Dienstag28. Oktober 2025

Demaart De Maart

L’histoire du temps présentJanvier 1945: Le coup de pression de l’appareil d’Etat sur le gouvernement

L’histoire du temps présent / Janvier 1945: Le coup de pression de l’appareil d’Etat sur le gouvernement
14 janvier 1945: trois GI, après avoir tenu une position boisée toute la nuit près de Wiltz contre la contre-attaque allemande Photo: archives Editpress

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Il y a exactement 80 ans, en janvier 1945, le nord et l’est du Luxembourg, frappés de plein fouet par la contre-offensive allemande dans les Ardennes, étaient de nouveau libérés. Mais une fois le danger extérieur repoussé, les divisions intérieures se firent de nouveau ressentir. Echaudés par les velléités d’épuration du gouvernement, les anciens membres de la Commission administrative étaient résolus à ne pas se laisser faire.

Au début du mois de janvier, la 3e armée américaine du général George Patton était en train de réduire les dernières poches de résistance allemandes au Luxembourg. Si leur victoire ne faisait désormais plus de doutes, elle avait été acquise chèrement. Près de 10.000 GI étaient tombés, dont la moitié sur le sol du Grand-Duché, faisant de la Bataille des Ardennes l’une des plus sanglantes dans l’histoire militaire des Etats-Unis.

Les civils avaient, eux aussi, payé un lourd tribut, 2.500 étaient morts en Belgique et 500 au Luxembourg. Des milliers d’autres se retrouvaient sans abri au milieu de l’un des hivers les plus rudes du 20e siècle. Alors que le Luxembourg avait jusque-là été relativement préservé des combats, près d’un tiers de ses bâtiments, ponts et routes furent détruits entre la mi-décembre 1944 et le début du mois de février 1945 – les combats perdurèrent en effet jusqu’à cette période autour de Vianden, l’ultime localité à être libérée.

La question de l’épuration ravivée 

Les combats dans le nord et l’est avaient un moment mis en sourdine les tensions qui agitaient le pays depuis la libération de septembre 1944. Mais maintenant que le danger était repoussé, elles allaient s’exprimer avec une intensité accrue par la peur, la colère et le deuil causés par les combats des semaines écoulés.

L’un des sujets qui polarisaient le plus l’opinion alors était celui de l’épuration. Si la nécessité de punir ceux qui avaient collaboré avec l’occupant faisait consensus, les choses devenaient plus compliquées lorsqu’il s’agissait de définir qui tombait dans cette catégorie. Comment fallait-il traiter les membres du parti collaborationniste Volksdeutsche Bewegung (VdB) qui, au faîte de sa puissance, avait compté près de 82.000 adhérents?

Parmi ces derniers, il y avait la quasi-totalité des fonctionnaires et employés de l’Etat, qui avaient adhéré en masse au mouvement en octobre 1940, sous la menace du Gauleiter Simon. Beaucoup avaient renvoyé leur carte d’adhérent en septembre 1942 pour protester contre la mobilisation des jeunes Luxembourgeois dans l’armée allemande. Bien d’autres avaient par la suite étaient mutés, transplantés, voire déportés en Allemagne. Mais dans l’ensemble, le vernis allemand et nazi qui l’avait recouvert, avait permis à l’appareil d’Etat luxembourgeois de survivre à l’occupation. Les résistants le savaient et réclamaient désormais des comptes.

L’épuration de l’appareil d’Etat 

Au lendemain de la libération, l’Unio’n – organisation à vocation unitaire qui rassemblait les mouvements de résistance les plus puissants – avait commencé à réclamer une épuration sévère. Celle-ci devait certes frapper ceux qui avaient ouvertement collaboré, en portant l’uniforme nazi, en dénonçant des compatriotes, en s’enrôlant volontairement dans les forces armées du Reich.

Mais cela n’était qu’un début. Pour pouvoir reconstruire le pays, lisait-on régulièrement dans les colonnes du quotidien D’Unio’n, il fallait aussi sanctionner tous ceux qui, dans les administrations ou l’économie, sans avoir adhéré au régime nazi, étaient tout de même restés en poste et l’avaient donc servi. Le gouvernement rentré d’exil, encore fort critiqué dans le pays en raison de sa fuite en mai 1940, comptait-il céder à l’Unio’n qui, elle, au contraire, était auréolée de la légitimité de la résistance intérieure et comptait quelque 12.000 membres?

