Le 8 mai 1945, à 23h01 les armes se turent enfin sur le continent européen. Au bout de plus de cinq années de guerre totale, le Reich allemand avait été contraint à capituler sans conditions. Le bilan était apocalyptique. Près de 30 millions d’Européens avaient été déplacés, entre 40 et 50 millions tués – en majorité des non-combattants, notamment six millions de Juifs systématiquement assassinés dans le cadre de la Shoah. Des villes entières, comme Rotterdam, Stalingrad, Berlin, Varsovie ou Le Havre n’étaient plus que des tas de gravats. Les infrastructures essentielles – ports, usines, centrales électriques, ponts et viaducs – étaient détruites. L’Europe était ruinée matériellement, mais aussi moralement.
Le Luxembourg avait pour sa part perdu 5.000 à 6.000 de ses habitants: environ 2.800 enrôlés de force morts au combat ou en captivité, entre 1.300 et 2.000 hommes, femmes et enfants victimes de la Shoah, près de 800 résistants broyés par le système concentrationnaire nazi et des centaines de civils tués pendant les combats, notamment ceux particulièrement meurtriers de la Bataille des Ardennes, à peine quelques mois auparavant. Le pays était en deuil, pas moins de 10.000 déportés, transplantés et enrôlés de force n’étaient pas encore rentrés, des régions entières étaient à reconstruire, il faudrait punir les collaborateurs et les criminels de guerre, mais les hostilités avaient cessé, le Luxembourg était du côté des vainqueurs et cela méritait d’être célébré.
Victory in Europe parade
Dès le lendemain, une grande parade de la victoire eut lieu dans la capitale. Le défilé militaire s’élança de la Gare centrale avec à sa tête la fanfare de l’armée luxembourgeoise, suivie des soldats de la Compagnie des Volontaires et de ceux de la garnison américaine. La police et la gendarmerie grand-ducale étaient elles aussi de la parade, tout comme les organisations de résistance, les pompiers et les scouts. Arrivé dans la Ville Haute, le cortège s’engagea dans la rue de l’Eau, pour passer sous le balcon du Palais, où se tenaient la famille grand-ducale au grand complet ainsi que les commandants de la garnison américaine. L’hymne national des Etats-Unis fut entonné et lorsque la dernière note s’estompa des „Thank you!“ s’élevèrent de la foule.
La parade s’arrêta finalement non loin de là, place Guillaume, où une tribune avait été érigée pour accueillir les membres du gouvernement, les édiles de la Ville de Luxembourg et les représentants du corps diplomatique. Le soir venu, un grand bal populaire eut lieu sur la place d’Armes. On dansa jusque tard dans la nuit.
Le maître-mot de cette célébration, avait été „unité“: unité avec les Alliés et unité entre Luxembourgeois. Pourtant, la parade n’était pas dénuée de contradictions, ni probablement de tensions. Certains devaient estimer qu’ils avaient défilé au côté de gens qui ne s’étaient pas forcément montrés très résistants durant l’occupation allemande. La question de l’épuration était dans tous les esprits. Elle était d’ailleurs au cœur du bras de fer entre le gouvernement et l’Unio’n, le mouvement à vocation unitaire de la résistance.
