Dienstag23. Dezember 2025

Demaart De Maart

LittératureExpériences carcérales :„P2. Un an dans les prisons luxembourgeoises“

Littérature / Expériences carcérales :„P2. Un an dans les prisons luxembourgeoises“
Image symbolique: Derrière cette clôture de sécurité de la prison de Schrassig, l’auteur Richard Malpas a purgé une peine de prison Photo: Archives Editpress/Philippe Reuter

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Raconter son expérience en milieu carcéral soulève plusieurs enjeux majeurs, à la fois personnels, sociaux et politiques. Ces récits permettent d’apporter un regard critique sur le système pénitentiaire, tout en humanisant ceux qui y sont confrontés. C’est à ce double travail à la fois anamnestique et littéraire que se livre Richard Malpas dans son ouvrage intitulé „P2. Un an dans les prisons luxembourgeoises“ rassemblant le récit existentiel et expérientiel de quinze détenus dont le lecteur découvre le témoignage. Critique et interview.

Première de couverture du livre de Richard Malpas: „P2. Un an dans les prisons luxembourgeoises“, Mons, Éditions Couleur livres (2025)
Première de couverture du livre de Richard Malpas: „P2. Un an dans les prisons luxembourgeoises“, Mons, Éditions Couleur livres (2025) Source: Couleur Livres

Le livre de Richard Malpas constitue d’abord un exutoire personnel et une reconstruction identitaire s’appuyant sur l’écriture. Pour les personnes ayant vécu l’incarcération, écrire ou raconter leur histoire peut être un moyen de reprendre le contrôle de leur propre narration après une période de privation de liberté. Ainsi, l’acte de témoigner permet de mettre des mots sur une expérience marquante et souvent traumatisante, facilitant ainsi un travail de résilience. En partageant leur vécu, les anciens détenus peuvent se dissocier du stigmate de la prison et reconstruire une image d’eux-mêmes plus nuancée que celle imposée par leur passé judiciaire.

C’est dans cette démarche que s’inscrit „P2. Un an dans les prisons luxembourgeoises“: mettre en scène une série de détenus (tout en modifiant le nom des protagonistes et quelques faits) à qui Richard Malpas (qui a lui-même connu le milieu carcéral) donne d’une certaine manière la parole avec une plume fluide et humaine. De „Tommaso“ à „Joseph“ en passant par „Richard“ ou „Vito“, le témoignage des détenus sur leur vécu carcéral offre un éclairage précieux sur la réalité souvent méconnue du monde pénitentiaire. À travers leurs récits, ils dévoilent les conditions de détention, marquées par l’isolement, la promiscuité et la privation de liberté, mais aussi les stratégies qu’ils développent pour survivre psychologiquement à l’enfermement. Ces témoignages soulignent la violence institutionnelle et parfois interpersonnelle qui structure la vie en prison, tout en mettant en lumière les espoirs de réhabilitation et de réinsertion sociale. Le livre testimonial et cathartique de Richard Malpas nous montre que raconter son expérience en prison, c’est à la fois un acte de survie, un cri de vérité et un engagement citoyen.

En outre, ces témoignages permettent de déconstruire les préjugés, d’alerter sur les conditions carcérales et d’ouvrir le débat sur l’avenir du système pénal. Ils rappellent que la prison n’est pas qu’un lieu d’enfermement, mais aussi un miroir des inégalités et des contradictions de notre société. En ce sens, „P2. Un an dans les prisons luxembourgeoises“ peut être perçu comme un outil de sensibilisation du public dans la mesure où le monde carcéral est souvent méconnu du grand public, qui en a une vision biaisée par les médias ou les clichés. Ces récits de prison permettent ainsi de dénoncer des conditions de détention inhumaines, la surpopulation, la violence ou encore le manque d’accès aux soins et à l’éducation. Ils contribuent à humaniser les détenus, en montrant leur quotidien, leurs luttes et leurs espoirs, au-delà de leur statut de „coupable“.

