Tageblatt: Vous avez créé le personnage de Joss Den Hellen: comment définiriez-vous le profil du Luxembourgeois et sur quels aspects est-il drôle d’appuyer?
Daniel Moutinho: Certaines subtilités sont propres au Luxembourg, à l’instar des accents. Dans le nord du pays, il peut y avoir un côté „paysan“, et je le dis sans connotation péjorative, c’est plus brut de décoffrage; on dit ce qu’on pense, au moment où on le pense. Aussi, il y a des traits similaires entre les habitants de Luxembourg-ville et ceux de Paris; c’est peut-être parce que ce sont deux capitales. Moi, j’ai grandi dans le sud du Luxembourg: je dis souvent, pour plaisanter, que c’est le „ghetto“. Quant au bobo luxembourgeois, disons que ça va être le type en costard-cravate, qui roule en Porsche, avec un genre de maniérisme typique de la haute société.
Y a-t-il des Luxembourgeois qui ont mal pris vos sketchs?
J’avais cette peur, mais ça a été très bien accueilli, et même mieux encore que tout ce que j’avais pu imaginer. Je m’étais dit qu’il y aurait une partie du public qui aimerait et une autre qui se dirait que je me fous de sa gueule. Alors que non. Cela dit, Joss Den Hellen ne figure pas dans le spectacle que je vais faire à Differdange. Le fil rouge est très personnel: il s’agit de mon expérience en tant que Portugais arrivé au Luxembourg.
En faisant aussi des sketchs sur les Portugais, vous faites de l’humour à „double nationalité“.
C’est un avantage, vu que je connais les deux terrains. J’ai à la fois la culture luxembourgeoise et portugaise. Parfois, je touche un peu aux clichés, c’est une façon d’attirer l’attention, car ce sont des repères pour tout le monde, mais après, j’essaye d’en sortir. C’est un peu comme quand on lit un article dans un journal: on voit la première phrase, ça nous intéresse, ça nous attrape, et puis ça devient plus subtil une fois qu’on se plonge dans le texte.
On a des Portugais qui viennent avec leurs propres histoires; il y a de quoi s’identifier davantage
La double culture, c’est le sujet de beaucoup d’humoristes, d’Una Roberta a Parigi, qui s’amuse avec les clichés italiens et français, jusqu’à Chinois Marrant. Mais le Portugal est moins représenté dans l’humour: le sketch le plus connu sur les Portugais, c’est celui de D’jal.
C’est vrai, mais c’est en train d’arriver. Jamel est derrière le Portugal Comedy Club – j’ai d’ailleurs joué avec des humoristes de ce projet. D’jal, c’est marrant, pour la dimension théâtrale, pour le jeu d’acteur, mais il y a des Portugais qui estiment qu’il les ridiculise, que l’accent qu’il prend ne ressemble pas au leur. Un ami me racontait que, lorsque son père voyait D’jal, il disait: „Nous, les Portugais, quand on est venu en France, notre accent, c’était un handicap. Et maintenant, pour eux, c’est drôle“. On peut avoir du mal à accepter cet humour. Mais là, on a des Portugais qui viennent avec leurs propres histoires; il y a de quoi s’identifier davantage.
Sur scène, vous parlez même de vos grands-parents portugais: il s’agit d’un show totalement autobiographique?
Au début du spectacle, je dis même que c’est une analyse que je vais faire, avec le public. Je regarde ce que je suis devenu, alors je me penche sur mes racines. Je retrace tout un parcours à travers mon grand-père, mon père … Pour en arriver à moi.
Hors du Luxembourg, vous pourriez faire le premier stand-up avec des sous-titres, comme dans la vidéo YouTube de „Bloqués au Canada“, où certaines expressions sont traduites en français.
En effet! J’ai retravaillé ce sketch, il sera dans le spectacle. C’est une histoire vraie: ma femme est moi, on est vraiment resté coincés, elle a réellement paniqué! J’en ai fait un sketch entier vu que l’histoire en tant que telle en est un.
