Freitag26. Dezember 2025

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Artistes entre Luxembourg et BerlinLe metteur en scène Thierry Mousset dit qu’il „tombe amoureux d’un projet“

Artistes entre Luxembourg et Berlin / Le metteur en scène Thierry Mousset dit qu’il „tombe amoureux d’un projet“
Thierry Mousset en 2016 Photo: archives Editpress/Isabella Finzi

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Metteur en scène, réalisateur, dramaturge des pièces de Thorsten Lensing, Thierry Mousset s’est récemment ouvert aux arts visuels et conceptuels et poursuit son exploration, en préparant actuellement une performance autour de Francis Bacon. Rencontre avec ce passionné de la scène.

Berlin joue un rôle central dans la vie et le processus créatif de Thierry Mousset, celui d’une artère qui lui a permis de déterminer sa propre cadence, son tempo particulier: „D’une certaine manière, Berlin est l’image inversée du Luxembourg. Je partage mon temps entre ces deux villes. Berlin est un endroit chaotique, qui offre beaucoup de contrastes. Je pense que c’est cette altérité ou cette différence qui m’a vraiment attiré. C’est une ville qui, selon moi, ne détermine pas un rythme unique. Chaque ville a comme un pouls, comme un cœur. En tout cas, moi, d’une manière ou d’une autre, peut-être de façon anthropologique, je suis toujours la pulsation d’une ville, son rythme, sa respiration. Un peu comme un animal, comme un troupeau. Et ça, je le ressens assez fortement au Luxembourg. Mais à Berlin, il y a tellement de pulsations différentes que ça crée un espace de liberté — qui peut être dangereux aussi. Parce qu’il n’y a pas un rythme donné, mais plusieurs pouls, qui peuvent amener à différentes explorations.“

Parcours académique

Après des études à Cambridge, Science Po, Berkeley, une formation d’acteur au Conservatoire de Luxembourg, Thierry Mousset se forme à la scène en étant assistant à la mise en scène au Grand Théâtre, puis en passant lui-même à la mise en scène à l’âge de 21 ans. Il fait ensuite la rencontre de l’auteur et metteur en scène allemand Thorsten Lensing, avec lequel il travaille sur plusieurs pièces en tant que dramaturge. Pourtant, Thierry Mousset ne se définit pas comme tel. „Je n’ai ni l’ambition, ni les compétences pour être un vrai dramaturge. Je suis plutôt artiste ou metteur en scène. Je travaille avec les acteurs. D’habitude, un dramaturge travaille avec le metteur en scène, et le metteur en scène avec les acteurs. Il est rare que les dramaturges travaillent avec les acteurs directement. À mes yeux, la mission d’un dramaturge est d’être à l’écoute. D’être sincère. Sincère au sens artistique et humain, au sens critique. Dire ce qu’on pense. Et en tant que metteur en scène, c’est la même chose. En tant que réalisateur aussi. Il faut écouter, et regarder. Mais pas trop regarder finalement. Par exemple, Francis Bacon, s’il la regarde trop, finit par détruire sa propre peinture. Donc c’est délicat. Il faut aussi savoir le moment où on doit lâcher. Faire confiance. Ce sont vraiment des petits miracles. Il faut que beaucoup de choses se passent, un peu comme une belle vie, une bonne relation – c’est toujours un petit miracle.“

Lien avec Francis Bacon

En ce moment, Thierry Mousset travaille à mettre en scène une performance autour de l’artiste Francis Bacon, qui se jouera au Luxembourg. „Un des tableaux de Bacon est exposé au Luxembourg pour la première fois. C’est assez rare, donc on a décidé de créer une performance autour de lui, ‚Francis Bacon Talks to Francis Bacon’ pour la ‚Nuit des musées’. Je suis absolument ravi de pouvoir faire ça. C’est vraiment une découverte. L’acteur principal est Kristof Van Boven, un acteur belge très expérimenté. Il a déjà fait des performances similaires à Munich et Hambourg. Quand je monte un projet, ou quand j’ai envie de travailler avec quelqu’un, je tombe amoureux. Ce n’est pas sexuel, mais c’est vraiment de l’ordre de l’amour. Je tombe amoureux du projet, je ne peux plus le lâcher, ça devient une sorte d’obsession. Et donc, forcément, si la personne qu’on veut voir jouer dans son projet refuse, c’est de l’ordre d’une douleur amoureuse. C’est vraiment une chance que Kristof Van Boven fasse partie de cette performance. Quand les gens acceptent de s’engager sur un projet, cela instaure un rapport de confiance. C’est un acte de générosité. Mais il ne faut pas forcément avoir de vision commune pour réaliser un projet ensemble, au contraire.

