Antoine de Saint Phalle est arrivé à Berlin „par amour“: „Eugénie Anselin, ma compagne, est entrée dans une agence de comédiennes et comédiens basée à Berlin. On s’est d’abord rendus à la Berlinale, pour voir si on aimait la ville.“ Quelques jours sur place suffisent à les convaincre: „Je trouve qu’il y a vraiment un sentiment de possible à Berlin, même si c’est pas forcément facile de vivre sur place de son art. Mais tout le monde est ultra-positif, très curieux, très ouvert. C’est vraiment une ville qui inspire.“ Multi-disciplinaire, Antoine de Saint Phalle est notamment photographe. Aux côtés des portraits qu’il réalise de comédiennes et comédiens, il pratique la photo de rue: „J’adore faire des photos en manifestations, parce que les gens acceptent d’être pris en photo. C’est un moment collectif, ce n’est pas un moment privé. Et puis les manifestations sont pour moi un moment galvanisant, euphorisant. Il y a une énergie communicative incroyable, qui me fait un bien fou. J’aime me rendre en manifestation avec un seul objectif, car cela me permet de poser une limite d’emblée, un cadre pré-défini.“

En dehors de la photographie, le champ d’exploration d’Antoine de Saint Phalle se joue en particulier au théâtre et au cinéma, dans la co-création avec sa compagne, l’actrice et autrice Eugénie Anselin grâce à laquelle Antoine de Saint Phalle s’est lancé dans la mise en scène. „La première fois que j’ai mis en scène, c’est Eugénie qui m’a demandé de la diriger dans son deuxième one-woman-show. J’ai tout d’abord été surpris, car je n’avais pas encore d’expérience en mise scène, encore moins pour la dynamique d’un seul en scène. Mais Eugénie a insisté. Etant donné mon passé de comédien et le lien qui nous unit dans la vie, j’étais pour elle la personne la mieux placée pour la diriger dans cette pièce. On avait déjà beaucoup discuté de ces rôles précèdent, lorsqu’elle avait des gênes ou des questionnements, lorsqu’il lui fallait passer des paliers dans certaines de ses pièces, on en parlait ensemble.“ De fil en aiguille, ce premier projet devient le point de départ d’un vrai dialogue artistique: „On a avancé ensemble et on adore travailler ensemble. On forme une véritable équipe. Eugénie est beaucoup plus douée que moi pour l’écriture et les dialogues. C’est vraiment son domaine. Et quand on tourne, on décide de tout ensemble – les repérages, le cadrage … Ensuite, elle est devant la caméra, mais ça reste une véritable co-réalisation, car on a tout abordé ensemble avant.“ En 2022, ils co-écrivent et co-réalisent le court-métrage Adam, notamment présenté lors du LuxFilmFestival.
„Dammriss“, fragments de vie d’un couple avec enfant
Leur dernière création commune, la pièce de théâtre „Dammriss“, soutenue par la bourse Edmond Dune, a été créée au Kasemattentheater en juin dernier. La naissance de leur second enfant oblige le couple à se réorganiser, mais leur permet également de nourrir le texte: „Eugénie avait écrit une première version avant la naissance de notre fils. Après sa venue au monde, on a dû repousser d’un an la création de la pièce, on l’a donc décalée d’une saison. La pièce raconte le moment de l’arrivée d’un enfant dans un couple. La question, c’était: Comment vont-ils survivre? Qu’est-ce que ça change fondamentalement dans la dynamique du couple? Comment un couple arrive à se réinventer et à se reconstruire. Eugénie a beaucoup lu autour de la question, écouté quantité de podcasts, et on a beaucoup échangé. Après la naissance de notre fils, il avait besoin d’être porté en permanence, il n’acceptait pas la tétine et voulait constamment téter le doigt. Donc Eugénie lui donnait le petit doigt d’une main et corrigeait son texte de l’autre!“ Mise en scène de façon épurée – „on commence plateau vide“ –, la pièce laisse progressivement l’enfant envahir l’espace: une poussette, une table à langer, des gazouillis hors champ. „Physiquement, on ne voit jamais l’enfant, mais il prend de plus en plus de place.“
Avec Eugénie, on s’inspire mutuellement, on se respecte. On grandit ensemble.
