Tageblatt: Pouvez-vous me parler de votre lien avec le Liquid Bar?
Christian Ries: Le Liquid Bar a ouvert en 2001. Avec Bluebird, on y a une histoire longue: dès 2009, on en assurait déjà la programmation, jusqu’en 2013 avec l’asbl. #9 . Ensuite, Bluebird a repris le relais sous son propre nom, jusqu’à la fermeture en 2018. Cinq ans de silence. Quand le lieu rouvre en 2023, une jeune équipe tente l’aventure. Programmation amateure, communication hésitante, peu de public. Un soir, en juin 2024, on m’appelle à la dernière minute: mon trio BMAD remplace un groupe au pied levé. Et là, sur place, on m’annonce que la personne en charge de la programmation jette l’éponge.
Du coup, vous vous êtes à nouveau lancé dans l’aventure.
Dès le lendemain, j’envoie un mail aux nouveaux gérants, au nom de Bluebird Music. Dix ans d’expérience à faire valoir. Réunion. J’annonce la priorité: revoir les cachets. Depuis les années 1990, rien n’avait bougé: 12.000 francs luxembourgeois, soit 300 euros, quelle que soit la taille du groupe. Pendant que le prix de la bière grimpait, les artistes, eux, stagnaient. Alors j’ai proposé une nouvelle grille: 200 euro en solo; 300 pour un duo; 450 en trio; 600 dès le quartet, avec un plafonnement. On est les seuls à avoir réussi à doubler les cachets. Le Liquid a accepté. On a lancé une période d’essai de six mois. Résultat: chaque concert est viable financièrement. Le Liquid prend 81 pourcent des coûts; nous, via subventions publiques, on couvre les 19 pourcent restants. Et aucun euro de subvention ne va au bar. On les utilise pour financer les cachets.
Vous-même, vous êtes leader du groupe de jazz-blues précité, BMAD. Est-ce que cela change votre regard sur les artistes?
Évidemment. Je connais bien la scène jazz et blues, et je découvre aussi de nouveaux visages. Jeff Herr s’occupe du jazz, moi du blues et des sessions acoustiques – les Coffee Sessions notamment. Je gère aussi l’accueil des groupes au Liquid Bar. J’y vais dès que possible: je leur explique le fonctionnement, le matériel, le piano de scène, la batterie, l’ampli, tout est fourni. Certains connaissent déjà; d’autres ont besoin d’un coup de main. Et puis je parle au public, avant, après les concerts. Je vais aux tables, je demande aux spectateurs ce qu’ils ont pensé du live, je recueille leurs suggestions; j’explique aussi comment soutenir Bluebird.
Liquid Bar et Coffee Sessions
Cet été, le blues et le jazz vibrent dans les recoins les plus chaleureux du Luxembourg. D’un côté, le Liquid Bar, adresse culte remise sur pied par l’association Bluebird Music, qui redonne vie à la scène live avec des concerts intimistes et exigeants. De l’autre, les Coffee Sessions, toujours organisées par Bluebird, mais cette fois à Vianden dans un torréfacteur, le Collette Coffee Craft, où le public découvre chaque mois la crème de la scène jazz-blues en acoustique. Le 17 août, les Winklepickers, groupe luxembourgeois historique, viendront y jouer.
Dans le rock, il y a des titres comme „Ibiza Bar“ de Pink Floyd; il y a aussi un groupe anglais qui s’appelle Bar Italia. Ne faudrait-il pas une chanson en hommage au Liquid Bar?
Pourquoi pas! Mais sans forcer les choses. Si un jour, quelqu’un trouve cette idée de lui-même, spontanément, là oui, ça serait fort car authentique.
Si le Liquid Bar était un film?