Travaille autour de l’art de Francis Bacon: Thierry Mousset
Travaille autour de l’art de Francis Bacon: Thierry Mousset Source: Thierry Mousset

L’altérité et le conflit peuvent parfois nourrir le projet. Par exemple, pour le projet ‚Süden’, la pièce de Julien Green (que Thierry Mousset a mise en scène en 2020), je ne connaissais aucun des acteurs, je n’avais jamais travaillé avec eux. C’était purement l’intérêt que j’éprouvais pour eux, et peut-être le leur pour moi, qui nous a poussé à collaborer. Mais ce n’était pas forcément harmonieux. Et pourtant c’est, avec ‚Totentänze’ (librement adaptée du film d’Ingmar Bergman, ‚Le Septième Sceau’), la pièce dans laquelle j’ai l’impression de me reconnaître le plus. Car il y avait une liberté totale de jeu. Pour ‚Süden’, j’ai demandé à des acteurs de cinéma qui avaient de l’expérience de jouer des adolescents et ce décalage était vraiment fructueux. Souvent, on demande à des acteurs, surtout au cinéma, de jouer ce qu’ils semblent être physiquement, en apparence. À partir d’un certain âge, on ne leur propose parfois plus que des rôles d’avocat ou de médecin. Mais ces acteurs ont le plus souvent des capacités qui vont vraiment au-delà et qu’on n’exploite pas. Typiquement, l’adolescence, c’est un moment extrême, où on fait pour la première fois l’expérience de l’amour, d’un grand nombre de sensations, de la passion … Et donc, c’était un grand plaisir pour les acteurs de ‚Süden’ de pouvoir interpréter ces déchirements, ces tourbillons émotionnels qu’on vit à 14, 15, 16 ans. Et ils se reconnaissaient beaucoup plus dans ces rôles-là que dans des rôles d’avocats ou de policiers.“

Danse de l’autopromotion

Pour mettre ses projets sur pied, Thierry Mousset doit, comme chaque artiste, danser la danse de l’auto-promotion, de la mise en lumière et valorisation de son parcours. Des contorsions égotiques qui le font parfois souffrir. „Il faut énormément se battre pour pouvoir réaliser des projets. Il y a certains codes, qui changent tout le temps, et d’une manière ou d’une autre, il faut pouvoir répondre à ces codes. C’est très difficile. Il y a une certaine identité artistique qu’on doit promouvoir ou pas promouvoir. J’ai beaucoup de mal avec ça, car ce n’est pas du tout un problème artistique. C’est du marketing. Avec les réseaux sociaux, la mondialisation, le poids de l’histoire, etc., le monde semble être devenu plus petit aujourd’hui. Et quand on est artiste, on a l’impression d’être en compétition avec tous les autres artistes qui existent, et ça crée des circonstances dans lesquelles on se sent petit, faible et moche. Mais on n’est pas venu sur Terre pour se sentir faible et moche.

Je n’ai pas encore trouvé la réponse à la question de l’ego. Mais je me la pose et elle est centrale.

Thierry Mousset, artiste

Ce sont des choses que je dois me répéter tous les jours. Il y a des gens qui ont une aisance naturelle; je n’en fais pas partie. Faire correspondre le regard extérieur qui est posé sur soi avec le regard intérieur qu’on porte sur soi-même est un exercice quotidien qui m’est très difficile. Chercher à faire correspondre ces deux regards est vraiment une danse. On doit sans cesse communiquer autour de qui on est, ce qu’on fait, et j’ai beaucoup de mal à le faire. J’ai 32 ans, je ne sais pas encore tout de moi.

La question de l’ego se pose à tous les êtres humains, à toutes les époques. L’art et les religions tentent d’y trouver une réponse. Qu’est-ce qu’on fait de l’ego ? Qu’est-ce qu’on fait de cette carcasse dans laquelle on est? En quel sens faut-il essayer de sortir de soi-même? Et en ce qui concerne les artistes, il y a un énorme paradoxe, car il n’y a rien de plus égocentrique que l’art et les artistes. Et d’un autre côté, il faut pouvoir se débarrasser de l’ego afin d’être libre. Je n’ai pas encore trouvé la réponse à cette question de l’ego. Mais je me la pose, et elle est centrale. Il y a peut-être un équilibre à trouver en faisant des mouvements aller-retour. Explorer un peu, puis revenir. Parfois, il faut être encouragé ou accompagné afin d’explorer une direction un peu plus extrême ou au contraire revenir vers l’équilibre. Cela me fait penser à ce plateau au terrain de jeu du Bambësch, cette espèce de plateforme rectangulaire sur un axe, sur laquelle on peut courir d’un côté, puis de l’autre, revenir au milieu, et tenter de trouver le point d’équilibre. À mon avis, le monde artistique doit être au service de cette recherche.“

Série

Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.