Certes, un tel débat, qui est prévu constitutionnellement sous réserve de l’accord de la „conférence des présidents“, qui réunit ceux des différentes commissions spécialisées et des groupes politiques, ne saurait revenir légalement sur la loi elle-même. Mais certains des signataires les plus en vue, parmi les élus de gauche et d’extrême gauche principalement, et plus que tout des Verts, font valoir que le chef de l’Etat pourrait, lui, lorsque le Conseil se sera prononcé, refuser la promulgation de la loi, ou du moins la différer sine die.
L’objet de cette opposition, réunissant un soutien populaire qui constitue une première sous la Ve République, c’est ce que tout le monde appelle désormais la „loi Duplomb“. Du nom d’un sénateur LR de la Haute-Loire, département très rural où il a d’abord dirigé les instances locales de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), un milieu socio-professionnel dans lequel il était personnellement très engagé. Cet élu du Massif central est l’auteur d’une proposition de loi adoptée à la fin de la dernière session parlementaire, et qui tend notamment à abroger l’interdiction faite aux paysans français d’utiliser certains insecticides appartenant au groupe des néonicotinoïdes. Et aux Français seulement, puisque la directive européenne actuellement en vigueur, au contraire, l’autorise sur l’ensemble du territoire de l’Union. Mais on sait que Paris a souvent tendance à durcir les prescriptions de Bruxelles en matière de normes, ce qui ne contribue d’ailleurs pas à répandre l’europhilie dans les différents milieux concernés.
Pour les adversaires de la „loi Duplomb“, peu importe que tous les partenaires de la France, qui ne passent pourtant pas pour des Etats insoucieux de santé publique, n’aient aucunement condamné, eux, l’autorisation européenne: après tout, ils peuvent se tromper. Peu importe aussi que différents produits alimentaires dont la culture est pour l’instant impactée par l’interdiction des pesticides en cause soient massivement importés de pays qui, eux, ignorent cette interdiction. Et qu’ils imposent de ce fait „une concurrence déloyale aux agriculteurs français“, s’indignent ces derniers. Sandrine Rousseau, l’une des porte-parole les plus enflammées des Verts, a affirmé qu’elle n’en avait rien à faire (elle a même utilisé une expression sensiblement plus vulgaire et nauséabonde).
L’envie citoyenne de reprendre la parole?
Reste que le spectaculaire succès de cette pétition, lancée par une jeune inconnue qui a avoué ingénument à la presse qu’elle „n’y connaissait rien“, suscite évidemment un certain nombre de remarques. La première étant que pour un peuple présumé détaché de la vie publique, surtout en période de vacances, 1,6 million de signatures, même en faisant la part des pressions (certains élus qui avaient voté la loi ont été menacés, voire agressés) et des réseaux, c’est beaucoup. Il semble qu’outre la peur bien compréhensible que peuvent susciter certains mots (pesticides, recrudescence des cancers, même non confirmée par les milieux scientifiques, empoisonnement collectif), il y ait eu avec cette pétition l’occasion d’exprimer, au-delà du problème précis, un mécontentement collectif à l’égard d’un tandem exécutif qui bat tous les records d’impopularité de la Ve République.
Et sans doute, pour aller plus loin, l’envie, chez nombre de citoyens de tous niveaux et de toutes étiquettes politiques ou presque, de montrer qu’ils pouvaient reprendre la parole entre deux élections. Tout particulièrement face à une Assemblée nationale offrant un aussi médiocre spectacle. Et qui avait d’ailleurs été, face à la proposition de loi Duplomb, le théâtre d’un tour de passe-passe parlementaire, certes légal mais peu élégant, privant en fait les députés de vrai débat sur un sujet qui le méritait pourtant.
Les constitutionnalistes sont formels: sauf abrogation de la part du Conseil, la suite ne comportera normalement aucune rediscussion du texte. Même un groupe de pétitionnaires aussi important ne pourra pas imposer sa voix aux parlementaires élus. Sinon, ce serait d’ailleurs à peu près fini du Parlement. Il n’empêche: cette nouvelle crise ne montre pas moins à quel degré de dysfonctionnement risque d’en arriver la vie publique française.
De Maart
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