Une démonstration de force
L’Unio’n préparait à ce moment son propre défilé, qui devait avoir lieu le 10 mai. Un jour qui n’avait pas été choisi au hasard, comme on pouvait le lire dans D’Unio’n, le quotidien du mouvement: „Dén dâg krut durch den abroch vum preiss am joer 1940 eng ominös bedeitong, an de’ soll durch ons desjäreg patriotesch manifestio’n wo’me’glech wann net ofgewäsch, dann dach we’negstens iwerstrâlt gin. Fir den dâg wölle mir mat eiser huldigong un d’Grande-Duchesse eng gro’ss revue vun der résistenz verbannen. Et soll eng patriotesch manifestation gin, de’ dem ganze Land an engem imposante cortège de’ gewalteg stiérkt an den onbesiegbaren liéwenswöllen vun der zesummegfâsster résistenz vum land démonstre’ere soll.“1)
La fidélité à la souveraine qui était mise en avant, ne pouvait cacher le fait que l’Unio’n préparait une démonstration de force et que celle-ci était tournée contre le gouvernement. Celui-là même qui avait quitté le pays le 10 mai 1940. Celui dont elle réclamait la démission depuis des mois. Le journal catholique Luxemburger Wort ne s’y trompa d’ailleurs pas: „Daß es in der schönen Harmonie unserer Friedensfeier einen Mißton gibt, ist an sich nicht weiter verwunderlich. Daß dieser Mißton gerade von denen ausgehen muß, die am meisten von Einheit und Einigkeit reden, ist eher traurig. Und daß dieser Mißton gerade heute erklingt, ist hochinteressant und aufschlußreich für den, der aufmerksam hinter die Kulissen politischer Machenschaften schaut. Union und Kommunisten laufen wieder einmal gegen die Regierung Sturm. Es wird höchste Zeit dazu, sonst ist die Gelegenheit verpaßt. Der Krieg ist vorbei, und jeder Tag wird neue Erleichterungen, neue Arbeits- und Erfolgsmöglichkeiten für die Regierung bringen.“2)
Le chant du cygne de l’Unio’n
Le lendemain, les adhérents de l’Unio’n affluèrent par milliers à Luxembourg. Le mouvement affirma qu’ils étaient 15.000.3 Était-ce une exagération? La manifestation fut indubitablement massive. Pas moins de 21 trains spéciaux avaient été affrétés pour transporter ses participants à Luxembourg. Cette foule respecta dans l’ensemble les consignes qui lui avaient été données: „Grondsätzleches: Des feier dre’t en absolut a streng patriotesche Charakter an dirf och net âneschter opgefâsst gin. All provokatio’nen mussen duerfir absolut önnerbleiwen. No der feier am cercle mussen vu 7 auer un all brassaren aus dem strôssebild a besonnesch aus de cafeen verschwannen. Et därf neischt gedroen gin wat och nömmen am entferntesten un eng waff erönnert. Am ganzen muss dén dâg vun de memberen straff disciplin bewart gin. D’sectio’nschefs gin fir d’anhâlen vun déne virschreften verantwortlech gemâcht.“4)
Le défilé se déroula donc de manière parfaitement pacifique. L’Escher Tageblatt le qualifia d’ailleurs d’ „imposant und würdig“.5) Cela était surtout dû aux contradictions de l’Unio’n, plus qu’à autre chose. Le mouvement avait fini par coaguler toutes les forces de la résistance, de la droite nationaliste aux communistes. Mais si la plupart de ses composantes étaient hostiles au gouvernement, cela ne signifiait pas, loin de là, qu’elles étaient prêtes à tenter le coup de force. Le 10 mai 1945, l’Unio’n banda ses muscles aux yeux du pays tout entier, sans aller plus loin. Ce fut son ultime démonstration de force. Incapable de capitaliser sur sa puissance, d’autant qu’il s’était aliéné les élites administratives et économiques dont il dénonçait les arrangements sous l’occupation, le mouvement commença à se désagréger dès le lendemain de sa plus grande manifestation. Comme l’avait écrit le Luxemburger Wort, il avait raté son occasion.

1) „Programm vun onser ovatio’n“, in: D’Unio’n, 08.05.1945, p. 1.
2) „Ein Misston“, in: Luxemburger Wort, 09.05.1945, p. 2.
3) „De feierlechen défilé vun der ‚unio‘n’ wor en hommage un d’grande-duchesse“, in: D’Unio’n, 12.05.1945, p. 1.
4) „Programm vun onser ovatio’n“, in: D’Unio’n, 08.05.1945, p. 1.
5) „Imposant und würdig. Die patriotische Manifestation der ‚Union’“, in: Escher Tageblatt, 11.05.1945, p. 1.
De Maart
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