30. Oktober 2025 - 7.40 Uhr
De Gudde WëllenDu Jazz Fusion par NCY Milky Band se produit jeudi au Luxembourg
Derrière ses façades Art nouveau, une autre architecture s’est dessinée à Nancy: celle d’une scène musicale. Dès les années 1980, KaS Product électrifiait la cold wave avec ses machines et son urgence punk; leur minimalisme a été salué outre-Manche. Dans les années 1990, le label Ici, d’ailleurs… prolonge l’esprit frondeur. Il révèle un certain Yann Tiersen, encore inconnu, et fait de Nancy un foyer d’explorations. À cette alchimie entre ancrage local et rayonnement souterrain, il faut ajouter l’influence du Nancy Jazz Pulsations.
Créé en 1973, le festival s’est imposé comme un carrefour des musiques libres, invitant dès 1986 des groupes comme The Residents. Dans ce terreau fertile germe, en 2019, le NCY Milky Band – „NCY“ pour Nancy. Le projet prend racine à Vandœuvre-lès-Nancy, au sein du label BMM Records (ex-Black Milk Music), fondé par Louis Treffel en 2012. À l’origine: une jam-session et des potes musiciens – Quentin Thomas (saxophone, flûte), Antoine Léonardon (basse), Paul Lefèvre (batterie) – tous passés par le jazz. L’idée est simple: accompagner les artistes de passage. Mais la formule dérape, dans le bon sens. Le groupe s’émancipe et s’affirme. L’aventure prend corps.
Éruption et mutations
Biberonnée au streaming et aux playlists sans frontières, une nouvelle génération fait exploser les étiquettes. À Londres, Los Angeles ou Paris, le jazz se réinvente en fusion avec le rap, l’électro ou la soul. Nancy, avec son ADN DIY, n’est pas en reste. Le NCY Milky Band remporte en 2019 le tremplin Jazz Up du NJP. La reconnaissance locale s’installe. On les retrouve perchés au sommet de la tour Thiers pour un concert filmé. L’Est de la France semble moins loin de Glasgow ou L.A. Puis le silence. Le monde se met en pause. Les confinements de 2020 stoppent net leur ascension. Les scènes ferment, les festivals s’évaporent, y compris une date prometteuse aux côtés de Cory Wong, l’homme-funk de Vulfpeck. Les quatre musiciens se réfugient dans leur studio. En mars et juin 2020, deux sessions intenses accouchent d’un premier album: „Burn’IN“. Un titre à double-fond: brûlure d’un trop-plein d’euphorie partagée, mais aussi clin d’œil ironique à une époque confinée, où l’élan vital s’est vu comprimé dans des murs étroits. „Burn’IN“, c’est la fête sans fête. L’éruption intérieure d’un groupe d’amis qui ne cède pas à l’ennui.
Il y a chez NCY Milky Band une liberté qui déborde les formes, un refus tranquille des frontières. Sur scène comme sur disque, le quatuor cultive l’hybridité joyeuse: un alliage de funk, de jazz, de pop, d’improvisations. Trois des musiciens ont grandi avec le jazz du conservatoire, tous se sont nourris de rap, de beats électroniques et d’expérimentations analogiques. Chaque morceau est une tentative de synthèse, toujours en mouvement. Sur „Young Fiasco“, la structure renvoie à une trap éthérée: basses 808, rythmes syncopés… sauf qu’ici, tout est joué live. Puis, en studio, trituré et recomposé. Résultat: une matière flottante, entre beatmaking planant et éclats jazz. „Magic Polo“ naît d’une impro électro captée en dix minutes, sur un break de batterie. En fond, un sifflet glisse, lancé par le bassiste. „Plus Profond“ ou „L’Ombre d’un Homme“ donnent au saxophone de Quentin Thomas l’espace pour souffler. En clôture, „Mermoz“ rend hommage à la rue de Vandœuvre où se trouve leur studio.
Vintage

Mais „Burn’IN“ n’est qu’un prélude. Avec „100 Ans“, sorti fin 2022, NCY Milky Band passe à la vitesse supérieure. Enregistré en partie pendant leur tournée, cet album explore le jazz expérimental, l’electronica française, le psychédélisme instrumental… Il y a quelque chose d’espace-temps dans cette matière: futuriste dans la production, mais nostalgique dans les textures, comme si un vieux vinyle de jazz-funk s’était fondu dans un beat de demain. Les titres eux-mêmes dessinent un imaginaire parallèle: „An Zéro“, „Le Cascadeur Fleuriste“ ou „54 Zeppelin“ – 54, le département de Nancy. L’influence des arrangeurs des seventies se fait sentir: Jean-Claude Vannier, Janko Nilovic, Alain Mion du groupe Cortex. En 2020, déjà, la mixtape „Our Gurus“ rendait hommage à leurs héros, soit Boards of Canada, les Fania All-Stars, George Clinton ou Madlib, le tout revisité live et analogique.
On retrouve cette approche artisanale dans le son même du groupe; le Fender Rhodes de Louis infuse chaque morceau d’une chaleur vintage; ils marchent dans les pas de figures comme Bernard Estardy ou Nino Nardini. Cette année, avec „Ok No Club“, le groupe pousse plus loin encore son goût de l’iconoclasme. Ce n’est pas un album de jazz, c’est une radio pirate venue d’ailleurs où l’on y capte des ondes étranges: synthés scintillants, breakbeats, cuivres fantômes, accords de Rhodes en apesanteur. Un peu de library music, un peu de future jazz, un soupçon de funk cosmique.
„Egypt I“ et „Egypt II“ découpent une même mélodie orientalisante en deux volets, comme deux scènes d’un film sans image. „Mid 90’s“ convoque l’ombre de DJ Shadow ou de Massive Attack dans une version dédoublée: d’abord groove enfumé, puis montée rave. Le processus est toujours le même: des jams collectives, captées à chaud, retravaillées en studio comme des puzzles. NCY Milky Band, c’est une alchimie entre improvisation organique et précision chirurgicale. En 2025, Fred Wesley, tromboniste de James Brown, partage l’affiche avec eux à Nancy, comme un passage de relais. Où vont-ils maintenant? Personne ne le sait vraiment. En attendant, ils sont au De Gudde Wëllen jeudi soir.
De Maart
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