Montag10. November 2025

Demaart De Maart

Interview avec l’actrice Vicky KriepsLe charme discret d’une actrice terrienne

Interview avec l’actrice Vicky Krieps / Le charme discret d’une actrice terrienne
Vicky Krieps et Viggo Mortensen dans „The Dead Don’t Hurt“, un néo western féministe Copyright: Talipot Studio

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Le visage est sans fard, au sens propre et figuré. L’œil pétille. Vicky Krieps ne dissimule pas son enthousiasme. L’actrice luxembourgeoise, tout juste 40 ans, est omniprésente sur les écrans. 

Elle joue Vivienne Le Coudy dans „The Dead Don’t Hurt“, une jeune femme résolument indépendante, qui accepte de vivre avec Holger Olsen, immigré d’origine danoise, dans le Nevada. Holger décide de s’engager dans la guerre de Sécession. Se retrouvant seule, Vivienne doit affronter le maire corrompu de la ville et résister aux avances violentes de Weston, fils d’un important propriétaire terrien.

Acteur et réalisateur, Viggo Mortensen est venu présenter son „néo western“ sur la scène luxembourgeoise, lors du LuxFilmFest. À ses côtés, Vicky Krieps. Elle ne cesse de tourner depuis son rôle marquant dans „Phantom Thread“ de Paul Thomas Anderson (2018). Depuis, la discrète Vicky Krieps est devenue la nouvelle icône du cinéma international. En 2021, elle est à l’affiche de l’intimiste „Bergman Island“ de Mia Hansen-Love, puis des „Trois Mousquetaires“ signé Martin Bourboulon. On la retrouva dans „Old“ de M. Night Shyamalan. Sa prestation dans „Corsage“ de Marie Kreutzer lui a valu le prix de la Meilleure performance au Festival de Cannes, en 2022. Le spectre est large. „Je sais, je fais le grand écart. Je suis curieuse, j’aime la découverte et l’inconnu.“ (1)

Tageblatt: Comment avez-vous rencontré Viggo Mortensen?

Vicky Krieps: C’est une histoire vraie et étonnante. Pendant le tournage de „The Wall“ (2023), en plein désert de l’Arizona, j’ai eu comme des visions. Comment se fait-il que cette terre a accumulé tant de sang de toutes parts? Que ce soit entre les Indiens, avec les Américains puis les Mexicains. Cela n’en finit pas. J’ai décidé de me rendre sur le lieu de tournage à cheval. Et je me suis dit que je jouerais bien dans un western. Et, étrangement, à ce moment-là, mon agent français m’informe que Viggo Mortensen me propose un rôle dans son prochain film. Et il m’envoie un scénario de … western. C’est quand même incroyable. À vrai dire, beaucoup de choses comme ça se produisent dans ma vie.

Les frontières sont également au centre de „The Dead Don’t Hurt“. Ce thème vous attire-t-il particulièrement?

Au milieu du 19e siècle, des populations sont venues prendre des terres pour déplacer la frontière vers l’Ouest, finalement, jusqu’à la mer. Dans cette région, et à cette époque très violente, Vivienne Le Coudy essaie de pousser la frontière de sa féminité et de sa condition féminine. Elle le fait quand même de façon radicale. Elle vit toujours seule, elle n’est pas mariée. Mais, en 1860, c’était presque impossible. Vivienne courait le risque de se retrouver dans la rue, d’attraper des maladies, de ne pas être assez forte ou de devoir subsister, un peu, avec des amants … C’est vraiment très révolutionnaire. Quand je lisais scénario, j’adorais cette force de caractère.

Vous incarnez souvent des femmes qui s’émancipent. Est-ce indispensable pour vous?

Mon intuition joue beaucoup quand j’accepte mes rôles. Il y a probablement quelque chose d’inconscient en moi. Je pense qu’être acteur, c’est aussi être médium. Je transmets peut-être l’air de notre temps. Le moment est venu de parler, vous savez. Espérons qu’aujourd’hui, on va finalement pousser pour de vrai les frontières intérieures des femmes. Parce que je crois que, pour l’instant, on a surtout œuvré pour une libération „extérieure“, sociale, politique … Mais l’affranchissement personnel, intériorisé, est beaucoup plus difficile à accomplir. Parce que nous avons des barrières énormes depuis toujours. Tous mes personnages mesurent ce que toutes les femmes ont vécu avant eux. Il y a une histoire derrière tout cela.

Vivienne s’émancipe par l’amour.

Oui, on peut le dire. Mais elle s’était déjà émancipée par elle-même, au début, à San Francisco, ne sachant pas comment elle aurait terminé sa vie. Elle a eu la chance de trouver quelqu’un qui l’aime pour ce qu’elle est. Je crois que, dans toutes les époques et pour tous les sexes, nous cherchons toujours à trouver quelqu’un qui nous accepte pour ce que nous sommes. C’est ça, la vraie liberté. Le premier regard entre Holger et Vivienne illustre parfaitement la vraie rencontre. Cette scène très intime n’était pas facile à jouer. Plein de gens étaient autour de nous, les conditions de tournage n’étaient pas très au top. Dans ces moments-là, je tente toujours de ne penser à rien, de me vider de tout. J’ai essayé d’être juste là, dans le présent. Et de regarder Holger.

Vivienne, sur le point de mourir, verse une larme. Comment avez-vous joué cette première scène du film, particulièrement intense?

