Tageblatt: Comment est né le personnage de Roberta?
Roberta Cecchin: ll y a onze ans, j’ai dû aller à Paris pour le travail. Avec les quiproquos qui peuvent naître du fait de ne pas parler la langue, les situations cocasses se sont multipliées. À la pause café, mes collègues me demandaient ce que je faisais à Paris; à partir de là ont jailli quelques ébauches d’idées de ce qui allait devenir un show humoristique. En 2019, il a fallu que je prenne une décision: soit repartir en Italie pour faire carrière, soit rester en France, où je me sentais bien; en parallèle, autour de moi, on m’incitait vivement à écrire un spectacle. Je me suis alors inscrite à une école d’humour pendant la pandémie et je suis sur scène depuis début 2022 – l’écriture évolue constamment et énormément. Le Luxembourg, c’est déjà le septième pays dans lequel je vais, après la France, l’Italie, la Belgique, la Suisse, la Tunisie et le Sénégal; mon spectacle a été vu dans quarante-six villes, sachant qu’à chaque fois j’adapte le contenu, selon l’endroit où je me trouve, avec le titre qui se module en fonction; Una Roberta a Parigi devient alors „Una Roberta débarque à …“.
Au Luxembourg, l’humour de Daniel Moutinho est basé sur la double culture, portugaise et luxembourgeoise – et même française. En France, Chinois Marrant s’inscrit dans un genre plus ou moins proche. Il existe des comiques politiques ou d’autres qui se situeraient plutôt dans l’absurde, alors que vous, vous appartenez à une catégorie à la fois large et bien précise: celle des humoristes biculturels.
On me demande souvent quelles sont mes influences, mais, avant de faire mes spectacles, je n’avais pas de grandes connaissances en matière d’humour; c’est à partir du moment où j’ai démarré que je m’y suis davantage intéressée. Il y a un humoriste que je connais bien, c’est l’Américain Sébastien Marx (dont le spectacle s’intitule „Un New-Yorkais à Paris“ – ndr.). Moi, je suis dans la notion de miroir entre la culture italienne et la culture française, avec l’intention de créer des ponts. Et si dans ce registre de double culture, il y a des Portugais, des Américains ou des Chinois, je suis, en fin de compte, la seule Italienne.
Je suis dans la notion de miroir entre la culture italienne et la culture française, avec l’intention de créer des ponts
Le Luxembourg est multilingue …
C’est la première fois que je m’y rends et, comme toujours, j’arrive un jour avant le spectacle, pour faire connaissance. Le Luxembourg a beau être un petit pays, j’ai noté qu’il y avait plus de groupes Facebook consacrés aux activités culturelles qu’à Paris! Sur le plan linguistique, j’ai appris que 98 pourcents de la population parle français contre seulement 77 pourcents de la population qui parle le luxembourgeois [source: luxembourg.public.lu, basé sur une étude de 2018, ndr.] – c’est incroyable! En revanche, je ne me suis pas encore trop renseignée à propos de la nourriture locale; je ne sais pas s’il y a un plat typique luxembourgeois.
En observant les attitudes et les habitudes des gens dans différents pays ou villes, vos sketchs possèdent une teneur sociologique.
Je fais deux sortes de spectacles: le stand-up et le one-woman-show. Le stand-up est axé sur ma vie, alors que dans le one-woman-show, il peut y avoir des personnages et davantage de mise en scène; cela dit, dans un cas comme dans l’autre, le travail d’observation n’est pas du tout négligeable. J’ai un public mixte et je fais des recherches, car je veux créer une vraie conciliation entre les cultures. Le plus gros défi consiste à faire rire, en simultané, deux peuples qui n’ont pas toujours les mêmes références.

Vous parlez de recherches et, justement, dans votre travail, il y a aussi de la pédagogie.
C’est un voyage interculturel pédagogique. Il m’arrive de raconter des anecdotes sur la France que les Français eux-mêmes ne connaissent pas. Avant de me rendre dans une ville, j’étudie son histoire. Et puis je la fais voir avec mes yeux; je crois qu’on a tous besoin d’un regard extérieur, pour mieux connaître notre environnement et, par extension, pour mieux se connaître. Et maintenant que je fais des spectacles en Italie, j’ai ce double regard. L’Italie que je perçois aujourd’hui, ce n’est pas tout à fait la même que celle que je connaissais avant de venir en France; je la vois de plus loin, donc avec du recul. J’ai d’ailleurs écrit un dictionnaire qui s’appelle „Le Petite Roberta“, afin de mieux nous comprendre entre Français et Italiens.
Vous aimez dialoguer avec votre public. Parmi toutes vos représentations, y a-t-il eu une interaction particulièrement marquante?
C’est le public hétérogène qui provoque les meilleurs moments. Les Italiens ne venaient pas trop au début – maintenant de plus en plus – alors que les Français ont l’habitude d’aller voir des artistes pas encore connus, dans un esprit de découverte. Un soir, un Français traduisait en temps réel ce que je disais à un Italien qui ne comprenait pas. J’ai un souvenir amusant de mon passage en Tunisie. À un moment, dans mon spectacle, j’explique au public que je vais chez un orthophoniste pour améliorer la prononciation de mon français; et là, d’un coup, une femme me hurle, pour plaisanter, qu’il fallait donc que j’en prenne un autre!
Sur scène vous donnez des „conseils“ pour „séduire une Italienne“. En tant qu’humoriste, est-ce que le fait d’être une femme change quelque chose selon vous?
Par rapport à certains thèmes que j’aborde, peut-être. Dans un sketch, je relate cette fois où, pendant une tournée, j’avais oublié mon sextoy dans un hôtel. À part pour quelques sujets, je ne vois pas de différence dans ce contexte avec mon statut de femme.
Sur scène
„Una Roberta débarque …“, ce samedi, 14 juin à partir de 21h, au Carlitos Comedy Club (65, rue du Fort Neipperg, L-2230 Luxembourg-Gare), plus d’infos: carlitoscomedy.club
Est-ce que l’humour peut sauver le monde?
Je me rends compte du bien que l’humour procure, à travers les gens qui viennent me voir et qui me remercient de leur avoir fait passer un bon moment, de leur avoir remonté le moral… Je n’en fais pas moi-même, mais la satire, c’est une déconstruction du pouvoir ainsi que la possibilité de faire passer des messages avec le filtre de l’humour. L’humour, comme la musique ou le théâtre, pourrait sauver le monde; du moins je l’espère, parce qu’on en a besoin.
De Maart
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können