Nous sommes tous, à plus ou moins grande mesure, confrontés à l’IA. Nous en jouons comme d’un secrétaire, certains médecins y cherchent des réponses à des maladies énigmatiques, des créateurs s’en inspirent. L’ampleur des informations recueillies, redonnées à une rapidité sidérante, nous amuse, à défaut de voir la bascule d’une société et d’en mesurer les conséquences, quelles qu’elles soient. Ces enjeux sont abordés lors de cette exposition, qui se décline selon les grands axes suivants: l’IA analytique et la reconnaissance faciale, l’exploration des „espaces latents“ – ces réseaux de neurones artificiels qui proposent du monde, un code, et produisent par eux-mêmes des images, des sons, de l’écriture, des traductions – l’exploitation humaine derrière cette automatisation, et enfin les problèmes écologiques et matériels liés à cette exploitation. La visite se voulant immersive, une sorte de vertige saisit le spectateur, devant cet infini technologique qui se profile. Il s’agirait presque, au travers de certaines œuvres, de se souvenir du monde d’avant.
Ruser avec l’IA
Les processus artistiques, bouleversés par l’IA, s’engagent dans des contrées pas tout à fait saisissables. Comme s’il s’agissait d’expérimenter et de rendre visibles les coutures, les greffes, entre la vision humaine et les productions de l’IA. Certains artistes vont même jusqu’à tenter de s’éloigner du champ attendu de l’IA en proposant une de leurs œuvres, et en prenant un autre chemin que celui proposé par l’IA, pour l’œuvre suivante. Ce qui est encourageant pour l’intelligence humaine, qui tentera toujours de ruser ou d’explorer certaines limites, même si celles-ci semblent inaccessibles.
La notion d’intelligence artificielle a été introduite en 1955. Elle a fait son chemin depuis. Les artistes interrogent ici les technologies mises en œuvre par L’IA, leurs conséquences sur l’art, ainsi que des notions plus juridiques comme celles des droits d’auteur. Se pose également la question de l’écologie, tant l’IA, abstraite, mobilise, sans que l’on y pense, un environnement et des ressources. La tension entre l’être humain et l’IA semble être celle de la reconnaissance faciale. L’œuvre emblématique, Faces of ImageNet, de Trevor Paglen, met en scène cette reconnaissance faciale et sa simplification à l’extrême, qui nie l’individualité de chacun, le réduisant à quelques traits communs – de la même façon que chacun possède un squelette. Cet être humain semble également au service de la technologie, une sorte d’esclavage invisible et peu rémunéré, lorsqu’il s’agit des „travailleurs du clic“, qui effectuent des tâches répétitives en ligne, travail ici documenté et mis en lumière, ce qui crée un fossé entre notre perception du Net et les ressources réelles qui s’y cachent, son exploitation humaine et écologique.
Comme une fiction de plus
Mais l’IA fascine par la multiplicité et l’étendue de ses ressources. De nouvelles données apparaissent, à partir d’images, de textes, de sons, combinaisons à l’infini, avec lesquelles il s’agit de composer, de créer. Le cinéma ouvre son horizon à de nouvelles perspectives narratives et illustratives, tandis qu’ailleurs des artistes tentent de nouveaux abécédaires, des langues jusque-là inconnues, à l’aide d’algorithmes. Et Snapchat est de la partie avec Christian Marclay et son œuvre, The Organ, où un piano connecté propose des combinaisons de vidéos circulant sur Snapchat, en fonction de leur fréquence sonore.
D’autres créent des paysages hallucinatoires où faire la part du vrai et du faux donne une idée d’un paysage nouveau, comme un envers du décor, et questionne notre rapport au réel. Oui, il s’agit bien ici de comprendre que tout se transmute et que des infinis combinés nous mènent vers d’autres dimensions jusque-là insoupçonnées, comme une fiction de plus.
„Le monde selon l’IA“, jusqu’au 21 septembre 2025 au Jeu de Paume (place de la Concorde, 75008 Paris), jeudepaume.org.
De Maart
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