Tageblatt: Audrey Diwan, pourquoi avez-vous tourné en anglais?
Audrey Diwan: Emmanuelle est une Française à l’étranger. L’histoire que j’invente au départ n’a rien à voir ni avec le livre ni avec le film. M’emparer d’Emmanuelle, c’est faire table rase du passé, donc ne pas jouer au jeu des 7 erreurs. Y a-t-il a encore de la place pour l’érotisme aujourd’hui? A partir de là, quelle histoire pouvait m’intéresser? Mes producteurs m’avaient donné le livre. Je l’ai lu pour m’amuser. Je n’ai pas pensé une seconde que je ferais le film.
Dès lors, quel a été le déclic?
Un jour, j’ai imaginé l’histoire de cette femme qui n’avait plus de plaisir. Je me disais: c’est quoi d’être une femme dans une société où tout le monde dit, il faut jouir, il faut profiter, mais aussi, être performant? On vit dans une société qui épuise le désir, qui le tue, en fait, au point où plus personne n’a envie de rien. Et d’ailleurs, quand on voit la sexualité des jeunes aujourd’hui, on en a pas mal parlé, quelque chose fait qu’on veut bien se regarder à distance, mais ce rapport s’assèche. J’ai suivi une femme qui voulait aller à la reconquête de son plaisir, qui voulait arrêter quand on lui dit ce qu’il faut faire, qui voulait renoncer au contrôle, qui voulait se remettre à respirer pour ressentir des choses.
Qu’est-ce qui vous a inspirée dans le roman de Marayat Bibidh?
Contrairement à ce qu’on pense, „Emmanuelle“ est un très bon roman, truffé de réflexions, même philosophiques. Environ un tiers du livre est une très longue conversation sur l’érotisme. Je me suis inspirée de ces questions pour bâtir mon propre récit. Je me suis affranchie. J’ai dit à mes producteurs que si je m’empare de cette histoire, c’est avec la totale liberté de la faire. En tout cas, toute cette question de l’érotisme et la manière dont elle est interrogée m’intéresse.
Pourquoi Hong Kong?
J’ai besoin d’un endroit qui raconte le fantasme à hauteur d’étrangers. Et Hong Kong a cette caractéristique d’être à la fois moderne et exotique. Un exotisme qui dit aussi quelque chose de notre rapport à l’autre. Comment on part à l’étranger? Comment on se raconte? Emmanuelle séjourne dans un hôtel de luxe dont elle doit contrôler la qualité des prestations. Que ce soit à Hong Kong ou ailleurs, le palace cinq étoiles est agrémenté pour faire croire à l’exotisme avec la possibilité, évidemment, au bout d’un moment, d’ouvrir la porte, de respirer à plein et puis d’aller se perdre dans cette ville qui moi-même m’attirait. J’ai trouvé la ville déroutante, labyrinthique, érotique. Et l’inconnu, c’est excitant, évidemment. Je voulais offrir à cette histoire de corps un contexte extraordinairement beau. Quitte à en faire trop. Emmanuelle pense que c’est fabuleux d’être là parce qu’elle ne vient pas de ce monde. Elle tient à ce poste parce qu’elle est persuadée qu’elle a peur qu’on la vire alors que ce n’est pas le paradis. En fait, elle est en quête d’un plaisir perdu.
Comme dans le roman, l’intrigue débute dans un avion où Emmanuelle a un rapport sexuel avec un inconnu. Toutefois, dans votre film, son visage exprime la déception.
Elle est insatisfaite parce qu’elle n’a pas eu son plaisir. Emmanuelle n’est pas une jeune femme pour qui le plaisir est encore à découvrir. Ce n’est pas un parcours initiatique. Donc son cheminement ne s’écrit pas à travers, par exemple, le langage de la transgression. Je sais qu’elle a déjà eu ce genre d’aventure avec d’autres hommes et, qu’au bout d’un moment, la chair est triste, hélas, et qu’il n’y a plus que des corps. Et donc, ce que je montre au départ, c’est une scène de corps qui, forcément, dans sa répétition, est mécanique. Emmanuelle ne peut plus avoir ce plaisir lui est devenu répétitif. On n’est plus à l’heure de la transgression. Et donc, ce qu’elle cherche sans le savoir, c’est l’autre. Le contact, l’intérêt pour l’autre, le partage, la communication, l’échange. La possibilité de fantasmer l’autre, c’est la volonté de savoir qui est cet autre.
