Freitag5. Dezember 2025

Demaart De Maart

LittératureValeriu Stancu: „L’insomniaque fusil de Rimbaud“ – Poésie entre rêve, rébellion et éternité

Littérature / Valeriu Stancu: „L’insomniaque fusil de Rimbaud“ – Poésie entre rêve, rébellion et éternité
„L’insomniaque fusil de Rimbaud“, paru en 2024 aux Editions Phi Photo: Editions Phi

Lauréat du Prix Mallarmé 2025, „L’insomniaque fusil de Rimbaud“ est un recueil poétique où Valeriu Stancu, poète roumano-français d’envergure, renouvelle l’art du vers par une trajectoire entre miroir mythique, face cachée et éphémère éternité, libérant une voix insomniaque en quête de feu et de lumière.

Né en 1950 à Iaşi, Valeriu Stancu est un écrivain, traducteur et éditeur de renom, actif en roumain et en français. Fort de plus de soixante ouvrages traduits dans le monde entier, il fait figure de pont culturel entre traditions européennes et modernité poétique. Sa poésie, aussi dense qu’elliptique, a trouvé avec „L’insomniaque fusil de Rimbaud“ une nouvelle incarnation marquante qui allie mémoire, insomnie créatrice et interrogations sur le langage.

Structure poétique et pistes philosophiques

Le recueil est organisé en trois sections symboliques: „Le reflet de Narcisse“, „La face cachée du miroir“ et „Eternité éphémère“. Chacune est une dimension, mais surtout une question à portée universelle. „Le reflet de Narcisse“ : Ce titre évoque le retour à soi et la fascination de l’image. L’insomnie, insomniaque naguère passif, devient observateur de son propre reflet. Le poète scrute ce double mêlé d’ombre, où s’entrelacent identité et fiction. Le miroir narcissique n’est pas une vanité, mais un acte de reconnaissance de soi fragmenté, éveillé, sans cesse recomposé, comme en témoigne par exemple la pièce poétique inaugurale intitulée „Autoportrait avec les ombres du passé“ : „Je n’envoie jamais de cartes postales / aux ombres du passé. / C’est trop sec, / c’est trop bête de dire / à la lumière que tu aimes / au prix de ta vie / „Sincères salutations ! / Je ne suis qu’un reflet de l’ombre.“ („La larme – miroir universel de l’illusion“, p. 7).

Avec „La face cachée du miroir“ s’ouvre la profondeur sous la surface. Là où Narcisse se contente de sa propre image, Stancu invite le lecteur à se retourner. Ce recueil ne se contente pas de se refléter, il investigue, il est une quête permanente. Derrière le visible, la poésie creuse, atteint la réalité comme un archéologue de la langue, exhumant le non-dit, l’inconscient, l’insomnie mentale. Le miroir devient alors objet de patrimoine mental, médium vers ce qui échappe au regard paisible. Enfin, le paradoxe poétique que constitue l’„Eternité éphémère“ fait entendre la respiration du temps.

Entre fulgurance du jour et vacillement de la nuit, chaque moment est à la fois fini et infini. L’auteur met en tension la temporalité ordinaire avec l’instant suspendu – là où un vers peut tenir l’éternité de l’émotion. L’épaisseur du temps se goûte dans la concision du poème: une éternité contenue dans l’éphémère, une émotion abritée dans un souffle de mots: „(…) de la souffrance / vol d’oiseaux aveugles / qui ramasse / les châtiments du vent / Nuit de grâce, / nuit sans bornes / nuit arc-en-ciel / sur l’azur de l’enfer / Chaque nuit, l’horloge du néant mesure nos abîmes“ (p. 82).

Une langue insomniaque entre retour et écriture

Le titre même, „L’insomniaque fusil de Rimbaud“, annonce une poésie à la fois armée et vigilante. Comme le poète adolescent, Stancu veut „changer la vie“ par le verbe. Mais ici le fusil est insomniaque: la nuit ne l’éteint pas; il veille, arme à la main, prêt à tirer des mots sur la nuit du monde. Cette figure symbolique met en lumière une écriture en état d’alerte: la poésie n’est pas refuge, mais projectile, geste de rébellion silencieuse contre l’oubli. Le style, à la fois grave et stratégiquement elliptique, incarne cette posture. Stancu maîtrise la densité: quelques mots suffisent à créer des creux de sens, des fractures lumineuses, des éclats d’éternité dans des vers lapidaires. La syntaxe cède parfois à l’ellipse, la ponctuation se fait respiratoire, comme un travail de sauvetage linguistique, prenant forme dans le souffle fragile de l’insomniaque.

Mes mains cernées / (vieilles forêts de sang) / cherchent dans le sceau des illusions / les mots, / tes mots endormis, / (fruits de l’arbre de nos souvenirs) / bannis dans le flou d’une tristesse à venir

Valeriu Stancu, „Exil chimérique“ dans „L‘insomniaque fusil de Rimbaud“, p. 97

Ce recueil ne se contente pas d’être une collection poétique: il trace une trajectoire spirituelle et philosophique. Narcisse, miroir, insomnie, fusil … tous ces motifs se déploient pour sonder la condition humaine, entre image et disparition, veille et révélation. Il devient ainsi une méditation où la langue se fait prière et arme, fragile et tranchante. Il invite le lecteur à une expérience poétique exigeante: reconnaître sa propre image fragmentaire, accepter de regarder derrière le miroir, ressentir l’éphémère comme lieu d’éternité. Plus qu’un recueil, c’est un espace mental, une veillée vigilante où les mots tirent dans la nuit pour illuminer ce qui se cache dans l’ombre.

En définitive, Valeriu Stancu signe, avec „L’insomniaque fusil de Rimbaud“, une pièce maîtresse de la poésie contemporaine d’expression française. Lauréat du prestigieux Prix Mallarmé 2025, il invente un langage à la fois densément symbolique et pleinement incarné. Par une écriture insomniaque, il renouvelle le geste poétique: recomposer le monde en fragments, tirer des mots dans l’obscurité, et faire de l’éphémère le lieu même d’une éternité retrouvée.