Sachez qu’il s’agit d’un dinosaure de la politique luxembourgeoise, 46 ans (sic!) de mandats divers au compteur. A-t-il été condamné à la perpétuité, je n’en sais rien. Il serait arrivé, largement, d’après un ranking ad hoc, dans le top 100 des extra-jobs (donc des revenus en plus des indemnités juteuses de député européen) les mieux payés au Parlement européen, selon une liste établie par l’ONG Transparency International qui sert de référence. Cette organisation non gouvernementale internationale, d’origine allemande, a pour principale vocation la lutte contre la corruption des gouvernements et institutions politiques de par le monde. Elle est connue pour rendre publique régulièrement des indices mondiaux sur la corruption. Cette dernière, et je cite le site (comme c’est beau phonétiquement!) „est la perversion ou une infraction pénale commise par une personne ou une organisation à laquelle on confie une position d’autorité, afin d’acquérir des avantages illicites ou d’abuser de son pouvoir à des fins personnelles“.
Vive les rémunérations supplémentaires!
Attention, il ne s’agit pas d’un ranking, d’un classement qui rend compte d’une assiduité extrême, d’interventions mémorables, de rapports parlementaires ou de discours qui auraient marqué les esprits, de gestes politiques inoubliables.
Non, il s’agit, dans le cas présent, tout simplement de relever les rémunérations supplémentaires, extraparlementaires, de certains députés européens, émanant en fait d’une „activité non-active“ qui consiste à chauffer, de temps en temps, une chaise d’un conseil d’administration, dans le cas présent celle d’une grosse compagnie d’assurances luxembourgeoise, pour empocher, annuellement, la coquette somme de 43.000 euros. Pour ne rien foutre, ou presque. Si, pardon, se déplacer quelques fois par an à Leudelange pour y participer, inactivement, tel un pot de fleur, aux réunions du conseil d’administration de la boîte citée, péter à volonté dans le cuir de la chaise et repartir avec un trésor. Après avoir bu le champagne, avec les autres administrateurs, bien évidemment. Sans parler des tarifs probablement avantageux des contrats d’assurance personnels ad hoc. Avec le sourire, bien sûr. Une femme de ménage en rêve, car elle se lève un cul quotidien énorme, souvent debout dès cinq heures du matin, travaillant plus de 40 heures par semaine, pour gagner 25.000 euros par an, tout en subissant humiliations ou autres, régulièrement. Tout en ayant fait les mêmes études que notre bien-aimé député européen.
D’ailleurs je dois avouer que les compétences pointues dans le domaine des assurances de cet eurodéputé, manifestement sous-payé à Bruxelles, m’avaient complètement échappé jusqu’à présent. Entretemps j’ai comblé cette lacune …
Surprise, surprise, la personne en question est arrivée récemment sur le podium des personnalités politiques préférées du pays. Félicitations, mais comprenne qui pourra … A moins que ce soit grâce à sa présence régulière à la télé où il possède comme un abonnement, gratuit bien sûr, car invité à chaque fois qu’on y parle d’Europe, au grand bonheur de la rédactrice en chef adjointe, son supporter numéro un, chaque fois aux anges quand il participe à ses tables rondes. Il a son rond de serviette au studio de télévision, dit-on pour cette façon de faire. On lui aurait même proposé de dormir sur place pour éviter ces éternels allers et retours. Tout observateur averti a déjà remarqué qu’en fait il se plaît et se complaît à répéter, à chaque fois, les avis ou autres positions de la Commission européenne, traduit en luxembourgeois bien sûr, le front ridé, le regard au lointain (on dirait Charles … de Gaulle), avec une telle emphase que tout le monde est persuadé qu’il est l’auteur de ses propres paroles. Bien joué, mec!
Avant de regarder le détail de la situation tellement peu enviable de notre député européen, au bord de la famine et de la mendicité, apparemment à la ramasse, mais avec un appétit d’ogre, il est intéressant de porter un regard au-delà de nos frontières, pour voir de quoi il retourne là-bas, en ce qui concerne le sujet évoqué plus haut. Je veux parler de la transparence.
