Berlin n’est pas une ville étrangère pour Brian Ca. La première fois qu’il y séjourne, c’est pour fêter le Nouvel An. Quelques années plus tard, en mars 2020, il y revient pour y danser. C’est alors que la pandémie du corona éclate. „C’était la première fois depuis 2010 que je me retrouvais dans un endroit seul. Il y a beaucoup de gens pour qui le confinement a été une épreuve extrêmement dure. Pour moi, ça a été une espèce de renouveau. Une chance de me dire: en fait, la stabilité, un endroit à soi, c’est bien. Le temps de faire une introspection.“ De cette parenthèse naissent les projets „Ultra“ et „We Need to Find Each Other“.
Depuis Berlin, Brian Ca conçoit de nouvelles chorégraphies et concepts sur zoom, en dialoguant avec Julia Rieder et Douglas Becker. L’expérience est décisive: „A Berlin, tout s’est aligné pour que je puisse commencer à créer. Berlin est une ville qui donne de la place à la personne.“ Cet été, Brian Ca est revenu à Berlin pour prendre part à la résidence au Uferstudios grâce au soutien de Kultur:lx, et travailler à Satellites – un ambitieux projet dont la genèse remonte à plusieurs années, lorsque Brian Ca découvre les premiers „drone shows“ en Asie: „A l’époque, il s’agissait encore de spectacles en plein air avec des drones massifs. Je n’étais pas encore chorégraphe et je n’avais pas de subventionnaires, donc l’idée me paraissait impossible à mettre sur pied.“ Ce n’est qu’après son premier solo, soutenu par le Monodrama Festival en 2023, que l’occasion se présente. Enthousiasmé par le travail du danseur et chorégraphe, le festival l’encourage à imaginer une nouvelle création, mais exige qu’il soit seul en scène. „Je me suis souvenu de mon idée des drones, que je leur ai alors proposée. Ils ont dit: ,OK, go, c’est un projet un peu fou mais allons-y.“
Satellites

L’histoire de Satellites est simple en apparence: un personnage isolé se réveille dans un lieu aseptisé. Il ne sait pas vraiment qui il est – est-il un clone? un humanoïde? a-t-il a subi une opération? – et découvre n’être pas seul dans cet espace inconnu: des drones se mettent en mouvement autour de lui. Progressivement, le personnage entre en interaction avec eux. „C’est un peu comme des jouets, comme des personnes qu’il a connues ou pas. Le défi est de mettre cette idée sur pied sans la rendre kitsch ou narrative.“
La recherche s’accompagne d’une réflexion sur la technologie et le rapport que nous entretenons avec elle. „Il y a la solitude, l’addiction aux technologies. Depuis tout petit, je suis très accro aux écrans. Avec cette pièce, j’ai envie de montrer que l’avancée technologique n’est pas forcément quelque chose de mauvais. Elle peut devenir une arme, être utilisée à terrible escient par certains gouvernements, mais elle peut aussi contribuer à une œuvre d’art ou à quelque chose qui fait du bien. Le final de la pièce tend vers ce côté magique.“
Pour enrichir le processus, Brian Ca a fait appel à des danseurs basés à Berlin – Kilian Löderbusch et Romane Petit – qui lui permettent de retrouver son rôle de chorégraphe durant les répétitions: „Avoir des danseurs qui viennent tester, chercher, c’est un grand avantage. Ce spectacle est un solo, mais il faut être en groupe pour créer un solo.“ A cela s’ajoute l’usage des drones, pari technologique et esthétique. „Le son du drone est en lui-même angoissant. Nous avons pris le parti de l’utiliser dans le spectacle. De même que pour la lumière. On est dans un genre de scénographie numérique 2.0, puisque les lumières volent et bougent dans ce spectacle. Trouver l’équilibre entre le corps et le digital est vraiment au cœur de mon travail ici.“
L’œuvre devient entité unique
