Nouveautés musicalesLes nouveaux albums de Rodolphe Burger et Cariño sont tout, mais non décevants

Si The Avalanches est un groupe pop bariolé, „Avalanche“ de Rodolphe Burger se situe sur la ligne opposée. Après „Good“ (2017) et „Environs“ (2020), ce nouvel album inscrit, à son triptyque poétique sombre, un troisième point de suspension. Sur „Encore et encore“, l’autotune supplante la réverbération chère à Burger, qui s’adresse à ses détracteurs: „Vous préféreriez peut-être quelques notes par-ci par-là/Un truc plus pop, n’est-ce pas?“. Le lyrisme, trop timide, laisse place au spoken word. Ça chante quand ça vient, mais quand ça vient, ça parle. Le chanteur poursuit: „Ce sempiternel corps-à-corps entre deux accords“, comme un écho lancinant à „L’inattendu“, où il demande „Qu’attendez-vous au juste?“.

Plus loin, dans „Le bois lacté“, sa voix d’ours résonne sur le beat qui gambade comme un cheval sur des dos d’âne. Alors qu’il reprend „A Dean Martin“ signé Fabio Concato, où il vocalise en italien avec un accent british, Burger agrémente ses „Nœuds“ d’anglais et là c’est la guitare qui forme des nœuds. Avec sa relecture du générique de „Zorro“, le chanteur n’a pas perdu son humour noir. Qu’il s’agisse de jazz électronique, de trip-hop post-rock ou de blues gothique, la rythmique se révèle engourdie, entre la pesanteur et l’apesanteur.

La contrebasse de Pierre Moret appuie, comme des doigts sur un point de côté. Rodolphe Buger est encore accompagné, pour l’enrobage électronique, de Blaise Caillet et, pour la batterie, de Christophe Calpini: ce dernier a travaillé sur „L’imprudence“ d’Alain Bashung (2002) – par analogie, „Avalanche“ serait son petit cousin éloigné. Le disque est dédié à l’ami disparu Pierre Alferi, romancier et parolier de Kat Onoma, l’ex-formation de Rodolphe Burger. Alors, pour répondre à „L’inattendu“, en détournant la célébrissime phrase de „Malcolm“, nous nous attendions à tout, et nous ne sommes pas déçus.

Qu’est-ce que la tontipop? Il s’agit du versant espagnol de la twee pop; on parle aussi d’acne pop, ce qui renvoie à une pop corrélée à l’adolescence – son côté le plus fleur bleue. Cariño, en espagnol, signifie „mignon“, comme twee, en synonyme de „cucul“, „kitsch“. Et le pendant féminin de la twee pop, c’est le cuddlecore. Paola Rivero, Alicia Ros et María Talaverano, alias Cariño, font du cuddlecore. Leur disque „Modivas“ (2018) contient „Bisexual“, un titre où la chanteuse avoue qu’elle est attirée par les filles; il y a aussi „Canción de Pop de Amor“; il y a, en fait, ce qu’on appelle de la „naïveté“, alors qu’il s’agit de romantisme premier degré. Pour la musique, c’est de l’indie lo-fi, bricolée avec des synthés cheap, des riffs spontanés, une boîte à rythme jouet, le tout naviguant entre la fraîcheur des opus de Sarah Records et le „Crazy For You“ de Best Coast (2010): pur, addictif, chou.

La twee pop à trente ans? Place à „Tanto Por Hacer“ (Tant de choses à faire). Que Cariño fassent du piano-voix avec une ample production („Siempre Pierdo Todo“) ou qu’elles s’accordent une excursion dream pop („Veneno“), l’album est à l’image de leur âge: plus mûr. Délaissant la maladresse et la délicatesse, „California Nights“ (2015), le troisième album de Best Coast lorgnait vers les sonorités FM balourdes. En intégrant de l’autotune, ce troisième disque de Cariño sonne moderne et, si l’on ajoute le chant en espagnol, il y a de quoi penser à l’électro-pop latino qui s’exporte en Europe. Sinon, du côté des sorties musicales hispaniques, le „Toda la Verdad Sobre Dame Area“ de Dame Area serait pile aux antipodes de Cariño, en tant que face hardcore du romantisme, et c’est tout aussi bon que „Tanto Por Hacer“.