La transparence, rien que la transparence, toute la transparence
Ah, la transparence, ce substantif galvaudé en politique, n’est-ce pas Messieurs les Pirates, tout sauf honorables? Alors que dans notre pays ce mot prend une minuscule, dans d’autres pays, notamment en Europe du Nord, il prend une majuscule. Alors que nous avons vu récemment la Ville de Luxembourg refuser de publier une étude sur les passages cloutés, en Suède par exemple, depuis une loi de 1766, n’importe quel citoyen peut avoir accès à tout document public, des revenus aux dépenses des élus, à condition d’en faire la demande. Cette tradition de „publicité“ oblige le personnel politique à la plus grande transparence, ce qui est tout à fait logique, vu que le citoyen lui a confié un mandat qu’il est censé remplir avec circonspection. Il est donc difficile de déroger à la bonne conduite, lorsqu’on vit dans une maison de verre, car la situation d’un tel ou d’un tel peut être passée au peigne fin à tout moment.
C’est probablement le prix à payer pour emporter l’adhésion populaire, dans un pays qui bat tous les records en termes de participation électorale des citoyens. Je pourrais donner, ici et maintenant, foule d’exemples où des élus suédois ont été vilipendés, voire contraints à démissionner, pour des faits que nous considérions comme bénins, voire „peanuts“. Une responsable de l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Stockholm a déclaré récemment que „cette culture de publicité est très ancrée dans l’éthique publique, avec un seuil de tolérance relativement bas“.
Certes les Suédois ne sont pas exempts de toute corruption, des affaires passent sous les radars, notamment sur le plan local où la pression est moins forte. Mais ils sont particulièrement tatillons sur l’usage des moyens publics auxquels ils contribuent, ainsi qu’aux abus de position, aussi minimes soient-ils. Et lorsque des scandales touchent un membre du gouvernement, le premier ministre se garde bien de lui porter secours.
Et au Luxembourg?
Qui se souvient encore qu’à la fin des années 80, mon ami et à l’époque député Reejang avait défrayé la chronique pour avoir déposé au greffe de la Chambre sa déclaration d’impôts, tout en mentionnant tous ses revenus ou activités „extérieures“, sans exception, et ceci dans le cadre d’une stratégie qu’il se plaisait d’appeler „le député aux poches transparentes“. A l’époque une vraie révolution! Entretemps des dispositions idoines ont trouvé leur chemin dans le règlement du parlement, mais elles sont assez timides. Ceci nous amène au sujet donc évoqué par Virgule il y a quelques jours, avec comme acteur principal notre bien-aimé eurodéputé. Il faut préciser d’emblée qu’on n’est pas en face de quelque chose d’illégal, mais il y a deux aspects qui m’ont interpellé: d’abord le caractère incomplet des déclarations de revenus et puis, et surtout, son affirmation rapide qu’il a dégainée pour se défendre (Lucky Luke doit être jaloux).
Dans l’ordre. A part ses revenus comme parlementaire (100.000 euros d’indemnité annuelle d’après Virgule, chiffre qu’on pourrait multiplier par deux en y ajoutant d’autres accommodations, voir en bas de page*), il toucherait donc, toujours d’après la même source, 43.000 euros supplémentaires par an en tant qu’„administrateur indépendant“. Défense de rigoler. Mais soit. Pourquoi ne pas être complet en indiquant les autres sources de revenu dont ce Monsieur jouit, dont, notamment, sa pension ministérielle mensuelle, conséquente et substantielle.
Pourquoi la cacher, pourquoi avoir honte? C’est également légal, mais ça renseigne pas mal sur plein de choses. Pour compléter ce tableau, il faudrait également y ajouter les fruits d’autres activités, pour l’instant pas encore révélées, qui tombent dans son escarcelle. Mais soit. Le hic de toute cette histoire réside, pour moi, dans la justification que le député a avancée pour sa déclaration d’activité comme administrateur où le risque d’un conflit d’intérêt est latent.
