Freitag7. November 2025

Demaart De Maart

L’histoire du temps présentLe tournant

L’histoire du temps présent / Le tournant
Les occupants nazis passent en revue la compagnie luxembourgeoise sur la place Guillaume. En arrière-plan l’hôtel de ville de la capitale. Photo: Photothèque VDL (date inconnue)

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Il y a 80 ans, le régime d’occupation nazi réprimait le mouvement de grève qui avait secoué le Luxembourg après l’instauration du service militaire obligatoire. En apparence, l’ordre était rétabli, mais en réalité quelque chose s’était irrémédiablement brisé. Les Luxembourgeois qui s’étaient résignés à s’adapter au régime nazi en octobre 1940, pour éviter le pire, avaient définitivement fait marche arrière.

Le lundi 31 août 1942, lorsqu’ils apprirent qu’un mouvement de grève avait été lancé dans le pays pour protester contre l’instauration du service militaire obligatoire, les instituteurs de l’école primaire Aldringen, à Luxembourg, se demandèrent comment ils pourraient y prendre part. Ils songèrent d’abord à renvoyer leurs élèves chez eux puis, estimant que cesser le travail pénaliserait les enfants qu’ils avaient sous leur responsabilité, ils décidèrent de faire quelque chose de bien moins spectaculaire, mais de beaucoup plus significatif: ils renvoyèrent leurs cartes de membres et leurs insignes de la Volksdeutsche Bewegung (VdB) au siège du parti.1)

Ce jour-là et les jours suivants, ils ne furent pas les seuls à agir de la sorte, bien au contraire. A la Chambre de commerce par exemple, les employés décrochèrent, eux aussi, les insignes de la VdB du revers de leurs vestes, malgré les menaces de leurs supérieurs allemands, et renvoyèrent également leurs cartes de membres.2) Les employés communaux de Rumelange et de Dudelange firent de même.3) Dans chacun de ces cas, le mode d’action avait été arrêté après concertation. Malgré la proclamation de l’état d’urgence, les employés communaux de la ville de Dudelange s’étaient ainsi réunis dans la vaste arrière-salle d’un café pour décider de la marche à suivre.4)

La fin de l’adaptation au régime nazi

Ces événements étaient l’exact contraire de ceux de la fin octobre 1940. A l’époque, le personnel des communes, des services publics et des administrations de l’État avait de manière tout aussi collégiale décidé de présenter des demandes d’adhésion collectives à la VdB. Des dizaines de milliers de Luxembourgeois avaient alors rejoint le parti pro-allemand par crainte de perdre leur emploi – mais pas seulement. Ils l’avaient fait aussi par espoir que l’adaptation au nouveau régime leur permettrait d’éviter le pire. La preuve, lorsque le pire advint, lorsqu’ils apprirent que leurs enfants allaient servir de chair à canon aux Allemands, ils renvoyèrent massivement leurs cartes de membre de la VdB.

La Ville de Luxembourg et son agglomération ainsi que le bassin minier furent les régions les plus touchées par le phénomène. 35 membres de l’Ortsgruppe „Luxemburg“ renvoyèrent leurs cartes, à Hollerich ils furent 96, au Limpertsberg 61, à Merl 61, autant à Bonnevoie, 67 à Dommeldange, 31 au Rollingergrund, 26 à Clausen. Mais l’Ortsgruppe qui fut la plus touchée est sans conteste celle de Dudelange dont 400 adhérents renvoyèrent leurs cartes. Esch arriva en seconde position avec 100 cartes renvoyées. Il y en eut 60 à Rumelange et 25 à Bettembourg ainsi qu’à Differdange.5)

Restaurer les apparences

Ces défections étaient inacceptables pour les autorités nazies. L’adhésion à la VdB était censée matérialiser le désir d’être rattaché au Reich et avait forcément un caractère irrévocable. Dès le 2 septembre, les employés communaux de Dudelange furent arrêtés et amenés à l’hôtel de ville. Ils comparurent chacun leur tour devant le maire allemand et l’Ortsgruppenleiter luxembourgeois. Ceux-ci leur promirent que s’ils ne faisaient pas machine arrière, ils seraient traînés devant un peloton d’exécution.6)

Malgré ces tentatives d’intimidation, beaucoup d’entre eux refusèrent de céder. Au mois d’octobre, ils furent de nouveau convoqués à l’hôtel de ville et comparurent cette fois-ci devant un tribunal d’honneur de la VdB. Il leur fut ordonné de reprendre leurs cartes sur-le-champ et de signer une déclaration sur l’honneur, dans laquelle ils s’engageaient à servir loyalement le parti et à en porter les insignes.