Pas un film, une série: „Treme“, sur HBO. Tournée à la Nouvelle-Orléans après Katrina. Caméra à l’épaule, ambiance live, pas de décor, pas de faux-semblants. C’est exactement ça: une atmosphère vraie. Au Liquid, on a des musiciens exceptionnels; certains ne joueraient jamais pour ces cachets-là, et pourtant ils viennent, parce qu’ils retrouvent ce qu’ils ont perdu ailleurs – le contact direct avec le public. Et pas n’importe quel public. Un tiers, ce sont des musiciens eux-mêmes, sinon des auditeurs érudits.
En quoi consistent les Coffee Sessions?
Les Coffee ne se déroulent pas au Liquid, mais au Collette Coffee Craft, à Vianden. Un tout petit torréfacteur de café, d’où le nom. Un dimanche par mois, à 11h, concerts en solo ou duo. 75 minutes sans pause. À chaque fois, c’est complet. Et la qualité est au rendez-vous.

Pour l’édition d’août, vous faites jouer les Winklepickers.
Oui, une formation luxembourgeoise emblématique. Ils joueront le 17 au Coffee, puis en octobre au Café Miche. Ce sera acoustique: guitare sèche, voix. Leur guitariste, Roland Meyer, est aussi un auteur reconnu ici. Et un grand bluesman.
Un souvenir marquant des Coffee Sessions?
Le concert d’Ivan Simões. Il a 16 ans, c’est le fils de mon guitariste. Il a joué son premier set country le 15 juin. Bluffant. Du fingerpicking à la guitare, des reprises de Willie Nelson – le tout avec une assurance déconcertante. On dirait qu’il fait ça depuis toujours.
Le groupe ou le musicien que vous rêveriez de faire jouer?
J’ai 64 ans. Beaucoup de mes idoles sont mortes, ou trop âgées. Mais j’ai eu des chances dans ma vie: à 17 ans, j’ai joué un blues avec Ray Charles après un concert. Et à 9 ans, j’ai croisé Charlie Chaplin dans la librairie de ma tante, à Lausanne. Je ne le croyais pas quand il disait qu’il était Charlot, alors il a pris sa canne, son chapeau, et il s’est mis à marcher dans la boutique pour me prouver que c’était bien lui.
Au Liquid, on a des musiciens exceptionnels; certains ne joueraient jamais pour ces cachets-là, et pourtant ils viennent, parce qu’ils retrouvent ce qu’ils ont perdu ailleurs – le contact direct avec le public
Et aujourd’hui, parmi les artistes contemporains?
Je découvre sans cesse. On a monté un système de management: 119 groupes dans notre catalogue, essentiellement jazz, blues, et musiques voisines. 75 pourcent sont Luxembourgeois ou installés ici; 25 pourcent viennent des régions frontalières. On est très sollicités – agences américaines, canadiennes, australiennes, africaines…
Au Collette, on boit du café… Et au Liquid?
Au Collette, le café vient directement de deux producteurs, au Brésil et en Colombie. Excellent. Mais au Liquid? Un bon cidre à la pression. Pas trop alcoolisé et bien rafraîchissant: parfait pour un concert.
En tant qu’organisateur, quelle est votre perception politique en ce qui concerne ces lieux et ces événements? Ils ont une portée qui dépasse la musique; ils sont d’utilité publique.
Absolument. Ce sont des lieux de liens. Les artistes y sont proches de leur public, physiquement et émotionnellement. On ne triche pas. Celui qui joue faux ou qui n’est pas prêt… ça se voit tout de suite. Mais quand c’est sincère, c’est une claque, pour lui comme pour le public. Et les concerts sont gratuits, grâce aux subventions et à l’engagement des lieux. On met aussi en avant les jeunes talents. Chaque mois, on organise une jam session jazz, une autre blues. Les élèves des écoles de musique viennent se confronter aux pros. C’est essentiel. Depuis le Covid, beaucoup de petites scènes ont disparu. Sans ces espaces, les artistes émergents n’ont nulle part où faire leurs armes. Et ça, c’est une mission à part entière.
De Maart
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können