La dramaturgie repose sur une alternance entre légèreté et tension. „C’était de bien délimiter les moments drôles, où Eugénie et Jonas [Götzinger] allaient pouvoir improviser – le côté clownesque, le côté féérique. Et tout d’un coup, les bascules avec entre les moments vraiment comiques, et les moments – non pas tragiques – mais où la vie prend le dessus, avec ses tensions.“ Dans sa structure, la pièce rappelle Fragments de la vie d’un couple, d’Ingmar Bergman: elle se déroule sur deux ans, depuis la découverte de la grossesse jusqu’au premier anniversaire du bébé. En tant que metteur en scène, Antoine de Saint Phalle a envie de se mettre au service du texte. „Eugénie et Jonas avaient tellement d’inventivité. Mais à un moment donné, il fallait se rendre à l’évidence et resserrer pour les aider à donner plus de tension dans la situation.“
De „Dammriss“ à „Ex“: le couple, dix ans après
Le prochain projet d’Antoine de Saint Phalle prolonge le questionnement initié par „Dammriss“. Il s’agit de „Ex“, de Marius von Mayenburg. „C’est un peu comme si on retrouvait les personnages de la pièce d’Eugénie, mais dix ans après. Où en sont-ils?“ Dans cette œuvre, le quotidien s’alourdit de frustrations professionnelles et familiales. „C’est l’histoire d’un couple qui a deux enfants. Et ce soir-là, l’ex du mari débarque. Je dirais pas que c’est un jeu de massacre, mais on sent dès le début que ça ne va pas, et toute la pièce repose sur cette tension: jusqu’où ça va aller? Ça rappelle un peu ,Who’s Afraid of Virginia Woolf‘, d’Edward Albee. C’est assez violent. Du coup, c’est jouissif de mettre en scène ce couple.“ Eugénie y interprètera la femme, aux côtés de Pitt Simon et Rosalie Maes. Les répétitions débuteront en février, avec une première prévue en mars au Théâtre du Centaure.
Série
Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“.
Travailler en co-création avec Eugénie Anselin nourrit également Antoine de Saint Phalle dans sa déconstruction du male gaze, ce „regard masculin“ qui façonne depuis toujours les récits visuels et narratifs. „J’ai lu l’autrice Iris Brey. Son ouvrage m’a vraiment aidé à comprendre. J’avais écrit un court-métrage avant de lire son livre et en le refermant, je me suis dit que si je réalisais cette histoire, j’en changerais le point de vue. Même si j’essaie de me déconstruire, il y a toujours des endroits qui continuent de me surprendre. Je pense qu’on n’est jamais complètement déconstruit. Mais le fait de travailler à deux nous permet de confronter nos points de vue, ça nous aide à ne pas aller dans les clichés de façon inconsciente. Si on joue avec les clichés, c’est qu’on veut le faire.“ Par ailleurs, le fait de devenir père a profondément transformé le rapport d’Antoine de Saint Phalle au temps et au sentiment de légitimité.
„En matière de création, la paternité me nourrit. Etre père m’aide à ne plus me poser quantité de questions. Il n’y a pas de temps à perdre! Ça accélère le côté concret des choses: j’ai cette fenêtre de temps devant moi, là, maintenant, tout de suite, allons-y!“ Les enfants apportent à la fois épuisement et joie: „Jamais je n’aurais pensé accéder à un tel seuil de fatigue et me rendre compte que j’étais encore capable de fonctionner!“ Mais cette intensité agit comme un moteur: „Ça a été une accélération, une façon d’être plus concret et de passer à l’action dans les projets.“
Si Berlin demeure une ville d’inspiration, la vie familiale pousse aujourd’hui Antoine de Saint Phalle et Eugénie Anselin à revenir à Luxembourg. „Avec deux enfants, la logistique était devenue trop lourde. Il faut simplifier.“ Le couple ne pouvait plus maintenir le rythme incessant des allers-retours entre Berlin et Luxembourg, où les projets professionnels ne cessent d’affluer pour eux. Entre Luxembourg et Berlin, vie familiale et création, écriture et mise en scène, une évidence se dessine: l’art se nourrit d’abord du partage et de la co-création. „Avec Eugénie, on s’inspire mutuellement, on se respecte. On grandit ensemble.“
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