Comme souvent dans son parcours, Brian Ca perçoit la création comme une entité vivante qui échappe à son auteur. „Chaque création devient une entité unique. Et je n’ai pas forcément un style qui se définit, parce que chacun de mes spectacles est très différent des autres. C’est Phia Ménard qui parlait du concept de se faire déposséder de son œuvre. Je trouve cette idée fascinante, car elle m’oblige à penser de manière différente, et à surmonter de nouveaux obstacles.“ Brian Ca s’interroge également sur la nécessité de devoir apporter des réponses aux questions soulevées dans ses créations. „La solution n’est-elle pas fondamentalement personnelle, propre à chacun, voire sociétale, même? Pourquoi serait-il à l’artiste de répondre? Ce qui importe à mes yeux, c’est de mettre en lumière un problème. L’interprétation personnelle du public est fondamentale pour moi, car c’est à partir de là qu’un dialogue se crée.“ Cette volonté de dialogue se nourrit aussi de son histoire personnelle. Issu d’un milieu modeste, Brian Ca revendique une démarche d’ouverture: „Le fait de ne pas avoir baigné dans la culture lorsque je grandissais me permet finalement de pouvoir accompagner les gens dans leur propre découverte, en partant de rien, et de façon à évoluer. J’ai toujours à l’esprit la nécessité de rendre mon travail plus accessible.“

Depuis toujours, Brian Ca caressait le rêve de devenir chorégraphe. „La transition de passer de danseur à chorégraphe a été assez longue, et laborieuse, le temps de trouver des soutiens, le temps de trouver un endroit où m’installer. Bernard Baumgarten [directeur artistique du Trois C-L] m’a dit que si je m’installais au Luxembourg, il me soutiendrait. La vie nous amène au bon endroit. Je suis épanoui à Luxembourg et contrairement à d’autres pays, il y a un contact qui est très direct avec tous les représentants de la culture. Il y a quelque chose de simple et sain. Ma philosophie est d’aider les personnes autour de moi – danseurs, chorégraphes – et je ressens que le ministère de la culture est dans une démarche similaire. Les subventions permettent de renforcer les connexions et structures de soutiens qui bénéficient aux jeunes artistes et plus largement à tous les acteurs du secteur culturel.“
Sensibilité
La démarche de Brian Ca est de donner place à l’individualité de chaque interprète. „Je travaille avec chaque danseur pour la personne qu’il est. Je veux garder les défauts et les qualités de chaque personne, les rendre uniques. L’important n’est pas ce que je veux que le danseur fasse, mais ce que lui a envie d’amener. Et la façon dont on peut le faire ressentir encore plus dans la pièce. C’est de là que part l’émotion.“ Pour Brian Ca, la création est également une confrontation avec soi-même. „Je ne suis pas du tout bienveillant quand je danse avec moi-même. Souvent, lors d’une création solo, lorsque je regarde les vidéos prises en répétition, je me dis: Je ne fais que des trucs nuls. Mais avec le temps, le fait d’acquérir un regard plus distancé me permet d’identifier les éléments avec lesquels il m’est possible de travailler. Le recul m’aide énormément.“
Série
Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“.
C’est ce regard sensible, lucide et exigeant qui fait le fil entre ses différentes créations. Entre spectacles solos et projets collectifs, ambition et dépossession, Brian Ca cherche à ouvrir des espaces de dialogue. Ses pièces, même lorsqu’elles prennent appui sur des technologies spectaculaires, naissent toujours de réflexions profondes et personnelles. „L’ego est un guide. C’est un ennemi dans le sens où je crois que les gens qui ont trop de confiance et trop d’ego ne se posent pas toujours les bonnes questions. Moi, je m’en pose tellement que forcément, je vais trouver des réponses. Le fait de ne pas avoir une confiance en soi à deux cent pour cent amène beaucoup plus de sensibilités et d’ouverture à l’autre, à la société. L’ego est un ennemi pour moi-même, mais un ami pour tous mes spectacles.“
Chaque création devient une tentative de traduire ces interrogations, fragilités et visions dans un langage scénique. Singulières et intimes, elles naissent d’explorations intérieures que Brian Ca offre au public, dans une démarche empreinte de poésie, de philosophie et de vulnérabilité, dans un appel au partage, à la réflexion, à la tolérance et à l’acceptation.
De Maart
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