Là, franchement j’ai tiqué. C’est d’ailleurs cet aspect qui m’a conduit à rédiger ce papier. Citation du concerné: „Je me fais conseiller pour éviter les conflits d’intérêts. (…) Cela n’a absolument aucune influence sur mon travail politique.“ Et il souligne qu’il n’est membre d’aucune commission parlementaire traitant des questions financières. Pardon, mais là il se fout du monde, il nous prend pour des cons, ou pour des canards sauvages comme aurait dit le Grand Charles (de Gaulle). Et en séance plénière, il fait quoi, quand de tels sujets sont à l’ordre du jour? Il va promener son chien? Et le verbe „ antichambrer“, on connaît! Pourquoi vouloir être à la fois juge et témoin? Alors qu’on ne vienne pas nous raconter qu’il y a d’autres pécheurs plus importants, ainsi un député luxembourgeois serait membre notamment du conseil d’administration de la Bank of China. Oui, et alors, aurait dit François Mitterrand. Je n’approuve pas du tout, mais au moins il ne se fout pas de notre gueule! Et il fait le canard, ce qui, certes, ne change rien quant au fond. D’ailleurs vous seriez surpris de connaître les revenus supplémentaires, accessoires, complémentaires de nombreux politiciens, dans le public et dans le privé. Ils sont gardés comme des secrets d’Etat, alors qu’ils devraient être disponibles et accessibles sur la place publique … Et nous n’avons pas encore parlé de toute une horde de hauts fonctionnaires, dont certains sont recordman de cumuls et autres „memberships“ dans des conseils d’administration, où le gouvernement a des participations ou autres. Sans parler du fait que la plupart ont des problèmes de lâcher les amarres, une fois à la retraite. Ah, qu’il fait bon vivre, pour certains, dans ce pays de cocagne …
Une nouvelle culture politique?

C’est vrai, des fois je rêve. Je rêve d’un système politique, ou d’une culture politique qui s’inspire des pays nordiques où les mandataires sont obligés, comme en Suède notamment, de remettre au moins leur déclaration d’impôts à un organisme approprié.
J’entends déjà les cris d’orfraie de ceux qui s’opposent à cette nouvelle culture politique, invoquant, pour de bonnes causes (sic) le secret des documents personnels, protection des données oblige. Ah, la bonne excuse! Malheureusement, pour revigorer nos systèmes politiques occidentaux et consolider LA démocratie, des changements sont nécessaires, notamment pour essayer de redonner confiance à nos concitoyens par rapport à ces mêmes systèmes. Question: qui va relever ce défi ?
*Revenu officiel d’un eurodéputé: indemnité de base 2023: 119.700 £ brut/an, frais généraux 2023: 59.400 £ net/an, indemnité frais journaliers lors de participation aux séances ou commissions du Parlement européen: 338 £/jour, remboursement frais de route voyages aller-retour pays d’origine lieu de réunion. Cela est beaucoup, mais pas trop. Mais cela devrait suffire sans avoir recours à des rémunérations extérieures malsaines, qui flirtent avec le conflit d’intérêt.
De Maart
Les chiffres cités dans le dernier paragraphe sont scandaleux. Pour la participation à ce cirque un quart suffirait. Le parlement européen a ni culture, ni culture politique.
"Charel, Charel, donk uecht wat’s de méchs, well du schaffs jo nët gär"........ (Lid vum Charel an der Eisebunn) !
Le plus surprenant est que l homme en question est apparu soudainement dans le top 3 d un sondage de popularite politique alors qu il traine depuis un demi siecle sa grande carcasse dans les couloirs et meme souvent sur l avant scene politique grand ducale.
Ce qui en dit aussi long sur le serieux de ces sondages.