Au final 16 des 400 Dudelangeois qui avaient renvoyé leurs cartes de membres restèrent fermes dans leur décision de quitter la VdB. Leurs noms furent communiqués à la Sipo-SD qui vint de nouveau les arrêter en décembre 1942. Après un interrogatoire musclé à la villa Seligmann, le siège de la Gestapo à Esch, ils furent incarcérés à Luxembourg jusqu’au 7 janvier 1943, puis déportés au camp de concentration de Hinzert. Début 1944, ils furent séparés et envoyés dans différents camps: Natzweiler, Dachau, Sachsenhausen.7)

Le retour au calme

La répression du mouvement de grève avait ramené un semblant de calme, comme le notait Artur S., un cadre politique de l’Ortsgruppe de Wiltz, dans un rapport de septembre 1942: „Die freche, drohende Haltung der überwiegend grossen Zahl der Einwohnerschaft der Ortsgruppe Wilz, die dieselben noch vor dem 31. August aufbrachten, ist seit den letzten Tagen in eine schlappe, angstschlotternde Haltung umgeschlagen. Die V[olksgenossen] die nun heute morgen noch von dem grossen Umsiedlungsprogramm des Gauleiters in der Tagespresse lasen, sind nun die untertänigsten Diener. Es ist kennzeichnend, dass nun ein jeder sich vor den kommenden Ereignissen wappnen will und ist somit auch die Nachfrage nach Abzeichen merklich gestiegen. Der deutsche Gruss wird jetzt allgemein gegenüber den politischen Leitern sehr viel von den anderen V[olksgenossen] angewendet. Die Gegner merken so langsam, dass es diesmal sehr ernst aufgefasst wird.“8)

Le pourrissement par l’intérieur des organisations nazies

En réalité, les autorités n’avaient réussi qu’à sauver les apparences. Masquée par ce retour à l’ordre trompeur, la décomposition des organisations nazies, commencée au lendemain du recensement avorté d’octobre 1941, était devenue irrémédiable. Leur coquille de plus en plus vide commençait même à être occupée par la résistance. A Wasserbillig, on commençait par exemple à différencier la SA „boche“ (“De’ preisesch SA“) de la SA „luxembourgeoise“ (“De’ letzeburger SA“). L’un des dirigeants de cette dernière, un aubergiste, avait même mis une salle de son établissement à la disposition de ses hommes afin qu’ils puissent y écouter les émissions de la BBC.9)

Le même phénomène était semble-t-il à l’œuvre au sein de la VdB d’Ettelbruck. Après la libération, plusieurs de ses membres, dont certains avaient revêtu des charges importantes, réapparaîtraient dans les rangs de l’Unio’n, le mouvement unitaire de la résistance luxembourgeoise, à des postes non moins importants.10) Ici, comme dans bien d’autres localités, la VdB n’avait pas effacé les hiérarchies traditionnelles. La volonté du Gauleiter d’en faire un mouvement de masse, avait drainé bien des notables dans ses rangs. Ces derniers n’avaient pas pu y jouer de rôle politique tant que le régime nazi était fort, mais maintenant qu’il était en train de montrer des signes de faiblesse, ils se tenaient prêts à reprendre le relai. La dislocation des organisations nazies n’allait pas faire place au chaos.


1) Archives nationales de Luxembourg (ANLux), Affaires politiques (AP), dossier n° 286 (TALAPAA-0003), dossier Marius W.

2) ANLux, Fonds Épuration (EPU) 13, Chambre de commerce, enquête sur le personnel.

3) ANLux, EPU 275, enquêtes concernant le personnel communal.

4) ANLux, Fonds Documentation historique 2e Guerre mondiale (DHIIGM) 76, rapport de la Gendarmerie sur les suites de la grève d’août-septembre 1942.

5) ANLux DHIIGM 76.

6) ANL DHIIGM 76, rapport de la Gendarmerie, op.cit.

7) ANL DHIIGM 76, rapport de la Gendarmerie, op.cit.

8) ANLux AP S19 (Diekirch II), rapport du 9 septembre 1942.

9) ANLux, Fonds Affaires étrangères (AE), Gouvernement en exil (Gt Ex) 323, rapport „Schartz“, pièce 0209, microfilm G.E. 36.

10) ANLux EPU 292, Rapport d’enquête de la Sûreté nationale du 16.5.45.