Dienstag23. Dezember 2025

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Artistes entre Luxembourg et BerlinSu-Mei Tse: „Préserver la beauté en temps de crise est un acte de résistance“

Artistes entre Luxembourg et Berlin / Su-Mei Tse: „Préserver la beauté en temps de crise est un acte de résistance“
L’artiste Su-Mei Tse Source: archives Su-Mei Tse

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Artiste plasticienne et musicienne, lauréate du Lion d’Or de la meilleure participation nationale à la Biennale de Venise en 2003, Su-Mei Tse a fait de Berlin son atelier dans lequel réfléchir et traduire les émotions qu’elle saisit de par le monde. Rencontre avec une artiste sensible et philosophe, dont l’œuvre est aussi délicate que puissante.

Après avoir étudié, vécu à Paris, puis à nouveau au Luxembourg, son pays d’origine, durant quelques belles années, Su-Mei Tse reprend la route, et s’installe à Berlin pour „sortir de sa zone de confort“. „J’aime retourner régulièrement à Luxembourg, retrouver les gens qui me sont chers, mais pour la vie quotidienne et mon travail, j’apprécie d’être dans une grande ville où on est confronté à une autre réalité de la vie, avec une certaine énergie et surtout de forts contrastes.“ En 2014, Su-Mei Tse passe un an à Rome avec sa famille, en tant que pensionnaire de la Villa Medicis – une expérience qui la nourrit aussi bien personnellement que professionnellement. „Cette année en dehors de Berlin m’a beaucoup marquée et m’a inspirée, grâce au rapport à l’antiquité, aux références historiques et à l’histoire de l’art, omniprésentes à Rome. Berlin est plutôt un studio, l’endroit où je travaille et à partir duquel je pose un regard sur le reste du monde. J’aime me ressourcer, puiser l’inspiration en France et en Asie, et Berlin est un lieu de refuge pour moi, en quelque sorte.“

Su-Mei Tse a grandi dans un univers musical, avec un père violoniste et une mère pianiste, et choisit le violoncelle comme premier instrument. En parallèle de ses études à l’École nationale des beaux-arts, elle développe sa pratique de musique de chambre au Conservatoire à Paris. Mais sa première expression artistique est autre: „Je crois que j’ai toujours su que le monde visuel venait en premier lieu pour moi. Il y a eu un moment où l’envie de me consacrer à la musique a été très forte, mais en même temps, j’avais un grand besoin de liberté. Et pour arriver à une perfection du son, il faut une grande habileté technique, une maîtrise de l’instrument extrêmement précise, car le son ne pardonne pas. L’art visuel m’a permis de vivre toutes mes passions, qu’elles soient le cinéma, la poésie ou les univers sonores, sans que j’aie à devenir spécialiste en une seule matière. Au contraire, maintenant je me sers d’une plus grande palette sensorielle et je me sens libre.“

L’écriture comme point de départ

Chez Su-Mei Tse, tout commence par l’écriture. Elle note ses idées dans un petit carnet qui ne la quitte jamais. „Je passe par les mots, au départ. J’ai des images précises en tête, mais plutôt que de les dessiner, je les traduis en notes écrites. J’exprime ainsi mes visions, les objets ou sculptures à venir, et je retourne ensuite à l’image sous forme d’esquisse ou de collage avant toute réalisation. Cela part souvent d’une émotion, et ensuite le processus de la mise en forme devient plus cognitif. Mais l’origine peut être quelque chose de très ordinaire: une brise, un moment de lumière, ou au contraire une ombre. Mais ce sont aussi des œuvres que je vois, une pièce de théâtre, une exposition … Des moments de réceptivité, de disponibilité de l’esprit. Des moments de silence. J’ai besoin de beaucoup lire, mais de lire au sens de voir, de percevoir, de recevoir, d’entendre. D’écrire aussi – pas des mots, mais une texture, une forme. Ce sont des moments où, comme après un orage, les choses s’apaisent, se résolvent, une expression naît.“

Pour aller plus loin

kiangmalingue.com/artists/su-mei-tse

LUGA Art Trail: Animals of the mind (8 mai-18 octobre 2025)/luga.lu

Lors de l’élaboration de projets, Su-Mei Tse travaille de manière rigoureuse, dès le matin, sa phase la plus productive: „C’est souvent un travail de rangement. Quand je prépare une exposition, je travaille sur une vingtaine d’idées en même temps, des bribes, des notes que j’avais dans mon cahier. Mais à partir du moment où je connais l’espace dans lequel aura lieu l’exposition, je le vois comme un cadre qui m’est donné. Alors, je réfléchis d’abord conceptuellement à une grande ligne qui correspond à ce qui me préoccupe sur le moment. Et je me demande comment arranger la composition des pièces pour qu’elle donne un certain sens. Il y a aussi des contrepoints. L’espace et l’architecture sont importantes. C’est comme une page blanche avec ses bordures. Et je me promène là-dedans, en prenant compte du sens de lecture et de la perspective du spectateur. C’est le tout qui tient la forme.“

