3. Dezember 2025 - 10.36 Uhr
Quatre femmes du „Quartier“ dans la lumièreSeize ans après „ Les Barons “, Nabil Ben Yadir revient à la comédie avec „ Les Baronnes “
Après „Les Barons“ (2009), Mokhtaria Badaoui se demandait pourquoi les mères étaient absentes du film. Sa réflexion a trotté dans la tête de son fils pendant seize ans. Il leur fallait une opportunité pour mettre en œuvre et en scène la suite.
„Les Barons“ est le premier long métrage du cinéaste bruxellois. Un immense succès. Un film-culte. Trois jeunes adultes molenbeekois, issus de l’immigration, ont pour devise: „glander plus pour vivre plus“… Une comédie déjantée, drôle. Yadir aurait pu facilement décliner des „Baron 2“, „Barons 3“ … Il se refuse de s’enfermer dans le ghetto molenbeekois. Il enchaîne des genres très différents: „La Marche“ (2013), „Angle Mort“ ( 2019) puis „Animals“ (2023), une reconstitution glaçante de l’assassinat sous la torture d’un jeune homosexuel à Liège. Le choc. Mokhtaria Badaoui se souvient: „J’ai vu mon fils fortement accablé par la réalisation d’‚Animals‘. Il m’a d’ailleurs interdit de le voir et je ne l’ai toujours pas vu. Je lui ai dit, réalise les baronnes!“ Seize années se sont écoulées. Yadir revient à la comédie. „Les Baronnes“ sont à l’opposé des „Barons“, car les grands-mères prennent leur vie en mains.“ Et comment!
Fatima la douce
N’allez pas croire que „Les Baronnes“ ait un lien quelconque avec la haute noblesse. La grandeur de ces mamies molenbeekoises se niche ailleurs. La comédie raconte l’histoire de quatre grands-mères qui se lancent dans le théâtre. Avant cela, Fatima (formidable Saadia Bentaieb) apprend que son mari, parti provisoirement au bled, la trompe. Ses copines n’ont qu’un seul mot d’ordre: „il faut le tuer“. La vengeance est un plat qui se mange froid. Sauf que Fatima, l’épouse délaissée, passe de l’autre côté du miroir (et de l’ordinateur, scène cocasse du film). Elle (re)plonge dans un autre monde. Celui de sa jeunesse. Déjà, elle savait qu’un jour elle ferait du théâtre. L’opportunité est trop belle. Plutôt que de se morfondre, au lieu de se soumettre, Fatima la douce convainc ses trois copines de jouer et de mettre en scène „Hamlet“ d’un certain Shakespeare. Les voici parties en croisade, en quête de liberté et d’émancipation. Elles cherchent leur (juste) place dans la famille, dans la société. Elles la trouveront. Il faut les voir, lunettes noires de stars, la tête haute, conduire leur trottinette, escortées de policiers dans les rues de Bruxelles! Un vrai commando. Sauf que dans ce „western“ dans la ville, les quatre rebelles affichent leur joie de prendre leur destin en main.
