Tout commence par un clin d’œil japonais: quatre filles de Los Angeles choisissent leur nom dans un film d’ados qui montent un groupe pour reprendre The Blue Hearts, „Linda Linda Linda“ de Nobuhiro Yamashita (2005), où jouent Bae Doona, Aki Maeda, Yu Kashii et Shiori Sekine (Base Ball Bear). Chez The Linda Lindas, l’humeur est déjà un cinéma de classe, énergie de couloir et refrains écrits pour la cour de récré, mais avec l’ambition de la grande scène. Elles s’appellent Bela Salazar, Eloise Wong, Lucia et Mila de la Garza, ce sont deux sœurs, une cousine et une amie. Il s’agit d’un „pickup cover band“ mis sur pied par Kristin Kontrol de Dum Dum Girls pour Girlschool LA en 2018; très vite, le one-shot devient un quatuor durable. Leur baptême de feu public, c’est aussi une scène: une bibliothèque municipale, des piles de romans jeunesse en décor et une chanson qui mord, c’est „Racist, Sexist Boy“, un texte écrit après une remarque raciste adressée à Mila.
Proche du mouvement riot grrrl
Filmée au Los Angeles Public Library en 2021, la vidéo devient virale et précipite la signature chez Epitaph. Amy Poehler, qui les avait vues ouvrir pour Bikini Kill en 2019, les invite dans son film „Moxie“ (2021): la boucle riot grrrl n’est pas un hommage de musée, c’est une filiation totale. Avec „Growing Up“ (2022), produit par Carlos de la Garza – ingénieur et père de Lucia et Mila, passé par Best Coast et Bleached –, elles capturent une adolescence inquiète sans s’y engluer: les doutes, la solitude, le manque de contrôle sont battus au tempo power-pop, surf et punk. On y croise le chat „Nino“ (ode féline transformée en single), l’auto-parole de „Talking to Myself“, la ballade hispanophone „Cuántas Veces“ où l’acoustique bossa-surf desserre l’étau du punk. „Racist, Sexist Boy“ garde son nerf, mais l’album serre surtout la vis des mélodies courtes et accrocheuses. Leur classicisme de moyens – guitare-basse-batterie, chœurs comme des traits d’union et distorsion sobre – tient à une vertu artisanale: il est question d’écrire vite et de condenser. Enregistré pendant les plages scolaires et l’ombre du distanciel, le disque n’en fait pas qu’une esthétique du bricolage, c’est de l’épure pure et dure. Au moment de l’enregistrement, Mila a onze ans; les autres en ont entre quatorze et dix-sept. La jeunesse impose un cahier des charges: pour l’essentiel, aller droit au but et jouer très fort.

L’arbre généalogique se ramifie: on pense à Best Coast pour la spontanéité early, aux Go-Go’s pour le nerf solaire, à Shonen Knife pour l’allégresse punk qui découpe au couteau rond. La parenté n’est pas seulement théorique, puisque The Linda Lindas filment au Japon et invitent Naoko Yamano dans le clip d’ „All in My Head“, où une voix chuchote la fatigue d’une héroïne d’Ottessa Moshfegh („My Year of Rest and Relaxation“) transposée en guitare acoustique et montée d’électricité. „I like it better when it’s all in my head“, lâchent-elles, c’est un aveu ironique avant que le morceau n’explose. „No Obligation“, leur deuxième album sorti en 2024, annonce la couleur dans son nom. La chanson-titre enfonce le clou, le riff est tournoyant et la batterie au pas de charge. Et cette interpellation qui griffe l’ego: „Would you like me better if I wasn’t a mess?“. Autour, le disque ouvre les fenêtres: „Too Many Things“ déroule une ritournelle nerveuse qui liste l’overdose moderne; „Resolution/Revolution“ réactive une pulsation plus âpre; „Yo Me Estreso“ s’échappe vers un norteño psyché, accordéon inclus, qui fait figure ici d’invité idéal. À chaque fois, la formule est la même et elle n’est jamais identique, selon ce triptyque : la densité, la vitesse et l’image claire. La politique est affaire de voix, et non pas de sermon. „All in My Head“ déplace l’angle: fatigue, injonctions, être des jeunes femmes et refuser l’assignation.
Large palette musicale
Leur trajectoire ne s’écrit pas en vase clos. Le groupe a fait des premières parties en cascade (Paramore, Green Day, The Breeders, Rolling Stones), jusqu’au baptême Coachella, et pourtant, la musique garde la taille du club, il y a, chez elles, cette proximité de regard qui fait le punk. Dans l’écosystème riot grrrl, The Linda Lindas arrivent avec un double passeport: l’âge (rappelons qu’Ari Up, n’avait que quatorze ans à la naissance des Slits) et l’éthique DIY; mais là où les années 1990 hurlaient la colère depuis Olympia ou Washington, elles reformulent depuis L.A., ville-archipel où surf, garage et pop sucrée ne s’excusent pas d’être politiques. Écrire sur des chats, sur l’isolement ou sur le sexisme scolaire: la palette paraît large, la batterie cravache, les guitares vrombissent sans graisse, le chant tranche puis cajole. On revient à l’origine: „Linda Linda Linda“, des adolescentes, une salle de classe, l’audace de rejouer … The Linda Lindas prolongent ce moment: elles rejouent à leur âge, avec l’autorité de celles qui n’ont rien à devoir.
De Maart
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