Décerné tous les deux ans depuis 2004, dédoublé depuis 2011, l’Edward Steichen Award a pour but de soutenir les artistes âgés d’entre 25 et 35 ans, en leur offrant une résidence de recherche dans la ville où la créativité du photographe de Bivange auquel il est dédié, a trouvé à s’exprimer: New York. Les candidatures sont portées par des musées, universitaires, éditeurs d’art et institutions culturelles spécialisées dans l’art contemporain au Luxembourg et dans la Grande Région. Chacun peut proposer jusqu’à cinq artistes âgés entre 25 et 35 ans. Les candidatures sont ensuite soumises à un jury international de trois membres, choisis parmi des galeristes, critiques d’art, historiens de l’art et commissaires.
De quatre à six mois
C’est Su Mei Tse qui a ouvert le bal en 2004, suivie notamment par Bertille Bak devenue prix Marcel Duchamp en 2023. Lors de la remise officielle des prix le 5 novembres, la présidente de l’Edward Steichen Award, Françoise Poos, a souligné la fierté qui l’envahissait à la vue du parcours des artistes encouragés par ce prix créé à l’initiative du diplomate et artiste Hubert Wurth, d’un commun accord avec les héritiers d’Edward Steichen. Ce sont deux artistes, dont la pertinence promet aussi de riches carrières, que le jury a nommées pour cette édition 2024, en les personnes de Marianne Villière et Clio Van Aerde.
La première nommée, installée en France, a reçu l’Edward Steichen Award, à proprement parler, qui met en compétition les artistes européens. Il consiste en une résidence de six mois à l’International Studio and Curatorial Program (ISCP) à Brooklyn. Il est accompagné d’une bourse de 4.000 dollars par mois pour couvrir les frais de logement, de transport et de la vie quotidienne. Le prix Edward Steichen Luxembourg Resident a été pour sa part décerné à l’artiste du Luxembourg, Clio Van Aerde. Il consiste en une résidence de quatre mois, assortie des mêmes conditions d’accompagnement. Cette dernière résidence est financée depuis 2019 par l’Œuvre nationale de secours Grande-Duchesse Charlotte.
Les lauréates doivent durant leur résidence participer à quatre activités: rencontres avec des critiques d’art, voyages sur le terrain, salons et portes ouvertes de studios. Pour le reste, comme le rappelait Françoise Poos, il n’y a aucune obligation de résultat, ce qui laisse une totale liberté aux artistes.
Activisme joyeux
La photographie, dans la pratique des deux artistes visuelles, vient documenter et prolonger le processus artistique qui mise tous deux sur la situation et la création éphémère. Marianne Villière décrit sa démarche artistique comme un „activisme joyeux“ dans l’espace public, en collaboration avec des gens ordinaires autour de questions écosophiques. Le jury du prix a apprécié sa „créativité engagée“ qui l’amène à créer des „espaces pour la réflexion, la connexion et le rêve collectif“. Elle aborde „des thèmes universels en étant profondément ancrés dans les communautés locales“, s’enthousiasme-t-il.
„Elle insère sa pratique dans des situations existantes, qu’elle explore comme une sociologue. Elle identifie des fissures dans les semblants de rationalité qui régissent notre environnement, qui deviennent les espaces de ses interventions“, explique pour sa part la directrice du Forum régional d’art contemporain de Metz, Fanny Gonella, qui a proposé sa candidature. Sa quête poétique cherche à créer des espaces de rencontre, à développer des solidarités entre les personnes et entre les espèces.
Dans son intervention où elle a rappelé l’importance d’un de ses prédécesseurs à cet endroit, Etienne Boulanger – décédé subitement lors de sa résidence à New York en 2008 – pour sa compréhension de l’espace public, l’artiste a notamment exemplifié sa démarche en évoquant un projet de longue haleine baptisé „Les nuées“. Décliné dans de nombreuses communes de France, ce projet consiste à alerter sur la perte de la biodiversité, par la représentation d’oiseaux – dont l’espèce est menacée – sur des baies vitrées, dessinés collectivement dans une matière qui sert à la fin à laver les vitres.
Du balai
Clio Van Aerde partage avec Marianne Villière le goût pour la sociologie et pour la performance. Chez cette artiste belgo-luxembourgeoise, la performance s’inscrit dans le prolongement de ses activités de scénographe pour le théâtre et le cinéma. „La scénographie, c’est créer un terrain de jeu pour les autres; la performance, c’est prendre l’espace comme un terrain de jeu pour moi-même“, dit-elle d’ailleurs.
Clio Van Aerde aime dans la performance le jeu avec la dimension du temps, qui requiert de la précision et de la patience, aussi bien dans son développement que de la part du public, note Anastasia Chaguidouline, la directrice artistique du Cercle Cité qui a présenté sa candidature. La performance est un encouragement à ralentir, qui fut d’autant plus pertinent lors de sa recherche sur la décélération menée en 2016. Elle avait alors exploré la marche comme pratique artistique, dans le prolongement de la dérive chère aux situationnistes, et approfondie par Lucius Burkhardt. Elle avait ainsi proposé la performance „Syndrome de la décélération“ pour la Nuit des musées de cette année-là, marchant à reculons dans un espace d’exposition paré de 365 horloges. Avec „A manifestation of the human border“, elle a ensuite exploré la notion de frontière, par un tour du Luxembourg à pied. Elle y auscultait le paradoxe de la frontière, abstraite mais aux conséquences très sérieuses.
Actuellement, elle mène une recherche sur la poétique des corps au travail. Elle se concentre sur le travail manuel, invisible et stigmatisé, qui est considéré comme les coulisses de la société. Par l’intervention de l’artiste, ce travail ne devient plus seulement visible quand il n’est pas fait. L’artiste visuelle s’inspire des travaux sur les troubles dans le travail menés par Marie-Anne Dujarier, lesquels renvoient aux troubles du genre de Judith Butler. Cette recherche prend notamment la forme d’une exploration chorégraphique avec cet objet banal de la vie quotidienne qu’est le balai. Avant New-York, cette recherche l’amènera d’ailleurs à Neimënster. „Malgré la nature profondément engagée de ses explorations, les concepts de jeu et d’inclure l’absurde restent centraux dans les initiatives de Clio Van Aerde“, note encore Anastasia Chaguidouline.

Art Week
Dans le cadre de la 10e Luxembourg Art week (du 22 au 24 novembre), une table ronde sera consacrée aux vingt ans du prix Edward Steichen le 21 novembre à 14.00 h, avec pour intervenantes: Susan Hapgood (directrice de l’ISCP à New York), Ainhoa Achutegui (directrice de neimënster), Françoise Poos (présidente de l’ESAL), Nika Schmitt (artiste, récipendaire de l’Edward Steichen Luxembourg Resident en 2022) et Marianne Villière (lauréate de l’Edward Steichen Award 2024).
		    		
                    De Maart
                
                              
                          
                          
                          
                          
                          
                          
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