Sonntag16. November 2025

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L’histoire du temps présentSeptembre 1943: Un enrôlé pas du tout forcé

L’histoire du temps présent / Septembre 1943: Un enrôlé pas du tout forcé
Marcel Reuter avait été enrôlé dans l’armée allemande, mais pas vraiment de force Photo: Photothèque de la Ville de Luxembourg

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Il y a exactement 80 ans, 13 enrôlés de force luxembourgeois étaient arrêtés à Montpellier, dans le Sud de la France. Trahis alors qu’ils cherchaient à déserter, 11 d’entre eux étaient fusillés quelques mois plus tard. Leur erreur? Avoir cru que tous les enrôlés étaient forcés.

Sète, Montpellier, Palavas-les-Flots… ces noms évoquent certainement quelque chose à pas mal de gens au Luxembourg, que ce soient des vacances à la plage ou des nuits arrosées à la faculté de droit ou de médecine. La Deuxième Guerre mondiale vient moins spontanément à l’esprit. Pourtant, c’est bien dans ce coin du Sud de la France que des mobilisés luxembourgeois s’étaient retrouvés stationnés en 1943. Tous – plus d’une trentaine – appartenaient au Grenadierregiment II 757 de la 338. Infanterie-Division.

Ils étaient loin, très loin des combats acharnés dans les steppes boueuses de l’Union soviétique, mais ce qui s’y passait ne leur échappait pas et, n’étant ni à l’abri d’une réaffectation soudaine, ni tentés par une mort héroïque au service de la patrie d’un autre, beaucoup étaient travaillés par la tentation de déserter. Celle-ci était d’autant plus forte que la zone d’affectation de leur régiment grouillait de Luxembourgeois antinazis, bien intégrés et disposant de connexions dans la résistance.

Terre de refuge pour antinazis

En mai 1940, le département de l’Hérault avait accueilli des dizaines de milliers de réfugiés en provenance du Grand-Duché. La plupart avaient été rapatriés à l’été 1940, mais quelques-uns – des Juifs, des journalistes, des dirigeants politiques ou syndicaux – avaient préféré ne pas rentrer chez eux, maintenant que les Allemands y faisaient la loi. Ils avaient peu à peu été rejoints par des réfractaires au Reichsarbeitsdienst (RAD) et au service militaire.

Un jour qu’il se promenait dans les rues de Montpellier, l’un de ces réfractaires, Charles Reichling, tomba nez à nez avec un vieux copain d’Esch, Alex Jacquemin. Ce dernier portait l’uniforme allemand – probablement pas de gaieté de cœur. Rebelle au régime d’occupation, il avait refusé de prêter serment à Hitler durant son temps au RAD.

Que ce soit à cette occasion ou plus tard, Jacquemin fit part à Reichling de son désir de déserter. Il lui confia sûrement aussi que plusieurs camarades luxembourgeois voulaient faire pareil. Seulement pour que leur tentative de fuite ait une chance d’aboutir, il leur fallait des vêtements civils, des faux papiers, quelque part où se cacher, bref un réseau de complices solide et bien implanté dans la région.

Tissage d’un réseau d’évasion

Reichling finit par présenter Jacquemin à Louis Knaff, un compatriote plus âgé qui avait dirigé le centre d’accueil de la Croix-Rouge luxembourgeoise à Montpellier et faisait désormais partie de la Famille Martin, une organisation de résistance qui espionnait les Allemands au profit des Alliés. Par son intermédiaire, Jacquemin entra en contact avec les officiers du bureau de l’intendance de l’air de Montpellier.

En 1943, ce service n’avait officiellement plus grand-chose à faire, puisque les Allemands avaient ordonné la démobilisation complète de l’Armée de l’air française. Mais le chef du bureau montpelliérain, Félicien Roussel, qui était d’origine luxembourgeoise, et ses deux adjoints, l’adjudant Popouneau et l’adjudant-chef Weirich, un Lorrain, continuaient à y officier, puisque cela leur permettait d’alimenter les maquis de l’arrière-pays en matériel, en nourriture et en hommes1.