Le fait d’avoir la réalisatrice et scénariste Rebecca Zlotowski comme co-scénariste vous a-t-il aidée?
On est amies. Rebecca jouit également d’une grande liberté et prend plaisir à parler du corps. J’ai compris cela grâce à son film „Une fille facile“ (2019). Elle m’a surtout aidée à ouvrir des portes, à poser les grands jalons du récit et à accepter certaines idées folles.

Vous avez choisi Noémie Merlant pour le rôle d’Emmanuelle.
J’ai rencontré Noémie dont je connaissais le travail. Noémie peut être froide, distante, être le portrait de la jeune fille en feu. Ensuite, incarner l’innocence de cette fille qui sourit et qui vous renverse. Sans oublier sa performance dans „A Good Man“ (de Marie-Castille Marion Schaar, 2021). Noémie est quelqu’un qui, à l’endroit du corps, aime l’exploration. Et elle se l’autorise parce qu’elle sait très bien ce qu’elle défend comme idée. Je n’ai pas du tout emmené une actrice en embuscade. J’accompagne quelqu’un qui comprend ce qu’on est en train de se dire et qui veut défendre les mêmes choses que moi. Et donc, main dans la main, on fabrique le personnage.
J’ai des idées très claires sur la société, sur l’endroit où je me situe en tant que femme. Mais quand je crée, la fiction prime.
Vous faites partie du collectif 50-50. Le mouvement #MeToo vous a-t-il influencée dans l’élaboration du film?
„Le film post-#MeToo“, comme définition, m’ennuie prodigieusement et je vous remercierai de l’écrire parce que tout à coup, je trouve que cette appellation enferme le film à un endroit de manifeste. J’ai des idées très claires sur la société, sur l’endroit où je me situe en tant que femme. Mais quand je crée, la fiction prime. Evidemment, certaines choses ne se passeront pas dans mon film parce que, simplement, il me ressemble de la même manière que Just Jaeckin devrait ressembler au sien. En fait, on fait des films qui nous ressemblent. Mon „Emmanuelle“ fait partie de qui je suis. Il n’est pas un film publicitaire. Ces mouvements sont absolument nécessaires. Ils font évoluer quelque chose de très beau. Et je trouve qu’ensuite, la manière dont l’étiquette est placée est très malheureuse. Il y a un déport entre ce qu’essaient de faire ces mouvements-là et la manière dont on labellise derrière. Pour moi, il y a un glissement de sens autour du nom de ces mouvements. Et il faudrait repenser un peu les choses à l’origine.
Avez-vous travaillé avec des coordinateurs d’intimité?
Oui. On a beaucoup travaillé avec Stéphanie Chêne, une coach que Noémie avait rencontrée sur le tournage du film „Les Olympiades“ de Jacques Audiard. On a surtout beaucoup préparé en amont du film pour essayer de définir la meilleure manière de faire et comprendre des scènes, de pouvoir les faire tous ensemble et aussi de ne pas faire des scènes de sexe, des chorégraphies, des cascades. Cela m’ennuie – surtout, pendant le tournage, j’ai fait beaucoup de prises pour comprendre l’espace, capter les sensations de l’actrice, ce qu’elle vivait les yeux fermés.
Selon vous, comment les jeunes femmes vont percevoir votre film?
C’est compliqué parce que je l’ai peu montré, mais j’ai l’impression qu’elles l’entendent comme je l’ai écrit. C’est triste à dire, mais je pense qu’elles ressentent beaucoup l’épuisement du désir. Et les jeunes hommes l’éprouvent pas mal aussi. Les hommes et les femmes de cette génération sont un peu mes premiers spectateurs. Il y a quelque chose de très évident dans le partage des sensations, dans le constat, aussi.
„Emmanuelle“ d’Audrey Diwan. Avec Noémie Merlant, Naomi Watts, Chacha Huang. Entre autres au Ciné Utopia, Kinepolis Kirchberg et Kinepolis Belval.
Pour aller plus loin
A lire: „Emmanuelle Marsan, biographie d’un pseudonyme“, essai de Camille Moreau. Ed. de La Musardine (2024). Cette biographie retrace l’histoire d’Emmanuelle Arsan et de tous ceux qui ont donné naissance au mythe Emmanuelle.
De Maart
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