Viggo adore cette larme parce qu’elle est venue naturellement et une seule fois. Elle ne figurait pas dans le scénario. Viggo a voulu garder cette prise. En fait, j’étais surprise à quel point mourir nous rendait triste. Une tristesse plutôt spirituelle. La larme que Vivienne verse est à la fois triste et heureuse. Vivienne est merveilleusement émue parce que Holger est très présent et tellement soignant.

Calamity Jane et l’héroïne de „Johnny Guitare“ sont des figures féminines du western américain. Où se situe Vivienne par rapport à elles?

Je trouve le film très honnête dans le sens où Vivienne n’a pas besoin d’utiliser une arme pour être forte. Elle ne ressent pas la nécessité de se venger des hommes ni de les séduire. Mais, au contraire, elle est forte parce qu’elle est honnête, connectée à elle-même. Elle croit dans sa propre vérité, dans l’amour, dans le bien. Et, surtout, elle a la dignité de ne pas se laisser écraser par les méchants, par le mal. Alors que ce que les hommes font est très violent. Elle n’est pas dupe. Son père, finalement, est parti à la guerre. Je crois que, à cette époque, on ne pouvait pas complètement faire confiance à un homme. Donc, il fallait se poser, se relier à soi-même. Le message du film, pour moi, apparaît quand Vivienne, enfant, rêvait de l’héroïsme de Jeanne d’Arc. Elle a des visions où le prince sauveur, le chevalier, c’est elle. Et donc on doit tous nous sauver nous-mêmes, et se dire qu’on est son propre héros, surtout quand on est une femme. Le chevalier qui vient nous sauver n’existe pas. Ce n’est ni triste ni amer, encore moins un message contre les hommes. Il me semble honnête de dire qu’il y a une grande valeur dans l’émancipation des femmes. Si on commence à se mettre au centre de son propre conte de fées, on va changer le monde.

Vous y parvenez dans votre vie?

J’essaie, j’essaie.

Vous avez toujours pensé de cette manière?

Oui, j’ai été élevée de cette façon par ma mère. Mais, évidemment, c’est hyper dur de vivre seul, d’être autosuffisant. Pour une femme qui travaille, avoir des enfants reste compliqué. Même si maintenant tout le monde semble plus tolérant, on vit toujours dans une société où personne ne vous dira „viens, je m’occupe de ton enfant“. Je n’ai pas encore entendu cela de ma vie. Ni dans le cinéma ni dans d’autres milieux professionnels. Dans les années 80, une célèbre productrice américaine a créé une crèche dans un studio à Hollywood. Elle existe toujours. C’est exceptionnel. En général, si on est une femme, on attend d’elle qu’elle s’occupe de son enfant. Et pour l’homme, la question ne se pose pas.

Vous jouez aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Le travail d’actrice est-il différent?

Cela dépend des films. L’Europe a plus ou moins copié la façon de travailler, notamment dans les séries américaines, ce que je ne fais pas pour l’instant. En dehors de cela, de tous les films que j’ai tournés en Europe, on me laisse respirer, on me permet d’être qui je suis. Par exemple, aux États-Unis, quand je refuse de me faire maquiller, il y a un gros silence. Les gens ont du mal à comprendre. Il m’arrive de faire des concessions. Mais, si je peux, je vais toujours essayer de maintenir cette position. Parce que je crois qu’en chacun d’entre nous, se loge une vérité qui nous est propre. Et que l’être humain n’arrête pas de se faire des images de lui-même qui ne sont pas ce qu’il est vraiment. Du coup, il se perd et il se demande pourquoi il „se maquille“, même pour un rôle. La question se pose aussi pour un réalisateur. Aux États-Unis, Viggo a dû batailler pour que le poster de „The Dead Don’t Hurt“ soit juste la photo du film. Sans retouche, sans visage transformé. Viggo devait paraître jeune, âgé de 18 ans. Il a refusé.

Vous venez régulièrement au Grand-Duché de Luxembourg?

Oui! Je suis chez moi, ici! Je viens voir mes parents, mes amis. J’aimerais beaucoup réaliser des projets ici. Juste avant „Phantom Thread“, j’ai joué dans un seul film luxembourgeois, „Gutland“ (2017), sous la direction de Govinda Van Maele. Et depuis, il n’a plus fait de films. Govinda est un ami. On se connaît depuis qu’on est adolescents, on faisait des petits films ensemble, avec une mini caméra.

Que faites-vous pendant votre séjour?

J’essaie de rester au moins une semaine. Quand je suis là, je voudrais voir tous mes amis. J’adore venir en été, pendant deux, trois semaines. Là, j’ai le temps de voir tout le monde, ou presque. J’aime beaucoup être ici. J’adore me rendre au lac de la Haute Sûre. J’aime avoir du temps. Mes deux enfants voulaient m’accompagner, mais cette fois-ci, c’était trop compliqué. Ils adorent venir au Luxembourg. Mais j’imagine qu’ils savent que je viens de là. Ils aiment la maison de mes parents, la nature. Ils adorent le Parc Merveilleux et surtout le Yo-Yo Land. Ils en parlent à tous leurs amis, à Berlin!

(1) On verra Vicky Krieps dans „Re-creation“ de Jim Sheridan, „Hot Milk“ de Rebecca Lenkiewicz (d’après l’œuvre de Deborah Levy), aux côtés d’Emma Mackey, „Father Mother Sister Brother“ de Jim Jarmusch, aux côtés de Cate Blanchett. Cet été, Vicky Krieps jouera au Japon, sous la direction de Naomi Kawase.