Montag29. Dezember 2025

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Artistes entre Luxembourg et BerlinFlorent Toniello: „Je me suis aperçu qu’écrire au féminin était vachement plus marrant“

Artistes entre Luxembourg et Berlin / Florent Toniello: „Je me suis aperçu qu’écrire au féminin était vachement plus marrant“
Pour Florent Toniello, lire à haute voix est quelque chose de sensuel: „On module, on se trompe aussi, on tousse“ Photo: Amélie Vrla

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Ecrivain, poète, journaliste culturel, traducteur et correcteur littéraire, Florent Toniello est cette année en résidence littéraire à Berlin.

Florent Toniello a passé le mois d’avril à Berlin, dans la résidence dédiée aux auteurs et traducteurs littéraires, le Literarisches Colloquium Berlin (LCB), situé au Sud-Ouest de la capitale, en bordure du lac de Wannsee. Lorsqu’il ne travaille pas depuis sa chambre, il se réfugie dans le jardin d’hiver, dont les murs sont parés d’élégantes mosaïques bleutées, avant de sortir arpenter les forêts qui environnent la résidence. C’est lors de ces longues marches qu’il trouve les idées qui nourriront ses textes en cours. „J’ai fait un vrai projet d’écriture pour le dossier de candidature à la résidence et je m’y tiens, ça me guide“, dit l’artiste. „J’aime bien les contraintes, et celle-ci fonctionne bien. Il y a deux volets au projet. Tout d’abord un recueil d’éco-poésie, Hraun, qui signifie la lave. Il est composé de poèmes en prose et ont pour titre un mot islandais en rapport avec la nature. On parle d’impressions, de sensations d’une créature extraterrestre qui découvre la Terre. Je ne pense pas traduire les titres, car je veux que les gens ressentent des sensations, que ce soit relativement étrange, mais qu’on puisse deviner de quoi il s’agit. Je voulais donner cette notion d’étrangeté et de découverte à chaque poème.“ 

Comment écrire des textes relatifs à une géologie islandaise faite de lave et de sable, quand on se trouve dans les forêts verdoyantes d’Allemagne? L’écrivain et poète ne ressent pas d’effet dissociatif, mais profite avant tout du temps que lui offre la résidence: „D’habitude, je n’écris pas hors de chez moi ou dans les cafés, mais à la maison, dans mon bureau qui donne sur la vallée de l’Alzette. Je n’écris jamais autrement, jamais ailleurs. Puis je fais de longues marches dans la forêt et ici, j’ai reproduit cette routine en allant dans le Grünewald, puis en face, sur le Pfaueninsel, et sur le kleiner Wannsee. J’ai libéré du temps, et je suis stimulé par les nouveaux lieux que je découvre. J’ai de toute façon le souvenir de l’Islande, où je me suis rendu cet été pendant trois semaines. Je travaille de mémoire. Aujourd’hui, j’écris le poème ‚Aska‘, qui veut dire ‚la cendre‘, donc je me souviens du sable noir grisé, ou de la cendre qui pouvait arriver du volcan en Islande. Je m’y suis trouvé au moment d’une éruption. Ce que j’écris, c’est de la fiction sous forme de prose poétique, de la narration, ce ne sont pas des impressions véritables. La preuve, c’est que les poèmes sont au féminin.“ 

L’Histoire de la littérature est faite par des mâles blancs relativement âgés. Je ne suis pas si âgé que cela, mais ça commence à arriver. Je me suis demandé comment me distancier de cela. Et puis c’est amusant pour le correcteur que je suis, car on utilise le féminin, on peut jouer avec l’accord de proximité, de majorité, avec la langue, beaucoup plus que si on écrit bêtement au masculin.

