À la mi-février 1945, l’Unio’n avait fait placarder à travers le Luxembourg un vigoureux manifeste dans lequel il attaquait frontalement le gouvernement, accusé de n’avoir rien fait pour punir les collaborateurs, ni pour reconstruire le pays. L’Unio’n s’y plaignait aussi de l’absence de la Chambre des Députés qui, près de six mois après la libération, n’avait toujours pas été convoquée. Arguant du mécontentement de la population, elle exigeait que le gouvernement démissionne.
Ce dernier avait répondu aux salves de l’Unio’n dès la semaine suivante en promettant de réunir prochainement une Assemblée consultative, dans laquelle devaient être représentées toutes les forces politiques du pays. Il avait également annoncé la création de deux nouveaux ministères, l’un chargé du Ravitaillement, l’autre de l’Épuration.
Nouveaux instruments pour une vieille rengaine
L’Unio’n s’empressa de faire savoir qu’elle ne comptait pas se laisser amadouer par de telles mesures. Le 27 février 1945, le mouvement assénait en gros titres à la une de son journal, D’Unio’n: „Mir hu gesot: „Mir wëlle keng regirongserweiderong matt dem ale programm, mé e neie regirongsprogramm. Als äntfert kre’e mir: Nei instrumenter fir den ale musek [sic.] ze blosen, an eng chamber vun ‚Dupong’s Gnaden’.“
Tout au long du mois de mars, le mouvement continua à critiquer l’exécutif en place. Mais son ton, si offensif à la mi-février, commença à se faire plus fébrile, plus hésitant. Dans le numéro du journal D’Unio’n du 15 mars 1945, on pouvait lire que le mouvement ne remettait pas en question le départ du gouvernement le 10 mai 1940, pas plus que les conditions dans lesquels ce départ avait eu lieu. Au contraire, il considérait cette décision comme „en act vu politescher klughét a weitsicht“.
Il était aussi affirmé dans cet article que l’Unio’n n’avait jamais prétendu détenir le monopole de la résistance et s’était toujours montrée prête à travailler avec tout le monde – en tout cas avec tous ceux qui voulaient reconstruire le pays sur des bases nouvelles: „Mir sin nach ëmmer agetrueden fir d’énegkét a fir e géscht vu solidarescher reconstructio’n. Mir sin ower net zefridden matt enger reconstructio’n am géscht an op der basis vu virum krich, mir triéden an fir én opbau, dén eist land moralesch, kulturell a materiell ëmmer me’ an d’he’cht brenge soll. Wién eis dobei wëlt knëppelen an d’riéder geheien, sabote’ert sech selwer a seng hémecht.“
La résistance dans toutes ses nuances …
Ce retour à un peu plus de mesure s’expliquait par le fait que, contrairement à ce qui avait largement été le cas à l’automne 1944, l’Unio’n n’était plus désormais épargnée dans la presse. Le Luxemburger Wort, qui avait toujours fait preuve d’une certaine circonspection face au mouvement et à son attitude qu’on qualifierait aujourd’hui de „populiste“, se porta immédiatement à la rescousse du gouvernement. Ce faisant, il posa les bases d’un discours sur la résistance qui allait devenir hégémonique dans les décennies suivantes.
Dans son numéro du 9 mars 1945, on pouvait ainsi lire: „D’regirong huet am e’schte resistenz gemâcht, we’ der nach net vill dat verstanen hun.“ Le quotidien catholique expliquait ensuite qu’il y avait certes eu une résistance organisée, mais aussi une résistance individuelle, et que les deux avaient agi de concert, aucune n’étant supérieure à l’autre: „Glécklecherweis huet d’ganzt land matt der organise’erter resistenz geschafft. An et wir am beschten, de géscht vun der gesamter letzeburger resistenz, we’ se sech zu London, zu Letzeburg an am Preiseland gewisen huet, ge’f triumfe’eren an énegkét an se ge’f ëmschloen zu engem géscht vu solidarescher reconstructio’n.“
La dénonciation d’un mouvement aux idéaux fascistes
Alors que le Luxemburger Wort remettait en question la légitimité de l’Unio’n à s’exprimer au nom de la résistance, le Tageblatt commençait lui aussi à changer d’attitude face au mouvement. À l’automne, le quotidien s’exprimait encore de manière très ambivalente à son égard, ce qui était vraisemblablement l’expression d’une bipartition au sein de la rédaction, opposant d’une part ceux qui soutenaient le projet de l’Unio’n de reconstruire le pays sur les valeurs de la résistance et d’autre part ceux qui restaient fidèles à un gouvernement dans lequel siégeaient des ministres socialistes.
Mais au mois de mars 1945, le Tageblatt prit résolument parti pour le gouvernement et commença à publier des articles hostiles à l’Unio’n. Dans l’éditorial du 12 mars 1945, le mouvement fut dénoncé comme un danger pour la démocratie et accusé de nourrir des idéaux fascistes, notamment en raison de son programme de mars 1944, d’inspiration corporatiste.
Le Tageblatt commença aussi à prendre ses distances avec la vision maximaliste de l’épuration défendue par l’Unio’n, prônant désormais l’approche légaliste chère au gouvernement. Il était dorénavant moins question dans le quotidien de purification de la société par l’éloignement des „traîtres“ et des „opportunistes“ que d’action pénale contre les individus soupçonnés d’avoir commis des „crimes et délits contre la sûreté extérieure de l’État“.
Dans son numéro du 1ᵉʳ mars 1945, le Tageblatt présenta le nouveau ministère de l’Épuration à ses lecteurs. Il leur expliqua d’abord que l’épuration était un terme collectif par lequel étaient désignés: la poursuite des personnes accusées d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État (par exemple les espions à la solde de l’Allemagne), jusque-là du ressort du ministère de l’Intérieur; l’épuration proprement dite, c.-à-d. politique, basée sur la législation d’exception, précédemment confiée au ministère de la Justice; l’épuration administrative, fondée sur le droit administratif, qui avait été initiée par le ministère d’État. Cette restructuration était saluée dans le quotidien qui y voyait une restauration de la séparation des pouvoirs.
Le gouvernement prend l’ascendant
Au mois de mars 1945, l’Unio’n commença à perdre en force. L’attaque frontale contre le gouvernement dont elle exigeait la démission se révéla contreproductive. Alors que les armées alliées s’enfonçaient profondément dans le Reich et que la fin de la guerre semblait imminente, de larges pans de la société luxembourgeoise souhaitaient un retour à la normale. Les réformes annoncées par le gouvernement au mois de février 1945 allaient dans ce sens et contribuèrent à calmer les esprits.
L’Unio’n voyait désormais fondre le nombre de ses soutiens et commençait aussi à se défaire de l’intérieur. Cela n’avait rien de surprenant puisqu’elle réunissait en son sein des organisations fort différentes, allant de l’extrême-droite nationaliste aux communistes. Les LFK (Letzeburger Fräiheetskämpfer – „Combattants luxembourgeois pour la liberté“) annoncèrent bientôt qu’ils quittaient l’Unio’n. Se disant toujours hostiles à „l’esprit d’avant le 10 mai 1940“, ils se disaient tout de même prêts à faire confiance au gouvernement.
De Maart
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