crise. Dans „Six jours, ce printemps-là“, on est baignés après la crise. Et donc, on observe les retombées d’une crise pas résolue. Et on constate aussi les conséquences d’une idée de la famille, au fond très bourgeoise, qui voudrait qu’elle soit la propriété. Or, selon moi, la famille, c’est un lieu où il devrait pouvoir exister des séparations, des éloignements, des nouvelles alliances, sans que pour autant son fondement soit remis en question. C’est-à-dire que, à partir du moment où un couple se sépare, les parents des petits-enfants, pour moi, restent des gens de la famille. Quand on se sépare, on ne pense pas aux conséquences de la séparation pour les petits-enfants. Mais ce constat vaut tant au niveau de la famille qu’au niveau d’un État, d’une région, d’un pays … Les conséquences d’une séparation sont toujours à interroger. Ou on n’y pense pas du tout, ou on y pense mal.

Eye Haïdara dans „Six jours, ce printemps-là“
Eye Haïdara dans „Six jours, ce printemps-là“ Photo: Cinéart

Les grands-parents paternels sont absents …

Ils existent, ils sont totalement présents par leur propriété. Les grands-parents auraient peut-être accepté la présence de leurs petits-enfants – d‘ailleurs, les jumeaux le proposent – mais auraient-ils accueilli la maman pour autant? Rien n’est moins sûr. Parce que si la maman n’ose pas appeler les grands-parents pour leur demander un service, c’est parce qu’elle sait très bien qu’elle n’a plus droit à ça. C’est une réalité que des tas de gens vivent. Qu’est-ce qui fait qu’une femme n’ose plus parler, n’ose plus demander de l’aide quand elle est en difficulté? Qu’est-ce qui fait que cette femme pense qu’elle n’est pas légitime? Je pense que ce n’est pas du tout dû au hasard. On lui a bien fait entendre qu’elle n’était plus „admissible“. Une mère qui est obligée de cumuler deux boulots et de travailler jour et nuit pour s’en sortir, est une maman qu’on n’aide pas pour éduquer ses enfants. Et laisser une situation comme celle-là exister, c’est déjà une négligence.

Ce souvenir d’enfance a-t-il un impact sur votre vie d’adulte?

Evidemment, je suis le fruit de cette histoire. Quand je me suis séparé de la mère de mon fils, la première chose dont on a discuté, c’étaient les conséquences que notre séparation aurait pour notre fils. Et à partir de ce moment-là, je me suis dit, il faut faire attention. Je n’ai pas voulu reproduire mon vécu. Mais j’ai rencontré des spectateurs, en avant-première du film, qui m’ont dit quand c’est fini, c’est fini.

À propos du film

Faute de solutions pour les vacances de printemps, Sana (Eye Haïdara) emmène en cachette ses jeunes jumeaux et son nouveau compagnon (Jules Waringo) dans la luxueuse villa tropézienne de ses ex-beaux-parents dont elle a conservé la clé. La consigne? Passer inaperçus, ne rien dire. Trouver sa place, dans la société, dans la famille, ce n’est jamais simple. Surtout quand on est une femme, quand une séparation vous laisse seule avec des enfants à charge, et vous plonge dans une vraie précarité. La maison permet au cinéaste belge Joachim Lafosse de pénétrer la complexité des liens familiaux, une thématique qui hante son œuvre. Comme si le temps fait son œuvre, „Six jours, ce printemps-là“ dégage un parfum plus doux.

Comment avez-vous rencontré Eye Haïdara?

Je lui ai fait lire le scénario. Du coup, elle savait que l’histoire était inspirée d’un souvenir d’enfance personnel. Elle m’a posé des questions sur ma maman, sur comment on avait vécu ce séjour. Eye se sentait concernée par cette difficulté d’être légitime, cette manière de longer les murs, en tant que femme, en tant que Noire. Et donc, il y a un trait commun entre nous. On va se comprendre. Enfant, j’ai connu les beaux quartiers de Ramatuelle, où tout le monde se ressemble. Et donc il fallait quelqu’un de visuellement différent.

Comment avez-vous rencontré Jules Waringo?

Je connais Jules depuis une dizaine d’années. J’ai fait des castings avec lui. Il a incarné l’assistant de Leïla Bekhti dans „Les Intranquilles“. J’ai continué à le fréquenter. Il est devenu un ami et je trouve toujours qu’il a une douceur et une masculinité en lui. Jules est très moderne. Il a une histoire personnelle qui me parle par rapport à l’intrigue du film. Il a beaucoup vécu avec sa mère. L’histoire de „Six jours, ce printemps-là“ lui parlait.

Sana a une vie amoureuse …

Une des leçons que Sana donne à ses enfants, c’est de leur montrer qu’il ne faut jamais céder sur son désir. Malgré le fait qu’elle est mère, elle ne cède pas sur sa vie de femme. Ce n’est pas si simple que ça pour les enfants. Elle leur a caché sa relation amoureuse. Puis, il y a un moment où les enfants la découvrent. Mais en même temps, c’est de nouveau un moment crucial pour ses enfants parce qu’ils découvrent par là qu’une mère n’est pas qu’une mère. C’est aussi une femme et qu’elle a un désir, une vie à côté d’eux et que, pour autant, elle n’est pas une mauvaise mère.

„Six jours, ce printemps-là“ de Joachim Lafosse. Avec Eye Haïdara, Jules Waringo. Coproduction Samsa Film. Prix de la meilleure réalisation et Prix du meilleur scénario au 73ᵉ Festival de San Sebastián. En salles le 10 décembre 2025.