Dans son dernier recueil de poésie, „Vidée vers la mer pleine“, publié en 2021 aux éditions Phi, Florent Toniello abordait déjà le point de vue d’une femme. „Il y avait toujours une certaine proximité qui me gênait entre ce que j’écrivais et qui j’étais. Je n’arrivais pas à faire sentir qu’il existait une véritable distance entre les textes et moi, à faire comprendre qu’il ne s’agissait pas forcément d’auto-fiction. Je me suis demandé ce que je pouvais faire pour qu’on me croie, et surtout que je me crois moi-même! Pour me dire ‚tout ça n’est pas moi.‘ Parce qu’on peut toujours dire ‚Je est un autre‘, mais si on écrit ‚Je‘, les gens se disent: ‚Ah bah c’est lui.‘ Alors j’ai décidé d’utiliser une voix féminine. Je ne suis pas un auteur queer, même si c’est une littérature qui est très intéressante et qui a beaucoup de choses à dire et écrire, mais ce n’est pas le propos ici. C’est une distanciation. Quand on regarde l’Histoire de la littérature, elle est faite par des mâles blancs relativement âgés. Ce que je suis finalement, maintenant. Je ne suis pas si âgé que cela, mais ça commence à arriver. Je me suis demandé comment me distancier de cela. Et puis c’est amusant pour le correcteur que je suis, car on utilise le féminin, on peut jouer avec l’accord de proximité, de majorité, avec la langue, beaucoup plus que si on écrit bêtement au masculin. Je me suis aperçu qu’écrire au féminin était vachement plus marrant! Et on a plus de possibilités, on peut être plus subtil. Beaucoup plus qu’avec l’accord stupide et bête qu’on nous apprend à l’école.“

Dans „Vidée vers la mer pleine“, le personnage de Florent Toniello posait cette question humoristique et pertinente: „Les femmes ont-elles le droit d’être des hommes à la mer?“ Une façon légère et amusante d’inviter les lecteurs à s’interroger sur la langue inclusive, mais également sur la valeur d’un être humain en relation à la notion de genre. „J’essaie d’écrire aussi des choses drôles. Les poèmes de Hraun ne le sont malheureusement pas, car il est très difficile de faire quelque chose de comique lorsqu’on travaille les sensations et un triturage de la langue. Mais il y aura sûrement une deuxième partie dans laquelle je reprendrai des choses un peu plus ironiques, avec un regard quelques fois un peu las sur l’humanité.“ Florent Toniello n’a pas une définition propre de ce qu’est la poésie, mais tend vers ce qu’il prend lui-même du plaisir à lire: „Pour moi c’est d’abord du rythme, de la musique, quelque chose qu’on peut lire ou écouter, où on peut se laisser bercer sans avoir à forcément en comprendre le sens.“

„Ce que j’essaie de faire, c’est de ne pas écrire de la littérature primée par les Goncourts qui pour moi est un modèle, des templates. Je préfère la science-fiction, la poésie, notamment parce que ces genres permettent de casser les formes.

Plutôt que d’être analysée par lui-même, la poésie de Florent Toniello a davantage vocation à être lue à haute voix. „Ce que j’essaie de faire en ce moment à Berlin est encore plus ciblé pour la lecture à haute voix, car j’essaie de travailler sur les métaphores, les effets de langage, de façon à ce que, lorsqu’on lise, on sente les assonances, les allitérations. J’aime beaucoup entendre les poètes lire eux-mêmes leurs textes. C’est émouvant.“ Parfois, Florent Toniello quitte les forêts et le Wannsee pour se rendre au centre de Berlin, se nourrir de l’urbanité spécifique de la ville, qui influencera sans doute la seconde partie de son projet de résidence.

Lorsqu’il reviendra en octobre au LCB, Toniello compte en effet reprendre le personnage principal de son dernier recueil de nouvelles, „Honorable Brasius“, paru l’année dernière aux éditions Hydre. Contrairement aux personnages féminins de ses recueils de poèmes, Brasius est un homme, mais un homme aveugle – une particularité qui permet à Toniello de continuer à faire la part belle au sensoriel, et notamment au rapport olfactif, tactile ou auditif qu’entretient Brasius avec le monde. „Ce que j’essaie de faire, c’est de ne pas écrire de la littérature primée par les Goncourts qui pour moi est un modèle, des templates. Je préfère la science-fiction, la poésie, notamment parce que ces genres permettent de casser les formes. Très souvent, dans la littérature qu’on appelle ‚blanche‘, on est sur des schémas, des choses relativement répétées, qui sont faites avec beaucoup d’habileté mais que je trouve assez peu sensuelles car une distance s’opère, on voit pratiquement les cours d’écriture créative. C’est la littérature que les gens lisent, mais ce n’est pas ce que j’aime, alors j’essaie de faire autre chose. Je pense que cela a trait avec le fait d’aimer lire à haute voix. Lire à haute voix est quelque chose de sensuel: on module, on se trompe aussi, on tousse. Je crois que la littérature blanche des prix Goncourts n’est pas vraiment faite pour être dite.“

Avec Brasius comme dans sa poésie, Toniello place le sensoriel au cœur de ses textes et invite ce faisant ses lecteurs à se fondre dans les éléments, dans les sensations, pour leur offrir une expérience la plus physique et sensuelle possible de la lecture.

Série

Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.