19. Oktober 2025 - 15.07 Uhr
Le retour à la démocratieIl y a 80 ans, les Luxembourgeois votaient à nouveau librement

Les élections législatives du 21 octobre 1945 permirent au Luxembourg de renouer avec la démocratie après une mise en sommeil de presque une décennie. Les électeurs s’étaient rendus aux urnes pour la dernière fois le 6 juin 1937 à l’occasion d’élections législatives partielles dans les circonscriptions Nord et Centre, mais surtout pour se prononcer par référendum sur la loi dite „muselière“. Cette dernière prévoyait notamment l’interdiction des partis „opposés à l’ordre constitutionnel“, le Parti communiste étant visé en premier lieu.
Le rejet de cette loi par une courte majorité (50,67%) avait certes contraint le gouvernement qui l’avait proposé à la démission, mais aussi à la formation du premier gouvernement de grande coalition du pays, le gouvernement Dupong-Krier. Né du rapprochement de l’aile gauche du parti de la droite et de l’aile syndicale du parti ouvrier, ce gouvernement permit au Luxembourg de trouver une issue à la triple crise intérieure – économique, sociale et identitaire – qui l’agitait depuis le début des années 1930. L’envenimation de la crise extérieure l’amena toutefois à mettre en sommeil le système parlementaire.
La mise en sommeil de la démocratie
Le 28 septembre 1938, la crise des Sudètes ayant ravivé la crainte d’une nouvelle grande guerre européenne, la Chambre unanime avait voté la „loi portant extension de la compétence du pouvoir exécutif“, également connue sous le nom de „loi des pleins pouvoirs“. Celle-ci permettait au gouvernement Dupong-Krier de légiférer par arrêtés grand-ducaux, c.-à-d. sans intervention parlementaire, et de disposer de crédits budgétaires non votés. Une nouvelle, celle du 29 août 1939, prolongea ces pouvoirs „jusqu’à disposition contraire“ et annula par ailleurs toutes les élections.
Après avoir quitté le pays le 10 mai 1940, le gouvernement Dupong-Krier, devenu gouvernement en exil, put continuer à légiférer sur la base de ces lois. Mais une fois rentré au Luxembourg en septembre 1944, il songea revenir au système parlementaire. Cela était d’autant plus urgent que les principaux mouvements de résistance, réunis au sein de l’Unio’n, remettaient en question sa légitimité, l’accusant d’avoir abandonné le pays le jour de l’invasion, et dénonçaient tout aussi vivement le système des partis.
Le 6 décembre 1944, la Chambre des Députés se réunit pour la première fois depuis sa dissolution par les Allemands, en octobre 1940. Mais seule une minorité des députés d’avant-guerre (25 sur 55) put assister à la séance. Les autres étaient soit morts, soit entre les mains des Allemands, soit emprisonnés pour collaboration. Pour que la Chambre puisse fonctionner normalement, il aurait fallu organiser de nouvelles élections, mais cela était impossible à ce moment. Des dizaines de milliers d’enrôlés de force, de déportés et des transplantés (Ëmgesiidelter) étaient encore piégés dans des territoires contrôlés par les nazis à ce moment-là.
Le retour progressif à la vie parlementaire
La solution provisoire que trouva le gouvernement fut de créer une Assemblée consultative le 22 février 1945. Celle-ci était composée des députés présents au Luxembourg ainsi que de 30 représentants de la société civile et de la résistance. Avec le retour progressif des camps des députés déportés et transplantés, le nombre de ces derniers finit par monter à 37 au sein de l’Assemblée consultative. Cette dernière comptait donc 67 membres lorsqu’elle arriva au terme de son mandat, le 16 août 1945.
Entre-temps, la plupart des Luxembourgeois captifs en Allemagne ainsi que des enrôlés de force avaient été rapatriés. Ceux d’entre eux qui avaient été capturés par les Soviétiques furent renvoyés chez eux à partir d’août 1945. Les conditions étaient à peu près requises pour organiser des élections. Les principaux partis d’avant-guerre y prirent part. Le seul véritable nouveau venu fut le Groupement patriotique et démocratique (GPD), émanation de l’Unio’n.