Pourquoi avoir choisi l’humour comme forme d’expression?
Avant, je faisais du rap. Quand j’ai inséré de l’humour dans mes textes, ça a fait réagir les gens. Dans le rap, il y a le désir de revendication, et j’avais l’impression qu’on ne me prenait pas au sérieux. Et quand je me suis dirigé vers l’humour, là, ça a touché. Mais j’ai toujours fait de l’humour: à huit-neuf ans déjà, avec ma sœur et mon cousin, on tournait des petites adaptations de sketchs, des Inconnus ou d’Élie Kakou. Le stand-up, c’est venu assez naturellement; je n’ai pas dû changer mon quotidien pour savoir faire de l’humour. Il y a juste des techniques qu’on apprend à améliorer.
Parallèlement à votre activité d’humoriste, vous êtes moniteur d’auto-école: ce travail vous inspire-t-il pour l’écriture de vos sketchs?
Un peu, parce que j’en ai un, là aussi, à ce sujet. Sans parler de quelqu’un spécifiquement, j’ai créé une espèce d’élève détestable, qui possède la totalité des défauts qu’on pourrait retrouver si on les rassemblait tous. Dans ce métier, on travaille avec des jeunes. Ils ont une façon de voir la vie qui se ressemble un peu, mais il y a, chez chacun, un côté un peu bizarre qui ressort, et ça peut être inspirant. Et puis, on est dehors, avec la voiture: on voit des scènes qu’on ne verrait pas, bien sûr, si on était enfermé dans un bureau. Il suffit parfois de passer dans un coin à Esch, pour se dire qu’il y aurait un nouveau sketch à faire.

L’acteur français Michel Blanc, qui a disparu en ce début de mois, disait que l’angoisse aidait à faire rire: êtes-vous d’accord avec cette affirmation?
Quand on angoisse, il faut extérioriser. Je suis quelqu’un qui aurait peut-être plus tendance à me renfermer et à considérer que tout est ok. C’est certain que l’humour permet d’évacuer certaines pensées que je n’aurais pas formulées autrement. On peut jouer avec certains sentiments tels que l’angoisse, la peur, ou tout ce qui nous met mal à l’aise. L’humour aide à exprimer aussi bien un ressenti qu’une observation sociétale. Les gens peuvent rire, tout en se disant: „Tiens, il n’a pas tort“. Je pense que tout passe mieux à travers l’humour.
Il suffit parfois de passer dans un coin à Esch, pour se dire qu’il y aurait un nouveau sketch à faire
Aujourd’hui, c’est Halloween et, sur TikTok, vous narrez à cette occasion des anecdotes sur des lieux hantés au Luxembourg …
Ça m’a toujours intéressé. Et je n’arrive pas à trancher entre le „Je n’y crois pas du tout“ et le „J’y crois à fond“. Il y en a qui vont dire qu’ils apprécient l’histoire, mais qu’ils n’y croient pas, là où d’autres pensent qu’il ne faut pas rire avec les esprits. Moi, je raconte des histoires qui se déroulent au Luxembourg ou pas très loin, vu que ce genre de récit se passe quasi systématiquement aux États-Unis, en France, au Japon …
Vous avez une petite histoire à nous raconter là?
Vers Thionville-Longwy, il y avait une maison qu’on disait „hantée“, avec des portes qui s’ouvraient et des lumières qui s’allumaient toutes seules. Jusqu’à ce qu’ils découvrent que c’était un ancien propriétaire qui faisait peur aux nouveaux habitants. Le type avait installé des mécanismes, il faisait éteindre les lumières de l’extérieur. Et ça a fait du bruit dans les médias. En réalité, tout ce que voulait cet homme, c’était qu’on parle de lui!
C’était un humoriste, à sa façon!
Oui voilà: les gens pétaient les plombs dans la maison, et lui trouvait ça drôle!
De Maart
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