Sonntag16. November 2025

Demaart De Maart

CinémaVicky Krieps au sujet de „The Wall“: „Jessica, c’est nous. Nous tous.“

Cinéma / Vicky Krieps au sujet de „The Wall“: „Jessica, c’est nous. Nous tous.“
L’actrice luxembourgeoise Vicky Krieps dans le rôle de Jessica Comley: „The Wall“ est un portrait sans concession d’une jeune garde-frontière entre le Mexique et les Etats-Unis

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3.000 kilomètres de mur séparent désormais les Etats-Unis du Mexique. Des demandeurs d’asile en provenance du Mexique et d’ailleurs sont renvoyés automatiquement de l’autre côté de la frontière. Des milliers d’agents patrouillent en certains endroits. Dans „The Wall“, Jessica Comley (Vicky Krieps) est postée à Tucson, dans le désert, à la frontière entre le Mexique et l’Arizona. Malgré le danger, les migrants, désespérés, fuyant violences et pauvreté chez eux, tentent de traverser cette zone hostile, au péril de leur vie. Jessica est fière de défendre son pays, l’Amérique, contre le trafic de drogues et l’immigration illégale.

Un jour, elle tue un jeune migrant, sous les yeux d’un vieil homme* et de son petit-fils, tous deux issus du peuple Tohono O’odham. Son collègue tente de camoufler le crime en accident. Jessica, elle, doit faire face à des témoins gênants. Sa parole de „vraie“ Américaine vaut-elle plus que celle de l’Amérindien qui était là des millénaires avant elle? Après avoir abordé l’histoire du Rwanda déchiré dans „Le jour où Dieu est parti en voyage“ (2009), puis le conflit syrien dans „Insyriated“ (2017), le Belge Philippe Van Leeuw plante ses caméras dans le désert, à Tucson. Ici, pas de guerre en cours. De part et d’autre du mur, la tension gronde, irrespirable. Il s’agit de faire respecter la loi au nom d’une Amérique qui défend ses droits. Vicky Krieps se glisse avec aisance dans le rôle d’une garde-frontière dénuée de toute compassion.

L’actrice luxembourgeoise qui a appris l’accent de l’Arizona, fait preuve d’une remarquable subtilité pour distiller le malaise, pour saisir la rage intérieure. Sa présence glaçante, sa bonne conscience d’Américaine droite dans ses bottes, mais aussi sa grande solitude dans un milieu machiste, lègue au spectateur le portrait d’une femme en colère. Derrière la représentation austère, se dissimule le monde des dilemmes, de sensations et d’émotions qui définissent la condition humaine. Rencontre avec Vicky Krieps au Brussels International Film Festival (BRIFF) à Bruxelles.

Tageblatt: Le visage de Jessica est quasiment immobile, froid. Était-ce, pour vous, la meilleure manière d’interpréter sa rage?

Vicky Krieps: Tout d’abord, je pensais que le rôle n’était pas pour moi. Je voulais convaincre Philippe (Van Leeuw) de prendre quelqu’un d’autre, car beaucoup d’actrices américaines pouvaient interpréter le personnage de Jessica. Philippe m’a convaincue en m’expliquant que „The Wall“ est presque un conte de fées où le personnage ne se sent pas appartenir à cette région. Raison pour laquelle on le suit. On veut qu’elle soit une bonne personne, mais elle ne l’est pas. J’ai alors compris le point de vue de Philippe. En effet, le visage de Jessica est quasiment immobile, réduit à ses plus simples expressions. C’était mon souhait. Jessica aurait pu avoir plein de tatouages, être en colère tout le temps. Au contraire, j’ai essayé de mettre à distance ces signes „stéréotypés“ qui pouvaient être un prétexte trop facile pour pointer le côté blanc ou noir du personnage. Je voulais éviter d’être soit une bonne, soit une mauvaise personne. Donc j’ai essayé de rendre Jessica un peu ennuyeuse, insignifiante presque, comme si elle n’était pas en colère. Mais elle l’est! Je voulais faire apparaître sa fureur à travers des détails. Le sourcil relevé, les lèvres serrées sont les petits signes extérieurs de sa colère intérieure. Je voulais cela, car je pense que cette façon d’exprimer sa rage pourrait être la nôtre. Jessica, c’est nous. Nous tous.

Un point de vue européen crée aussi une mise à distance avec un sujet spécifiquement américain. Comment voyez-vous cette approche?

C’est clairement la seule raison pour laquelle ce film est différent et intéressant. Parce que quelqu’un ose assumer un point de vue étranger, européen en l’occurrence. La possibilité de faire des erreurs est très forte. Philippe a essayé et le fait qu’il ose traiter d’un sujet si éloigné de lui et de nous est déjà un signe d’humilité. Un film éclaire toujours un sujet, un lieu … Et, peut-être, est-ce intéressant que cette lumière vienne d’un endroit neutre.