Quatre questions à Richard Malpas

Tageblatt: Quel fut votre parcours (pénitentiaire) avant d’arriver à votre livre?
Richard Malpas: Dans une période particulièrement difficile de ma vie, tant sur le plan émotionnel que professionnel et financier, j’ai commis l’erreur de vendre du cannabis. Face à la banalisation de cette drogue et à sa consommation répandue, je ne mesurais pas vraiment la gravité de mes actes. Après mon arrestation, j’ai été incarcéré pendant près d’un an dans le pénitencier de Schrassig. Suite à cette année de détention provisoire, ma condamnation définitive a encore tardé pendant deux longues années. Pour obtenir ma libération conditionnelle, mes juges, me considérant comme un toxicomane, exigèrent que je suive une cure. Cependant, en raison du nombre limité de places dans ces institutions et n’étant pas réellement accro aux drogues, mon dossier fut refusé.

Comment et pourquoi vous est venue l’idée de ce livre?
C’est au cours des longs mois de thérapie que j’ai commencé à écrire P2. J’écrivais à la fois pour tromper l’ennui, pour digérer tout ce que j’avais vécu et, surtout, pour sensibiliser l’opinion publique au monde que j’avais découvert en détention. J’espérais qu’en partageant mon expérience, je pourrais peut-être éviter à certains jeunes lecteurs de suivre un parcours similaire au mien. Pour la phase documentaire, j’ai puisé dans ma mémoire et dans les conversations que j’avais eues avec mes codétenus. J’ai également mis à profit la lecture des dossiers judiciaires de mes camarades, qu’ils me demandaient de traduire ou d’expliquer. Mes connaissances linguistiques et mes études de droit, que j’avais commencées, avaient fait de moi le conseiller et le confident du bloc P2. L’écriture de mon livre s’est donc imposée naturellement, même si la rédaction du manuscrit dans sa forme finale m’a demandé un travail considérable.

Votre livre peut-il être perçu comme une tentative de dénonciation des abus du monde pénitentiaire?
Je constate que notre société a souvent une vision simpliste de la criminalité, réduisant les individus à deux catégories: les gentils et les méchants. Les criminels sont perçus comme des monstres qu’il faut enfermer pour protéger la société, tandis que la justice, la police et le système carcéral représentent le bien. Pourtant, la réalité est bien plus nuancée. Les institutions que nous croyons infaillibles et justes sont en réalité bien trop souvent gangrenées par le racisme, la violence et un certain esprit de revanche. Mon expérience m’a montré que de nombreux condamnés subissent une double peine. En plus de la prison, ils doivent endurer des violences policières, des brimades de la part des gardiens et des procès tout sauf équitables, souvent irrespectueux des droits en vigueur. La majorité de mes codétenus n’étaient pas européens, et leur niveau scolaire ou linguistique ne leur permettait pas de se défendre ni de dénoncer les actes dont ils étaient victimes. C’est pourquoi je considère qu’il est de mon devoir de dénoncer les abus que j’ai pu observer tout au long de mon parcours carcéral. Ce qui m’a également beaucoup marqué, c’est l’impression que la différence entre un homme honnête et un détenu ne repose souvent que sur des éléments indépendants de notre volonté.

Qu’est-ce que cette expérience vous a appris?
Malgré la dureté de ce que j’ai vécu, je garde avant tout un souvenir positif de cette expérience. Cela est en grande partie dû aux rencontres que j’ai faites en prison. Elles m’ont permis de comprendre mes erreurs et de trouver la voie à suivre pour m’en sortir. Ces rencontres m’ont également fait réaliser que, quelles que soient nos origines, nos croyances ou notre couleur de peau, nous sommes tous semblables. Nos besoins, nos aspirations et nos préoccupations sont fondamentalement similaires. Mes échanges avec d’autres détenus m’ont surtout donné l’impression qu’il devrait exister des alternatives à l’enfermement. Une bonne partie des personnes que j’ai rencontrées avait plus besoin d’un psychiatre ou d’un assistant social que d’un juge et leur présence en prison représente avant tout un échec de la société.
(Propos recueillis par Franck Colotte)