La décision de créer un contingent militaire luxembourgeois pour combattre au côté des Alliés remontait probablement à la fin 1942. En débarquant dans les territoires contrôlés par les Français en Afrique du Nord, Anglais et Américains avaient ouvert au gouvernement en exil deux viviers de recrutement potentiels: celui des volontaires luxembourgeois dans la Légion étrangère française et celui des enrôlés de force qui, mobilisés dans l’Afrikakorps, allaient tomber entre les mains des Alliés jusqu’à la fin des combats en Tunisie, en mai 1943.
Constituer une force armée devait permettre au Grand-Duché d’entrer pleinement dans le club des nations combattant l’Allemagne nazie. Les ministres, à commencer par le premier d’entre eux, Pierre Dupong, ne se faisaient cependant pas d’illusion sur leur capacité à mettre sur pied une unité autonome. „Je reste opposé à la formation d[’un]e légion ou bataillon luxembourgeois et je suppose que vous à Londres restez toujours d’accord avec moi“, écrivait ainsi le ministre d’Etat au ministre des Affaires étrangères, Joseph Bech, le 2 juin 1943. Pour exister, une telle force devait être intégrée dans une unité alliée.
Liens étroits avec la Belgique
Cette intégration eut finalement lieu dans les Forces belges libres. Pourquoi ces dernières plutôt que d’autres? Faute de documents établissant l’existence d’un accord en bonne et due forme, il faut se contenter d’un faisceau de raisons. La première est que les membres du gouvernement belge en exil entretenaient d’excellents rapports, politiques, mais aussi personnels, avec leurs homologues luxembourgeois. La coopération entre les deux pays, qui prédatait par ailleurs largement la guerre, n’alla qu’en se renforçant au cours de celle-ci. Soucieux de ne pas se faire écraser par leurs alliés plus grands, les deux gouvernements en exil, auxquels il faut adjoindre celui des Pays-Bas, veillaient à agir d’un commun accord dès que cela était possible. En septembre 1944, cette alliance de fait fut formalisée par la création du Benelux.
Il y avait aussi des éléments pratiques qui faisaient des Belges des interlocuteurs idéals. Tout d’abord, et contrairement à son homologue luxembourgeois, le gouvernement belge en exil disposait de ressources abondantes, provenant de la colonie du Congo, et pouvait donc entretenir ses propres forces. En juillet 1942, il s’était entendu avec son homologue luxembourgeois pour financer le passage en Angleterre des jeunes gens fuyant le Grand-Duché pour combattre au côté des Alliés et les intégrer dans ses forces armées. Enfin, les Belges disposaient de postes diplomatiques en Afrique du Nord qui, dès avant la guerre, assumaient la représentation consulaire des ressortissants luxembourgeois. Leur aide s’avéra indispensable.
Négociations avec les Alliés
Le 21 avril 1943, le gouvernement luxembourgeois en exil avait écrit aux autorités britanniques, américaines et françaises libres, pour leur demander de bien vouloir libérer les enrôlés de force qu’elles détenaient dans leurs camps de prisonniers de guerre. Les choses se passèrent très simplement avec les Américains et les Britanniques. Fin 1943, ces derniers avaient libéré les Luxembourgeois qu’ils avaient capturés en Afrique du Nord puis en Italie. Les négociations furent plus compliquées avec les autorités françaises d’Afrique du Nord, d’autant que celles-ci étaient divisées entre partisans du général de Gaulle et partisans du général Giraud.
Lorsqu’en juin 1943, Georges Schommer, le secrétaire général du gouvernement luxembourgeois en exil, arriva en Afrique du Nord, il trouva appui auprès des diplomates belges sur place. Ces derniers, connaissant le terrain, surent l’orienter vers les bonnes personnes et l’appuyer dans ses négociations. Le 11 juin 1943, les autorités françaises confirmaient au gouvernement en exil que les prisonniers luxembourgeois qu’elles détenaient seraient libérés à condition de rejoindre la Légion étrangère ou „leur armée nationale“.
La mise à disposition des légionnaires luxembourgeois fut en revanche plus compliquée. Là encore, l’aide des Belges s’avéra décisive. Ces derniers avaient déjà conclu un accord avec les Français. Ceux de leurs nationaux qui s’étaient engagés dans la Légion après le 25 juin 1940 ainsi que ceux qui étaient arrivés à la fin de leur engagement pouvaient partir pour l’Angleterre afin d’intégrer les forces armées de leur pays. Grâce à l’aide des consuls de Belgique à Alger et à Casablanca, les Luxembourgeois parvinrent au bout du compte à conclure un accord similaire. Le 21 octobre 1943, le Comité français de libération nationale confirmait que près de 70 légionnaires pourraient rejoindre la force luxembourgeoise.