Nous pouvons tous être mauvais. Il n’y a pas de mur. C’est nous qui construisons des murs. De la même manière qu’il n’y a pas de mur entre le bien et le mal.

Vicky Krieps, actrice luxembourgeoise

Le peu de dialogues, surtout au début du film, a-t-il influencé votre interprétation?

Je n’essayais pas de penser à la façon dont on allait me filmer. Le peu de dialogues qui existaient, je les ai retirés. Parce qu’il n’y a rien à dire, en fait. Tout est là, dans l’intériorité du personnage. Je voulais que Jessica soit presque ennuyeuse à suivre. Ce serait la pire des choses si je voulais utiliser ce personnage pour impressionner et faire voir combien je suis „bonne“ en tant qu’actrice. Par une pirouette, j’ai voulu la montrer silencieuse, presque absente. Il est dangereux de penser qu’on a raison et qu’on est une bonne personne avec une bonne croyance. Nous pouvons tous être mauvais. Il n’y a pas de mur. C’est nous qui construisons des murs. De la même manière qu’il n’y a pas de mur entre le bien et le mal. Ma mère vient de l’histoire nazie et mon grand-père paternel était dans un camp de concentration. Je suis les deux, mon sang renferme les deux versants. Je pourrais être l’un, voire l’autre. L’éducation que j’ai reçue ne signifie pas que je suis à l’abri. C’est une lutte continuelle. Tout le monde est concerné. C’est seulement quand on accepte qu’on peut être à la fois une bonne et une mauvaise personne que nous ouvrons réellement notre cœur et que nous nous sentons véritablement humains, capables d’aimer l’autre. Nous avons tous des préjugés et des doutes. C’est ce qui est intéressant dans „The Wall“. Philippe aborde un sujet délicat. J’ignore quel type de film nous avons fait, mais je sais que c’est une œuvre sincère, quelque part. Chacun est venu avec ses doutes. Nous avons travaillé ensemble pour que les spectateurs voient une part de la société. À Paris, il n’y a pas de mur véritable, mais il existe entre les classes sociales: après 21 heures, vous ne pouvez plus prendre le métro. Des êtres humains se noient dans la mer Egée. Pourquoi le font-ils? Ce sont des exemples de murs, de frontières.

Comment détruire ce(s) mur(s)?

Il faut en parler. „The Wall“ soulève la question, sans prendre position. Parler fait réfléchir, suscite des questions que chacun peut se poser. C’est le spectateur lui-même qui répondra.

Jessica est très croyante. Que représente Dieu pour elle?

Croire en Dieu lui donne une identité. C’est un fait américain et mondial. Les gens, en Amérique comme dans le monde entier, ont perdu leur identité, le sentiment d’appartenance. Souvent, ils utilisent la religion pour savoir qui ils sont. Jessica se raccroche à la religion. Elle se sent américaine, mais, en fait, qu’est-ce qu’être américaine? L’identité américaine n’existe pas. Il y a longtemps, des gens sont arrivés dans un pays où ils n’étaient pas supposés vivre. Ils y habitent toujours. Ils s’étonnent d’être déprimés et de se sentir vides. Pourquoi? Parce qu’il n’y a aucune raison qu’ils soient là.

J’ai été élevée dans une éducation pacifiste. Je déteste les armes.

Vicky Krieps, actrice luxembourgeoise

Avez-vous mené des recherches sur la situation des migrants à Tucson?

Oui, bien sûr. Mais, surtout, je sais que je viens d’une culture privilégiée, blanche et européenne. J’ai été élevée dans une éducation pacifiste. Je déteste les armes. J’ai dû m’entraîner parce que je devais jouer une militaire qui utilise une arme. J’étais choquée par le fait que tirer se fait très vite, en quelques secondes. C’est très facile, c’est cool … Cela provient d’une partie très primitive du cerveau. Je peux dominer physiquement, avec un simple petit déclencheur. C’est effrayant.


* Membre du peuple Tohono O’odham, Mike Wilson apparaît pour la première fois dans un film de fiction. Militant des Droits de l’Homme, cet originaire de Tucson est pasteur laïc de l’Eglise presbytérienne. En 2002, il a collaboré avec l’association Humane Borders dans la vallée de Baboquivari, le couloir de migrants le plus meurtrier des États-Unis. Mike Wilson a décidé de distribuer des carafes d’eau pour aider les migrants à traverser le désert. Il s’est heurté à la résistance du gouvernement tribal, de l’Eglise presbytérienne et de la patrouille frontalière.

Le film

„The Wall“ de Philippe Van Leeuw. Avec Vicky Krieps, Mike Wilson et Haydn Winston.

de Schmatt
3. Oktober 2023 - 10.56

Et non, madame Krieps, ne généralisez pas!