C’est en tout cas ce que craignaient bien des fonctionnaires et en premier lieu les anciens membres de la Commission administrative. Le gouvernement venait en effet de confier à un magistrat, Robert Als, la mission d’enquêter sur l’attitude des fonctionnaires durant l’occupation. Le 15 janvier 1945, les anciens membres de la Commission administrative adressèrent à ce dernier un pli contenant un „Mémoire des Conseillers de gouvernement, anciens membres de la Commission administrative sur la question de la VdB“ ainsi qu’une „Note des anciens membres de la Commission administrative sur leur attitude dans la question de la VdB“.*

„Une stupéfaction à la fois douloureuse et indignée“

Dans ces deux documents, les anciens membres de la Commission administrative attaquaient à mots à peine voilés l’attitude du gouvernement au moment de l’invasion et lui disputaient quasiment le droit de juger de l’attitude de ceux qui étaient restés au pays. „Le gouvernement n’est pas le supérieur hiérarchique de la Commission. Celle-ci tenait son autorité et sa compétence non du gouvernement, qui en partant ne lui laissa ni délégation ni instruction, mais de la Chambre et du Conseil d’Etat“, était-il ainsi asséné dans la note: „Dans la mesure où les membres de la Commission agissaient en exécution de ce mandat, ils exerçaient une compétence propre et nécessairement indépendante en droit, à l’instar de celle du gouvernement régulier lui-même.“

Le mémoire s’ouvrait lui aussi sur quelques lignes acides. Les anciens membres de la Commission administrative y rappelaient d’abord que la nouvelle du départ du gouvernement, dans la nuit du 9 au 10 mai 1940, avait été accueillie par la population „avec une stupéfaction à la fois douloureuse et indignée“. Du point de vue du droit public, le corps social luxembourgeois s’était ainsi trouvé amputé de deux organes essentiels. Ni le pouvoir législatif, ni le pouvoir exécutif ne pouvaient plus fonctionner selon les règles de la constitution. Les auteurs enfonçaient le clou: „Il n’est pas possible de supposer que le gouvernement n’ait pas envisagé la situation en même temps que les conséquences qui en émanaient du point de vue du droit des gens. Il savait aussi que ,le siège du gouvernement ne peut être déplacé que momentanément pour des raisons graves (constitution art. 109)‘, alors cependant que l’état de fait qui l’amenait à quitter Luxembourg excluait l’espoir d’un retour prochain.“

Une menace à peine voilée 

En clair, les anciens membres de la Commission administrative ne se contentaient pas d’écrire que leur gouvernement de fait – car c’est ainsi qu’ils voyaient la Commission administrative – avait une légitimité et pouvoir égaux à ceux du gouvernement en exil. Ils affirmaient, dans un document certes confidentiel mais officiel, que ce gouvernement, en quittant le pays, avait cessé d’exister.

Dans la suite du mémoire, les auteurs affirmaient qu’ils étaient disposés à reconnaître l’autorité et la légitimité du gouvernement et à considérer que la Commission administrative était dissoute, mais prenaient soin de souligner qu’ils le faisaient de leur propre chef. Que c’était là une décision prise en toute souveraineté … et qu’éventuellement ils pourraient revenir dessus et raconter leur version de l’histoire, cette fois-ci publiquement? C’était du moins sous-entendu. Il y avait en tout cas dans le mémoire cette mise en garde contre l’enquête administrative confiée à Robert Als qui constituait une menace à peine voilée: „Les soussignés se croient autorisés à mettre le gouvernement en garde contre ce procédé contraire à un principe fondamental de notre droit pénal et disciplinaire et propre à faire peser un soupçon déshonorant sur la masse des fonctionnaires dont les sentiments patriotiques ne sauraient cependant être mis en doute. Les soussignés ignorent comment les fonctionnaires répondront à la mesure d’investigation annoncée. Ils craignent que le gouvernement ne s’aliène en y recourant la sympathie de nombreux fidèles collaborateurs.“


* Ces documents se trouvent aux Archives nationales de Luxembourg, dans le fonds Epuration: ANLux EPU 104.