Freitag24. Oktober 2025

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Littérature„Hraun“ de Florent Toniello, une ekphrasis poétique

Littérature / „Hraun“ de Florent Toniello, une ekphrasis poétique
À la Galerie Simoncini en 2019: l’auteur Florent Toniello Photo: archives Editpress

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Florent Toniello présente son nouveau livre „Hraun“: une œuvre lyrique fortement liée aux phénomènes naturels. En quoi ce lien est réussi et pourquoi le livre mérite d’être lu.

Né en 1972, Florent Toniello est une valeur sûre de la République des lettres francophones au Luxembourg, dont le talent s’exprime à travers tous les genres littéraires. Il est l’auteur notamment de huit recueils de poésie publiés au Luxembourg, en Belgique et en France. Lauréat de la résidence LCB & Bourse Bicherfrënn 2024, il revient sur le devant de la scène grâce à son ouvrage de prose poétique (avec des photographies de Thomas Fleckenstein) intitulé „Hraun“, qui signifie „lave“ en islandais. Ce terme renvoie non seulement à la matière en fusion provenant des éruptions volcaniques (fréquentes en Islande), mais encore aux énergies poétiques souterraines, qui remontent à la surface sous l’effet d’une puissance tellurique confrontée aux paysages époustouflants de cette terre d’origine magmatique. Florent Toniello saisit ce phénomène confondant et de nature synesthésique dans un texte intense et profond, intérieur et exploratoire.

La première section, intitulée „sjór“ („mer“ en islandais), est à la fois programmatique, symbolique et incitative dans la mesure où elle donne la tonalité générale de cet ensemble poétique articulé en vingt-quatre courtes sections (de „Océan“ à „Aurore boréale“). Les fulgurances fragmentées qu’il contient sont comme insérées dans un flux de conscience, un flot de mots sous-tendant une ekphrasis au service d’une voix pour ainsi dire „poématique“ qui met en relief la relation étroite qui se crée entre le sujet poétique (l’auteur et, dans un deuxième temps, le lecteur) et l’espace (les paysages comme sources d’inspiration iconique) tenant lieu de corps au texte: „(…) joli mot du raz de ma mémoire, me sent brimbaler, dois réparer l’architecture de mes connexions extérieures (…). ne peux faux-fuir, le tangage est la voie, que l’infini me guide.“

Habiter poétiquement le monde

Chaque section est, pour pasticher la formule baudelairienne, une „invitation au voyage“, à un parcours synesthésique s’appuyant sur la correspondance de plusieurs perceptions sensorielles simultanées. Tout n’est pas forcément „qu’ordre et beauté,/ Luxe, calme et volupté“, mais sable, mousses, glacier, banquise, neige, geyser, fjord, etc., c’est-à-dire autant d’éléments descriptifs (avec lesquels il est en osmose et auxquels il s’identifie) mettant sous nos yeux, de manière vivante et personnalisée, le sujet qu’il évoque. Florent Toniello s’emploie à le caractériser par touches successives, en livrant son ressenti de façon poétique, c’est-à-dire au moyen d’une densité d’expression participant de ce que Heidegger appelle, afin de définir le terme de „Dichtung“, „un mode parmi d’autres du projet éclaircissant de la vérité“ (dans son ouvrage „Chemins qui ne mènent nulle part“). L’approche iconico-textuelle de ce recueil de prose poétique est un exemple probant de ce „projet éclaircissant de la vérité“ dans la mesure où le texte s’enrichit de la vérité de l’image et inversement. En plus de donner une certaine vision du monde, cet ouvrage peut même être considéré comme une sorte d’autobiographie poétique („Poésie et vérité“, à l’instar de Goethe, mais à la façon Toniello?) dans laquelle l’auteur se dévoile, se met en scène tout en donnant une épaisseur à la fois émotionnelle et esthétique aux diverses réalités paysagistiques qu’il peint.

Couverture du livre de Florent Toniello, „Hraun“, publié par Michikusa Publishing au Luxembourg en 2025
Couverture du livre de Florent Toniello, „Hraun“, publié par Michikusa Publishing au Luxembourg en 2025 Source: Michikusa Publishing 

C’est sa manière à lui d’„habiter poétiquement le monde“ (selon l’expression du poète romantique allemand Hölderlin), en l’occurrence l’Islande, et de nous le faire (re)découvrir par des mots éloquents, des syntagmes pesés, sous-tendus par un rythme haletant, un flux tendu propre à susciter à l’adhésion du lecteur qui se voit embarqué dans la recréation poétique d’un espace dont l’auteur est à la fois l’observateur et le passeur. Le sable est par exemple décrit comme un ensemble de „billes translucides contre veines de magma coagulé. Un combat semble émerger. Mets au jour mon statut de témoin, neutralité chevillée, observer, scruter, consigner les querelles locales dans le livre“. En outre, s’agissant du glacier, Florent Toniello écrit: „prisonniers, des échantillons voyagent dans le temps. répands la bonne parole de la conversation, torpeur perpétuelle, mémoire sacrée de changements successifs. m’émerveille de la lenteur des processus“. La falaise à oiseaux, quant à elle, est un lieu où „règne la confiance, œuvre du temps contrecarrée, cycle sans fin, la vie se transmet à la vie“. Continuer à s’émerveiller, considérer la poésie comme un „cycle sans fin“ où l’on se réinvente, où l’on renouvelle son rapport au monde et au langage, n’est-ce pas là un des objectifs que se fixe Florent Toniello dans son ouvrage „Hraun“?