Donnerstag25. Dezember 2025

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JazzLuciano Pagliarini: „Peter Brötzmann, c’était le chantre de la musique improvisée!“

Jazz / Luciano Pagliarini: „Peter Brötzmann, c’était le chantre de la musique improvisée!“
Une légende de la scène jazz au Luxembourg: Luciano Pagliarini Photo: Alfred Bisenius

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La musique est magique et sans doute encore un peu plus que d’ordinaire lorsqu’un mythe en fait revivre un autre, à travers l’harmonie et la rythmique. Le pouls continue alors de battre, le corps de vibrer. Si Peter Brötzmann a poussé son dernier souffle le 22 juin 2023, il reste ce saxophoniste et clarinettiste de free jazz hors pair pour l’éternité. Ce week-end, lors du „Pagliarini Brötzmann In 3 Days“ à Esch-sur-Alzette, au Vinyl Harvest, le mythique saxophoniste Luciano Pagliarini rend un hommage à son comparse disparu. Interview.

Tageblatt: En tant que légende vivante du free jazz, où en êtes-vous aujourd’hui?

Luciano Pagliarini: Si j’ai un parcours plutôt tout-terrain avec, à la clef, une multitude de concerts jazz standards ou des big bands, maintenant, je ne fais plus que de la musique traditionnelle, en compagnie de la „Brigade d’intervention musicale“, quand je ne fais pas de la musique plus improvisée. Et je pratique avec des confrères qui ont le même état d’esprit, parce qu’il faut être en famille; il y en a qui s’imaginent que c’est facile juste parce qu’on joue. Peter Brötzmann était le chantre de la musique improvisée, donc, à l’évidence, c’est ce que nous allons jouer ce week-end.

Vous aimez harmoniser les deux pôles, tradition et improvisation.

J’ai un peu le cul entre deux chaises, comme on dit: en France, notamment, pour les férus de free jazz, j’étais trop bop, trop jazz moderne des années 1940-1960; pour les néo-boppers, j’étais trop free. Et ça m’a affecté. C’est dans la ville de New York que j’ai trouvé une famille à travers les musiciens avec lesquels je jouais, au sens où ils explorent les musiques dites ouvertes, tout en respectant les traditions; il n’y a pas de contradictions.

Il y a eu une rupture dans votre parcours puisque vous avez cessé toute activité musicale pendant douze ans.

J’avais le statut de musicien professionnel et j’étais intermittent du spectacle en France, sauf que, quand j’ai fait un AVC en 2005, j’ai dû arrêter la musique. En 2017, mon ami Fred Bisenius m’a emmené à un festival de jazz en Allemagne et, à partir de là, j’ai repris goût à la musique. Alors j’ai recommencé à travailler véritablement: j’ai ressorti un vieux calepin, j’ai recontacté mes amis musiciens américains et j’ai filé à New York.

C’est avec le même Alfred Bisenius que vous cherchez à sensibiliser le grand public aux musiques ouvertes.

Et nous y parvenons! Pendant vingt ans, Fred a été le président d’une association qui s’appelait JAM – „Jazz am Minett“; entre 1985 et 2015, il y a eu, en tout, deux-cent concerts. Maintenant, c’est New JAM. Les concerts qui ont lieu ce week-end représentent la première grande opération de l’association.

Trois jours, trois groupes.

Il y a Free Lorraine, Total Trio et Europ-American Combo. Pour ce troisième groupe, en plus de la présence du grand tromboniste allemand Christof Thewes, j’ai mis le contrebassiste Joe Fonda avec le batteur Peter Perfido, sachant que la dernière fois qu’ils ont joué ensemble, c’était il y a trente ans – il s’agit donc de retrouvailles au sommet.

Brötzmann est l’un des principaux musiciens européens qui ont démontré qu’on pouvait faire de la musique autrement qu’en singeant des grands maîtres américains

Luciano Pagliarini, saxophoniste

Et vous jouez dans chacune de ces formations.

Eh oui, c’est moi qui ai concocté le menu.

L’événement a lieu dans le magasin de disques Vinyl Harvest: un lieu non seulement intimiste, mais aussi, par définition, habité par la musique.

La boutique est tenue par Claudio Caruso – Caruso comme le ténor! C’est un endroit qui fait se croiser aussi bien l’électronique, le hip-hop, que le jazz très moderne. Pour le moment, il n’y a pas l’affluence qu’on aimerait qu’il y ait, mais s’il se tient bien, le Vinyl Harvest pourrait être le lieu incontournable des musiques ouvertes. Le premier groupe que Caruso a engagé chez lui, en 2018, c’était le Total Trio, qui joue ce soir – comme quoi.

Pagliarini lui rend hommage: Peter Brötzmann
Pagliarini lui rend hommage: Peter Brötzmann Photo: Alfred Bisenius 

En plus d’un hommage à Peter Brötzmann, il s’agit de perpétrer son héritage?

Je ne suis pas musicalement de la même famille que Brötzmann – en revanche, d’un point de vue philosophique, si. Brötzmann est l’un des principaux musiciens européens qui ont démontré qu’on pouvait faire de la musique autrement qu’en singeant des grands maîtres américains. Cela n’enlève rien à la valeur des Américains, bien évidemment, mais lui a prouvé qu’il était possible de prendre une autre direction. Et c’est un sacré tour de force puisque, pour les Etats-Unis, Brötzmann est désormais un vrai mythe.

Vous pensez que la musique permet de communiquer avec les absents?

L’éternité, c’est ça. Quand je mets un disque de Charlie Parker, il est là, j’entends même son souffle.

Le saxophone est l’instrument dont la sonorité se rapproche le plus du sanglot, vous ne trouvez pas?

Absolument. En plus, avec le saxo, il peut y avoir une grande palette de styles, c’est riche, ne serait-ce que dans le champ du jazz. Il y a déjà deux mondes distincts entre ceux qui jouent comme des brutes et ceux qui sont plus délicats. Le saxophone est un instrument très malléable; chacun peut y exprimer sa personnalité. Tous les instruments, en principe, se plient à la sensibilité de l’individu, mais le saxophone encore plus.

„Pagliarini Brötzmann In 3 Days“ à Esch démarre le 14 février, soit le jour de la Saint-Valentin. L’événement peut donc être perçu comme une déclaration d’amour publique à Brötzmann?

Vous me donnez une bonne idée là! Ce n’est pas que je sois blasé, mais je vois tellement d’affiches de spectacles qui se déroulent dans les grandes salles, le Zénith ou, au Luxembourg, la Rockhal; il y a de moins en moins de place pour les petites structures. Je ne suis pas au courant de tout ce qui sort, mais je sais bien que ça va être plein; les jeunes sont si influencés par les réseaux sociaux, ils vont là où on leur dit d’aller. Ce week-end, il va y avoir du monde, mais on ne peut pas accueillir des centaines de personnes. Moi, tant que je peux m’exprimer, que ça se passe bien et qu’il y a du public qui vient m’écouter, je suis satisfait.

Si Brötzmann venait vous écouter ce week-end, que lui diriez-vous?

Je lui dirais que j’ai une admiration certaine à la fois pour son jeu et parce qu’il a tenu tête contre vents et marées.