„Un Molenbeek tel qu’il est“
„Les Baronnes“ (coproduction Samsa Film) est en partie tourné au Grand-Duché de Luxembourg: au studio Filmland à Kehlen (notamment les scènes chorégraphiées par Sidi Larbi Cherkaoui) et, en intérieur, à Redange-sur-Attert. Les caméras ont été plantées principalement à Molenbeek. Ici, pas de violence, pas de fusillades … „Depuis les attentats terroristes en 2016, la commune souffre d’une image négative“, explique Nabil Ben Yadir. „Molenbeek est une formule. Quand les gens en parlent, ils font un raccourci. Ils accusent. Excusez-moi, mais nous, on sort les poubelles le même jour depuis 50 ans. La rue, elle est là, on a les mêmes voisins. Ce n’est pas le sensationnalisme qu’une certaine presse essaie de nous faire voir et vivre.“ „D’ailleurs, les attentats de 2016 n’ont pas eu lieu à Molenbeek“, observe Mokhtaria Badaoui. „En plus, des terroristes venaient aussi de Schaerbeek.“ Yadir précise: „Nous n’avons pas cherché à enjoliver Molenbeek. Ici, on vit comme tout le monde, avec ses hauts et ses bas. Vous savez, il n’y a pas de violence toutes les quatre secondes à Molenbeek. Ma mère, elle est là depuis ses trente ans. D’ailleurs, je n’ai pas l’impression d’avoir triché quand j’ai filmé Molenbeek. On a vraiment tourné sans effet spécial. Donc, c’est un autre Molenbeek. Un Molenbeek plus doux et moins sensationnel. Tel qu’il est.“

Au fait, comment cela se passe quand on réalise à deux? „On discute beaucoup, ma mère et moi, avant et après la scène de tournage, pas pendant“, confie Yadir. „Au bout du compte, dans un film, il faut toujours parler d’une seule voix. Même les frères Dardenne se mettent d’accord sur une seule solution. „Je ne tiens pas la caméra. Je regarde les images dans le combo et je lui donne mon avis“, complète Mokhtaria Badaoui. Et comment vit-on sa première expérience de (co)réalisatrice? Le plus simplement possible: „Pendant les trente-cinq jours de tournage, j’ai découvert la direction des acteurs, en l’occurrence des quatre actrices. J’ai appris comment elles fonctionnent. C’est passionnant.“ Yadir ajoute: „Par exemple, il y a beaucoup de beaux plans fixes. Mais ma mère adore les travellings. Je l’ai laissé décider.“
(Se) parler, discuter, lancer une idée, la mettre en images … Les merveilleux nuages qui apparaissent lors des conversations au téléphone, sont nés de l’imagination de Mokhtaria Badaoui. „Je trouvais son idée géniale“, appuie Yadir. „Il n’y a rien de plus ennuyeux que de filmer des textos sur un téléphone portable. Alors nous avons mis en place des nuages contrôlés par des fils, qui montent et descendent.“
„Si je réalise des films, c’est grâce à ma mère“
„Les Baronnes“ serait-il autobiographique? „Non. C’est de la fiction totale. C’est hyper important de le dire parce qu’on va toujours avoir l’impression qu’on va réaliser un film autobiographique ou inspiré de faits réels. Il est vrai que ma mère est une fan de cinéma. Elle adore les films d’Alfred Hitchcock. Elle aime la fiction. Ce que je raconte dans le film, c’est d’avoir le droit à la fiction, à pouvoir raconter une histoire sortie de notre imagination. Et donc, pour nous, on avait envie de faire un film où les baronnes voient une météorite, volent dans les airs, dansent, rentrent dans un ordinateur, s’amusent … On avait besoin de cette fiction-là.“
Mokhtaria Badaoui se dit proche de Fatima, „par son attrait pour l’art. Je ne vais pas vous mentir, je ne connais pas Hamlet (rire). J’aime le cinéma, surtout américain.“ Et Yadir de poursuivre: „Ma mère m’a bercée dans le cinéma. Si je réalise des films, c’est grâce à elle. Elle m’a toujours encouragé à faire du cinéma. J’ai mon diplôme d’électromécanicien, mais j’avais envie de faire des films. Je suis autodidacte. Je n’ai suivi aucune formation cinématographique.“
Dans „Les Baronnes“, Nabil Ben Yadir aborde par l’humour un sujet social fort, plutôt rare dans le cinéma: la place des mères et grands-mères issues de l’immigration. Il y montre sa capacité à mener une comédie chorale enlevée sur quatre femmes aux profils contrastés. Il en ressort un conte coloré, un récit onirique, sans perdre verve ni rythme, en dépit de quelques scènes surnaturelles un peu longues. „Les Baronnes“ évite le mélodrame, contourne l’écueil du sujet de société. La vie circule sur l’écran. Nabil Ben Yadir et sa maman se sont intéressés à la face lumineuse, „tellement ordinaire“, de la vie quotidienne à Molenbeek. Quatre portraits de femmes très ancrées. Universelles.
Info
„Les Baronnes“ de Nabil Ben Yadir et Mokhtaria Badaou. Avec Saadia Bentaieb, Rachida Boughanem, Halima Amrani, Rachida Riahi, Sanya Sridi, Chris Lomme, Jan Decleir. Prix du Meilleur film au Festival de Tallinn. En salles mercredi 3 décembre 2025.
De Maart
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können