Accéder à la poésie malgré tout

Exemple du travail de Su-Mei Tse: ici lors de l’exposition „Nested“ en 2017 au Mudam<br />
Exemple du travail de Su-Mei Tse: ici lors de l’exposition „Nested“ en 2017 au Mudam
 Photo: Editpress/Hervé Montaigu

En octobre et novembre 2024, Su-Mei Tse expose vidéo, photographies et sculptures à la galerie Kiang Malingue à Hongkong sous le titre „Daydreams“: „Je pense que je mettrais davantage l’accent sur day que sur dreams, au sens où je me suis interrogée sur comment gérer le quotidien, notamment après une phase difficile. On traverse tous des phases d’abondances, qui sont suivies de moments de vide. Pas des vides d’idées, mais des vides liés à ce qui se passe dans le monde. On se demande comment se positionner, comment gérer le quotidien du point de vue émotionnel. Quand je dis quotidien, je parle bien sûr de la guerre, de la souffrance, des nouvelles du monde qui nous parviennent. Je pense qu’il faut trouver un équilibre. Il faut être informé, mais aussi parfois se couper, se protéger. Il y a aussi des moments où on est plus vulnérables, plus affectés, où cela peut entraîner des blocages. Cela m’arrive et j’apprends à consciemment me détourner pour éviter de me laisser emporter. Au contraire, lorsque je me tourne vers les nouvelles positives – qui existent! – du domaine scientifique ou de la recherche écologique, par exemple, qui tendent vers une plus grande solidarité, une vie meilleure, une vie en paix, cela me procure à nouveau de l’espoir et de l’optimisme en l’être humain. De cette façon, je parviens à accéder aux moments de poésie, à la beauté qui continue d’être présente, malgré tout, dans le monde. Arriver à préserver et à saisir cette beauté, même dans les moments de crise, est un acte de résistance.“

On se demande comment se positionner, comment gérer le quotidien du point de vue émotionnel. Quand je dis quotidien, je parle bien sûr de la guerre, de la souffrance, des nouvelles du monde qui nous parviennent. (…) Au contraire, lorsque je me tourne vers les nouvelles positives – qui existent! – (…), cela me procure à nouveau de l’espoir et de l’optimisme en l’être humain. De cette façon, je parviens à accéder aux moments de poésie, à la beauté qui continue d’être présente, malgré tout, dans le monde. Arriver à préserver et saisir cette beauté, même dans les moments de crise, est un acte de résistance.

Su-Mei Tse, artiste

Lors de son exposition à Hongkong, Su-Mei Tse incluait des pièces inspirées du tsutsumu, l’art japonais de l’emballage. Ces œuvres pourraient évoquer l’idée d’un cocon depuis lequel survivre à la crise que traverse le monde, un endroit dans lequel se régénérer, pour mieux retrouver l’espoir et la capacité de s’émerveiller. „Le point de départ de cette série de pièces“, explique Su-Mei Tse, „était le retour d’une exposition au Japon. Mes pièces avaient été empaquetées et rapatriées, et je devais les défaire pour vérifier que le voyage ne les avait pas abîmées. J’ai été tellement touchée de la manière dont elles avaient été emballées, c’était fait de façon incroyablement respectueuse. L’un des emballages était composé d’une feuille dorée, d’un fil rouge et de papier transparent. Il se présentait comme une œuvre en soi, à mes yeux. Cet objet fut le point de départ et l’inspiration pour les compositions en grand format, ‚Sealed’. J’aime parler de choses personnelles. Je les vois comme des propositions, avant qu’elles ne deviennent des pièces. Ce ne sont pas des scènes ni des histoires, mais plutôt une surface minimale qui donne une composition rythmique grâce à de légers décalages du centre de gravité. Ce sujet de la carapace est également présent, bien que traité différemment, dans la théière cassée que j’ai exposée à Hongkong.

Série

Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.

C’est un moment comme un incident imprévu, c’est de la casse, et en même temps, il y a une telle beauté dans cette théière … C’est le fruit du hasard, mais cela nous permet aussi de voir l’intérieur de l’objet, une partie de la théière que l’on ne voit jamais, cette délicate patine du temps. Fixer ce moment de blessure au lieu de l’effacer, au lieu d’essayer de le réparer. Car on aurait pu utiliser la technique de Kintsugi qui consiste à restaurer des objets cassés, en mettant en valeur leur fragilité tout en la sublimant, une technique que j’aime beaucoup aussi. Mais j’ai choisi de ne rien faire et, au contraire, de simplement accepter et capter ce moment venu. Cela a été un long processus, durant ces années où le monde est en guerre, et où j’ai de mon côté traversé des moments de blocage. Mais finalement, je me suis rendue compte qu’il s’était passé énormément de choses pendant ce laps de temps, sans que j’en aie été vraiment consciente sur le moment. Et j’ai voulu traduire l’importance de la protection, mais également de la confiance et du lâcher prise. Lorsqu’on vit des blessures émotionnelles, il faut pouvoir dépasser ensuite la phase de crispation, épouser le moment présent. Je crois que la peur du danger, la peur de ce qui pourrait arriver, attire exactement ce dont on a peur. Je crois que dans notre société, nous sommes constamment dans ce mode de contrôle et d’anticipation, et que cela empêche le poème, la poésie.“