Opposé au système des partis – d’où le choix de se présenter comme un groupement – le GPD proclamait vouloir dépasser ces derniers et donner de nouvelles institutions au pays. Il mettait d’ailleurs en avant qu’il comptait dans ses rangs des hommes (mais pas de femmes) issus de la résistance ainsi que quelques politiciens repentis – „männer aus der resistenz a fre’ere parteipolitiker, de’ sech e’erewirtlech verflicht hun, kenger anerer politescher partei me’ unzegehe’eren“ pouvait-on lire dans le manifeste du GPD d’août 1945. Les résultats des législatives d’octobre 1945 furent donc une douche froide pour le Groupement.
Gagnants et perdants
La publication des résultats montra d’abord que, malgré les critiques acerbes de la résistance, les membres du gouvernement restaient populaires. Le conservateur Pierre Dupong et le socialiste Pierre Krier obtinrent ainsi le plus grand nombre de voix individuelles sur leurs listes respectives. Plus généralement, les partis traditionnels gardèrent l’essentiel de leur assise. Le grand vainqueur, avec 41,42% des voix et 25 sièges, fut le Parti de la droite – ou plutôt le Parti populaire chrétien-social (CSV), comme il se nommait désormais.
L’autre parti du gouvernement sortant, le Parti ouvrier, devenu Parti ouvrier socialiste luxembourgeois (LSAP), arrivait en deuxième position avec 26% des voix et 11 sièges. Cela représentait un recul par rapport à ses résultats d’avant-guerre qui s’expliquait par deux raisons. La première était que la campagne du parti avait déstabilisé ses électeurs. Son président, Michel Rasquin, avait pris ses distances par rapport aux ministres socialistes et adopté un discours qui se rapprochait de celui de l’Unio’n, notamment en matière d’épuration.
Mais la raison principale était la très forte progression du Parti communiste (KPL). Parti paria des années 1930, il jouissait désormais de son aura de parti résistant. C’était le seul parti politique luxembourgeois qui avait préféré entrer dans la clandestinité plutôt que de se dissoudre, et ses membres avaient payé un lourd tribut durant l’occupation. En 1945, il parvint à réunir près de 13,5 des voix et à obtenir 5 sièges.
Du côté des perdants, on trouvait les libéraux. En très nette perte de vitesse depuis les années 1930, ils ne s’étaient présentés aux élections que dans la circonscription Sud. Leur liste y était menée par un député sortant particulièrement critiqué pour son attitude durant la guerre, Guillaume Theves. Ingénieur à l’ARBED, il s’était fait remarquer durant l’hiver 1940 par son adhésion au parti collaborationniste Volksdeutsche Bewegung (VdB), ses appels aux ouvriers de l’aciérie Terres-Rouges à suivre son exemple et sa proximité avec l’Ortsgruppenleiter d’Esch. Par la suite, il avait pris ses distances avec les nazis et avait même fini par être poursuivi par ceux-ci, mais sa collaboration initiale avait laissé une tache indélébile. En octobre 1945, il fut sèchement battu aux élections.
Une partie des libéraux, désormais sans domicile politique fixe, finirait par rejoindre le GPD. Celui-ci avait réussi à se placer en troisième position avec 16,7% des voix et 9 sièges. Ce résultat était plus qu’honorable pour un parti né à peine trois mois plus tôt. Il ne correspondait toutefois pas aux attentes de ses dirigeants et adhérents qui auraient souhaité un désaveu sans ambiguïté du gouvernement sortant et une majorité lui permettant d’imposer un changement de régime. Dès le 23 octobre, D’Unio’n, le quotidien du groupement, tira les conclusions du scrutin: „D’vollek huet geschwat. Ob d’vollek sech dach vleicht — o’ni absicht natirlech — geirt huet, dat ass eng aner fro an de’ passt och eigentlech net heihinnen! Mir sin démocraten an erkennen de wëll vum vollek un an dat schle’sst an sech, datt mer ons dem wëll vum vollek ennerwerfen. […] D’Unio’n ass sech der schwe’erer situatio’n vun der zeit voll a ganz bewosst. D’Unio’n ass et gewinnt, fir d’allere’scht un d’Hémecht ze denken. D’Unio’n ass der ménong, datt et am intresse vun der Hémecht am beschten ass, eng regirong vun ‚Union Nationale’ ze constitue’eren.“*
* „An elo…“, in: D’Unio’n, 23 octobre 1945, p. 1.
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