Depuis un certain nombre d’années, David Fœnkinos impose sa plume au sein de la République des Lettres françaises et/ou francophones par un style à la fois simple et dense, abordant de nombreuses thématiques relatives à la condition humaine, tant à ses modes de fonctionnement qu’à ses dysfonctionnements. Son œuvre, déjà abondante, est constituée de titres tels que „La délicatesse“ (2009, portée à l’écran en 2011), „Charlotte“ (2014), „Le mystère Henri Pick“ (2016), „Deux sœurs“ (2019) ou encore „La famille Martin“ (2020). Dans sa dernière fable à la fois existentielle et philosophique, il photographie des destins croisés, se fait le „sismographe“ de l’âme humaine telle qu’elle apparaît dans les années 2020. Il nous éclaire sur le sens de l’existence et nous redonne confiance.

Articulé en trois parties, le roman de David Fœnkinos se place sous l’égide philosophique de Sénèque, auteur du „De vita beata“ („De la vie heureuse“), traité dans lequel le philosophe de Cordoue définit le bonheur à partir du principe de l’accord de la volonté avec l’ordre de la nature. Selon lui, le bonheur repose fondamentalement sur l’indépendance morale de l’individu à l’égard du monde extérieur – les événements ne pouvant ni exalter ni affliger l’homme véritablement heureux. Or, les deux héros fœnkinosiens Amélie et Éric sont-ils affectés par ces considérations? Toujours est-il qu’ils sont confrontés à cette thématique universelle: tout le monde a le droit, à un moment donné, de changer de vie.

Malgré un début qu’il faut dépasser – les quelque 70 premières pages n’étant pas des plus incitatives –, le lecteur entre dans ce qu’il perçoit progressivement comme étant une fable transposable à toutes les époques, ce qui constitue la force à la fois transgénérationnelle et transhistorique de ce texte. L’auteur raconte les retrouvailles de deux anciens camarades de classe, l’une, Amélie Mortiers, devenue après l’ENA, directeur de cabinet du Secrétaire d’État au commerce extérieur, l’autre, Éric Kherson, ancien vendeur qui a réussi chez Décathlon et à qui Amélie propose un poste de conseiller technique au cabinet du ministre. Ce dernier finit par accepter et découvre un nouveau monde dont le contexte est assez mal rendu par l’auteur. À l’occasion d’une mission en Corée du Sud pour convaincre Samsung d’investir à Mulhouse, les deux collègues évoquent leur passé, et s’interrogent sur leur utilité dans la société ainsi que sur l’envie d’avoir une seconde vie. Les forces et les fêlures de chacun apparaissent. Le lendemain, avant le rendez-vous de l’après-midi chez Samsung, Éric fait un tour dans Séoul et tombe sur une boutique nommée „Happy Life“ qui propose à ses clients un faux enterrement pour leur redonner goût à la vie. L’entreprise connaît un grand succès à Séoul. Il se laisse tenter et en ressort transformé, au point d’oublier son rendez-vous.

Doit-on adhérer à l’idée selon laquelle présenter un haut fonctionnaire qui abandonne sa mission pour passer un moment avec cérémonial dans un cercueil en espérant reprendre goût à la vie est une perspective farfelue? Éric repart aussitôt en France, démissionne et avec un slogan tiré de la première phrase du film „Mort à Venise“ – „Celui qui contemple la mort est déjà prédestiné à la beauté“ – lance un projet de „Happy Life“ dans une France entrant dans le Covid …! Et que fait Amélie dans tout cela, après le fiasco de Séoul?

En définitive, David Fœnkinos évoque deux carrières brillantes liées à des vies intimes cabossées, qui vont néanmoins s’associer: Amélie sollicite Éric pour travailler au sein du gouvernement. Ils partent ensemble à Séoul pour une mission professionnelle. C’est là que tout bascule … Ce portait au fond sociologique de la France contemporaine est un ouvrage bien construit, rempli de rebondissements et de trouvailles, dont on apprivoisera la lecture.