Fort de leur soutien, Jacquemin commença à mettre au parfum une poignée de camarades particulièrement fiables, comme Jean Flammang et François Marx. Bientôt toutefois, ils furent plus d’une douzaine à être mis dans la confidence, parmi lesquels Marcel Reuter. Comme celui-ci travaillait à la centrale téléphonique du régiment, Jacquemin et les autres s’étaient dits qu’il pourrait leur fournir des renseignements précieux. Ils ignoraient que Reuter réservait ses informations les plus sensibles à la Gestapo.

Enrôlé… et patriote allemand

Marcel Reuter avait été enrôlé dans l’armée allemande, mais pas vraiment de force. Ce fils de douanier avait adhéré à la Volksdeutsche Bewegung (VdB) dès octobre 1940, à l’âge de 18 ans. L’année suivante, il avait rejoint la SA puis la Hilfspolizei. Dans sa famille, il n’était pas le seul à nourrir des sentiments pro-allemands puisque son frère s’était enrôlé volontairement dans la Luftwaffe. Marcel avait pour sa part attendu d’être mobilisé. Était-ce le signe d’une prise de distance par rapport au régime nazi ? Le fait est qu’en apprenant le projet de désertion de ses camarades, il les avait dénoncés2.

Le 8 octobre 1943, la Gestapo et la Feldgendarmerie arrêtèrent Jacquemin, 12 autres soldats luxembourgeois ainsi que Popouneau et Weirich. Roussel parvint pour sa part à échapper à la rafle. Les conscrits luxembourgeois comparurent le 11 janvier 1944 devant une cour martiale allemande. Lorsque Reuter, seul témoin à charge, fut appelé à la barre, les avocats de la défense ne manquèrent pas de lui rappeler que des vies humaines étaient en jeu. Reuter leur répondit qu’il agissait en patriote et ne pouvait fermer les yeux face à la trahison.

Ses compatriotes cherchèrent à sauver leur peau en plaidant qu’ils n’avaient jamais voulu déserter, simplement se procurer de faux papiers français pour pouvoir rejoindre leur unité s’ils étaient coupés de celle-ci par une invasion alliée. Les juges ne les crurent pas. 11 des 13 furent condamnés à mort et fusillés peu après. Les deux autres, Marcel Haas et Pierre Schu écopèrent de peines plus légères. Sortis vivants de la guerre, ils étaient bien décidés à réclamer justice pour leurs camarades morts.

A mort Judas

Le procès de Marcel Reuter devant la cour spéciale chargée de juger les collaborateurs démarra le 20 mai 1948. Un journaliste du Tageblatt dressa à cette occasion un portrait de l’accusé qui révélait à quel point la douleur et la colère étaient encore vivaces quatre ans après la libération – à quel point aussi certains lieux communs avaient la vie dure:

„Auf der Anklagebank sitzt ein mittelgroßer schmächtiger Junge von 26 Jahren, mit blassem Gesicht, in dem nichts geschrieben steht als charakterliche und intellektuelle Nullität. Ein Scheusal dieses Ausmaßes beliebt die Volksphantasie sich anders vorzustellen. […] Am langen dünnen Hals von Marcel Reuter springt der Kehlkopf ungewöhnlich stark vor: die mit diesem Mal Gezeichneten sollen, dem Volksglaube zufolge, recht falsche Hunde sein. Ob dies wahr oder falsch, auf diesen Angeklagten passt eine noch stärkere Bezeichnung als falscher Hund. „Judas“ nannte ihn der Hr. Präsident des Spezialgerichts. Dabei besaß Judas Iskariot wenigstens den relativen Anstand, einen Strick zu nehmen und sich am Ast eines Olivenbaumes aufzuhängen. Im Süden Frankreichs wachsen viele Olivenbäume, und der Gestapo fehlte es nicht an soliden Stricken. Aber Marcel Reuter listet noch jetzt um ein Leben, das er früh maßlos mit Schande belud, die er nur noch herumschleppen kann wie der Buckelige seinen Buckel3.“

Celui qui était alors probablement l’homme le plus détesté du Luxembourg fut condamné à mort le 25 juin 1948 et fusillé quatre mois plus tard.