Un avant-goût des conflits d’après-guerre
Les légionnaires allaient représenter un peu moins de la moitié des effectifs de la force luxembourgeois. Deux autres groupes fournirent des contingents importants, les enrôlés de force capturés par les Alliés et les évadés qui avaient réussi à quitter l’Europe occupée. L’arrivée en Angleterre de ces volontaires donna au gouvernement en exil, coupé du pays depuis le 10 mai 1940, un premier avant-goût de l’état de la société luxembourgeoise et de ce qui allait l’attendre à son retour. La sélection des volontaires peut ainsi être considérée comme le premier acte de l’épuration.
Le gouvernement luxembourgeois voulait s’assurer qu’il n’y aurait pas de collaborateurs du régime nazi, d’enrôlés volontaires dans les forces allemandes, voire d’agents doubles dans les rangs de l’unité qu’elle constituait. C’est pourquoi, avant même que les Britanniques ne s’en chargent, elle menait une enquête sur chacune des recrues potentielles. A l’issue de l’une de celles-ci, il apparut par exemple qu’un certain Jean S., ouvrier de 19 ans originaire de Dudelange, capturé par les Canadiens en Normandie, avait exercé des fonctions d’encadrement dans les Jeunesses hitlériennes et surtout, qu’il était entré volontairement dans la Waffen-SS le 25 janvier 1942. La décision fut sans appel: „S. ne saurait être admis aux forces armées luxembourgeoises. Il devra être traduit en justice pour avoir volontairement porté les armes contre son pays et les Alliés.“
Confrontés soudainement à la réalité de la collaboration, les ministres le furent aussi à celle de la résistance. Ils avaient quitté le pays le jour même de l’invasion et n’avaient eu pendant trois ans que des contacts sporadiques et irréguliers avec des compatriotes fuyant leur pays occupé. Imparfaitement au fait des réalités sur place, ils ne mesuraient peut-être pas ainsi leur degré d’impopularité. Beaucoup de Luxembourgeois reprochaient au gouvernement de les avoir abandonnés et les résistants, dont les organisations étaient précisément nées sur les décombres du système politique d’avant-guerre, avaient la dent particulièrement dure.
Cette hostilité était particulièrement forte chez les évadés, en particulier de ceux qui étaient passés par l’Espagne. Internés dans le camp de concentration franquiste de Miranda de Ebro, ils reprochaient au gouvernement en exil de n’avoir rien fait pour hâter leur libération. En réalité, ce dernier avait bel et bien fait des démarches, mais en s’en tenant strictement à des usages diplomatiques que les évadés qui, en raison de leur statut de clandestins et de combattants cultivaient plutôt des valeurs comme la désobéissance et l’audace, prenaient pour des simagrées de politiciens détachés des réalités. Cette différence d’approche causèrent entre le gouvernement et bien des volontaires des tensions qui durèrent bien au-delà de la libération.
La Luxembourg Battery
Le 25 mars 1944, les autorités belges firent savoir aux Britanniques qu’il y avait désormais suffisamment de soldats luxembourgeois pour que ces derniers puissent former un contingent à part dans la 1re brigade belge – plus connu sous le nom de Brigade Prion, du nom de son commandant, le colonel Jean-Baptiste Piron. La centaine de volontaires – rejoints par une cinquantaine d’autres Luxembourgeois fin septembre 1944 – fut versée dans le groupe d’artillerie de la brigade, dès lors nommée Luxembourg Battery, et placée sous les ordres d’un officier belge, le major Bennett de Ridder.
Le 6 août 1944, la Luxembourg Battery débarqua en Normandie et participa aux combats visant à chasser les Allemands des territoires situés entre l’Orne et l’Estuaire de la Seine. Début septembre, ils participèrent à la libération de la Belgique et furent accueillis dans la liesse par la population bruxelloise, ivre de joie d’être libérée par „son“ armée. Enfin, à partir de début octobre 1944 et jusqu’à la capitulation sans conditions du Reich, la Luxembourg Battery fut mobilisée aux Pays-Bas. Ses hommes finirent par rentrer au Grand-Duché en juin 1945, où après avoir été dûment fêtés et décorés, ils furent promptement démobilisés et, pour ceux qui restèrent dans l’armée, envoyés dans la petite zone d’occupation que le Luxembourg avait obtenue en Allemagne.
De Maart
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