Freitag26. Dezember 2025

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Au Escher TheaterPourvoir et révolte, ou comment mettre en scène „Antigone“ de nos jours

Au Escher Theater / Pourvoir et révolte, ou comment mettre en scène „Antigone“ de nos jours
„Antigone“ par Anima Motrix Photo: Jérôme Lefèvre

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Demain, le Escher Theater se consacre à un classique: „Antigone“ de Sophocle. À propos d’une icône de la désobéissance civile atemporelle.

„Antigone“ est peut-être la pièce la plus célèbre de tout le théâtre antique. Quels que soient les auteurs qui ont abordé ce sujet, sa signification dépasse de loin un simple épisode de la mythologie grecque dans la mesure où le débat qu’elle développe entre les exigences de la conscience morale et les impératifs de la raison d’État est et sera toujours d’actualité.

En outre, une des propriétés des grandes œuvres est la ductilité, c’est-à-dire la capacité à être étirées (comme certains matériaux) sans se rompre, sans être dénaturées. Revisiter un „classique“ comme „Antigone“ constitue, à chaque fois, une gageure: c’est ce défi stimulant qu’ont relevé Emma Gustafsson et Laurent Hatat dans une mise en scène chorégraphique donnant à réfléchir sur l’exercice du pouvoir en résonance avec l’actualité. Ce binôme s’intéresse aux formes de résistance, aime les bousculer et pose en filigrane une question fondamentale: comment désobéit-on au pouvoir aujourd’hui?

Les liens

Quel lien en effet établir entre le pouvoir de la révolte et la révolte contre le pouvoir? L’ „Antigone“ de Sophocle fut représentée en 442 avant J.-C., à Athènes, lors de la célébration des grandes dionysies en l’honneur de Dionysos au cours de laquelle il était d’usage de jouer des agonies tragiques – „Antigone“, „Œdipe roi“ et „Œdipe à Colone“ faisant partie du cycle thébain. Antigone, issue d’une union contre nature, est destinée à subir le même sort funeste que ses parents. Mais contrairement à Œdipe, profondément ancré dans le contexte social dont il reste une sorte d’avatar, Antigone est un personnage émancipé qui s’oppose aux lois archaïques fondées sur l’honneur au nom d’un sentiment moral d’une grande modernité.

„Antigone“ est par ailleurs une pièce agonistique, où les forces en présence s’affrontent, se livrent un combat profond pour défendre, par des actes, des idées qui leur tiennent à cœur. Antigone, quant à elle, revendique hautement son acte, elle affirme avoir obéi aux prescriptions d’une loi non écrite, éternelle et immuable dont l’autorité doit prévaloir sur les injonctions de la justice humaine incarnée par son oncle Créon, roi de Thèbes et gardien, parfois malgré lui, d’une raison d’État souvent lourde à porter. Ce dernier ordonne d’enfermer Antigone dans un cachot souterrain où elle finira ses jours. En marchant au supplice, celle-ci se réjouit d’aller retrouver, au séjour des morts, son père, sa mère et ses frères: qui sait si les dieux ne la vengeront pas un jour en punissant ses bourreaux?

Création moderne

La création signée à la fois par Emma Gustafsson et par Laurent Hatat avec la compagnie Anima Motrix est constituée par une forme de représentation scénique articulée autour non seulement du jeu théâtral proprement dit, mais encore de la danse, ce qui lui confère une dimension synesthésique et rythmique innovante dans la mesure où différents arts se combinent afin de créer, pour le spectateur, une expérience théâtrale augmentée. S’appuyant sur l’écriture de Julie Ménard, le duo Gustafsson-Hatat, à l’instar des traductrices Irène Bonnaud et Malika Hammou, tente de porter un regard contemporain sur le texte de Sophocle et ainsi de (re)créer des liens entre ce texte millénaire et le (jeune) public.

Que reste-t-il de la mise en scène antique?
Que reste-t-il de la mise en scène antique? Photo: Jérôme Lefèvre

Par ailleurs, le fait que le corps du texte et celui des comédiens ne constitue au fond plus qu’un langage destiné à souligner l’indispensable résistance radicale face à la domination sociopolitique (subie par certains individus à l’instar d’Antigone, interprétée par Mathilde Auneveux) marquera certainement le public. Aussi le chœur interprète-t-il ce grand récit antique autant par la voix que par le corps. Sensible au personnage d’Antigone guidée par le principe universel d’humanité face aux lois (inhumaines) de Créon, le public sera ainsi mis en contact à la fois avec une héroïne tragique atemporelle et universelle, et avec un récit (partiellement elliptique) mettant en évidence l’ancrage de ce mythe fondateur et de cette figure emblématique de résistance et de désobéissance dans le temps présent.

Cette nouvelle version d’Antigone peut sembler légèrement figée dans la mesure où les comédiens ne quittent pas le plateau et où ils évoluent sur un tapis de cendres symbolisant non seulement le deuil, mais aussi un monde (le leur? le nôtre?) certes en déréliction, mais porté par une énergie brute et immuable. Il n’en demeure pas moins vrai qu’un souffle impulsif et insurrectionnel traverse de façon roborative l’ensemble de la représentation. La poussière jonchant le sol, combinée à l’âpreté de la couleur rouge (rouge-sang?), souligne l’interpénétration de la cruauté du politique et de la violence du sacrifice humain. Rendre des honneurs funéraires à un frère considéré comme un traître pose question, pose problème, même dans le cadre de ce qui est considéré comme une juste rébellion, même pour une icône de la désobéissance civile comme Antigone dont le „non“ continue à résonner en 2024.

Antigone

Au Escher Theater, jeudi, le 7 novembre à 20h, plus d’infos: theatre.esch.lu