Certains musiciens, eux aussi, se rencontrent un soir dans un night-club. Nous sommes en 2012, l’histoire de Polo & Pan démarre au Baron, célèbre bar-boîte à Paris, alors que Paul Armand-Delille et Alexandre Grynszpan, main dans la main, s’y font la main; ils sont DJ. Quand le son baisse d’un ton ou que les basses pulsent, ils s’entendent bien: très vite, ils ne passent pas que de la musique, ils en produisent eux-mêmes. Polo devient la moitié de Pan, et Pan la moitié de Polo, autrement dit Polo est le „+1“ de Pan, et réciproquement.
Au début de la décennie, tandis que le „Nightcall“ de Kavinsky fait son bonhomme de chemin avec „Drive“ (Nicolas Winding Refn, 2011) et peu de temps après la disparition de DJ Mehdi, „Polocorp“ et „Peter Pan“ s’immiscent dans la filiation de la French touch, celle qui n’est pas recroquevillée sur son nombril, mais qui tourne „around the world“ comme le vinyle sur la platine ou le soleil nocturne – la boule à facettes. Dans l’idéal, Polo & Pan, c’est comme si c’était „Politics“ de Sébastien Tellier (2004) qu’avait produit Guy-Man de Homem-Christo, sinon comme si une trinité telle que Joakim, DyE, Chateau Marmont était corrigée par L’Impératrice ou – rétrospectivement – comme si le „Tropical Suite“ de Poni Hoax (2017) se frottait les yeux du cauchemar, filtré par une house de rêveurs.

P & P s’inscrivent dans la tradition française, et pas qu’à travers une touche; il y a bien le chant des possibles dans la langue de Pierre Barouh, laquelle est réhabilitée, toujours début 2010, par le label Entreprise ou par Flavien Berger, issu d’un autre Pan de label (Pan European). Il y a aussi chez eux ces airs de déjà entendu, du genre de ceux que l’on sifflote, désinvoltes, à l’image de „Bilboquet“ qui remake le „Sirba“ de Vladimir Cosma, en l’agrémentant d’un beat qui claquette par-dessus les claps ainsi que de „Ahhh ahhh“ étirés façon échos du „Blood Theme“ signé Data à l’encre rouge. Et si Polocorp et Peter Pan sont Parisiens, c’est au sens multiculturel; il n’y a rien dans leur musique qui sente la baguette, sinon celle de chefs d’orchestre, les deux sont d’excellents metteurs en son et directeurs d’interprètes.
Patrick Bebey et Channel Tres (le dément „Tunnel“), ou, dans leur nouvel album „22:22“, Joseph Mount, Beth Ditto ou PawPaw sont sur la liste, donc sur la piste. Car DJ ne renvoie pas toujours à bon songwriter; là, oui. Il faut s’entourer de bons partenaires et le couple à la scène est bien accompagné, à l’instar, pour rester dans le début des années 2010 et chez les binômes électro français, de Scratch Massive, quand Jimmy Somerville fait vibrer son falsetto sur „Take Me There“, ou quand, sur „Synchronize“, Discodeine invite Jarvis Cocker à la fête. Jamais deux sans trois? Toujours sur „22:22“, il y a „22:23“, avec Antonin & Vico, où il est question de triolisme et d’une relecture, consciente ou non, du titre „L’Amour à trois“ de Stereo Total. Il s’agit aussi de rappeler le don que possède Polo & Pan pour composer de la chanson française d’esthète, sifflotable sous la french douche. Et partout.
French touch et pop du monde
Dans „Sous le soleil de Satan“ (1926), Georges Bernanos parle d’un „horizon qui se défait (…) plein d’un silence liquide“; par analogie, les sonorités de Polo & Pan sont aqueuses, avec des pas qui battent la mesure dans des flaques synthétiques. Le genre se situerait entre une Nouvelle Vague et une new vapor wave, mais sans lo-fi, du soft rock couleur velours, mais leur style, c’est la „space jungle“ rétorque le groupe. Sauf qu’il n’a rien à voir avec Tangerine Dream et Goldie; tranchons plutôt avec un néologisme mot-valise idéal pour ces voyageurs, du type „électropicalia“. Soit: un groove à mi-chemin entre le vert nature et le stellaire, en fin de compte, à l’image de l’agencement de mots d’un de leurs albums de chevet, „Moon Safari“ (Air, 1998), ou disons sans „profondeur opaque“ pour citer le morceau „Artemis“, entre bossa nova et supernova. Au milieu des grands espaces délimités par le ciel, des roucoulades, des sifflements au loin, des rythmiques tribales, des sursauts primitifs sophistiqués, de la flûte et du saxophone qui s’entortillent comme des cheveux dans des doigts, Polo & Pan convoquent l’ailleurs.
Parmi leurs gros tubes, „Ani Kuni“ est à l’origine une prière amérindienne, là où „Zum Zum“ d’Edu Lobo devient, avec eux, „Zoom Zoom“, en créant presque l’illusion du featuring. „Nanã“ échantillonne „Cordeiro de Nanã“ d’Os Tincoãs, en modulant la voix, alors que les boucles de „Magic“ émanent des Écossais Pilot plongés dans une sauce smooth, sans oublier leurs remixes, en vrac, du Brésilien João Gilberto ou du Vénézuélien Hugo Blanco. Les deux DJ sont dans leur rôle de passeurs, en l’occurrence ici à travers le sample, car passer de la musique, ce n’est pas que faire danser, c’est aussi faire connaître.
„22:22“, l’heure miroir, ressemble à Polo & Pan. „The Piano & The Violin“ a de faux airs de M83, peut-être parce que l’enfant remémore celui qui chuchote en plein milieu de „For The Kids“. En clin d’œil, c’est une hypothèse encore, à l’Italien Andrea Laszlo De Simone qui fait partie de la même écurie (Ekler’o’shock et Hamburger Records), „Laszlo“, c’est quand le timbre de Daft Punk est lessivé après les excès d’une insomnie volontaire. „La nuit“, avec Arthur Teboul, c’est de la b.o en v.f où, dans le refrain, flottent quelques ricochets de „Computer Love“ de Zapp & Roger, mais c’est sans doute une hallucination quand il y a trop de psyché dans le verre. „Mirror“, c’est Giorgio Moroder qui est à cheval entre „I Feel Love“ et „Midnight Express“, en compagnie du Jimmy Somerville précité et relifté par Hercules & Love Affair. Avec „Summer Is Almost Over“, Polo & Pan trouve son reflet, soit celui d’un été presque achevé. Le duo incarne alors le mirage d’un soleil artificiel qu’on ne peut pas regarder, soit, mais, pendant que la boule à facettes scintille et tourne, il vaut mieux fermer les yeux.
De Maart
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