De l’enfer au cauchemar

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De Sébastien Louis*

Se rendre en Pologne pour assister à un match de football est-il une chose raisonnable pour un fan de football? Pour un expert sur la question du supportérisme radical, la réponse est bien évidemment positive, surtout pour une rencontre qui oppose le Lech Poznan au Legia Varsovie (avec Chris Philipps). Car les deux clubs n’incarnent pas uniquement l’excellence du football local, mais ils se détestent cordialement.

*Sébastien Louis est professeur d’histoire-géographie et de sociologie à l’Ecole européenne de Luxembourg. Il est l’auteur de l’ouvrage „Ultras, les autres protagonistes du football“.

En outre, la première partie du championnat a vu le Lech terminer à la première place, mais le club s’est effondré lors de la phase finale. En ce dimanche ensoleillé du mois de mai se déroule la dernière journée de l’Estraklasa et les joueurs de la capitale comptent trois points d’avance sur le Jagiellonia Bialystok. Il suffit donc d’un match nul pour que le Legia triomphe sur la pelouse de son plus grand rival.

La semaine précédent le match fut riche en polémique: le club de Poznan ne veut surtout pas se laisser ridiculiser et va tout faire pour battre le club de Varsovie. En outre, pour compliquer ce scénario, la scène du supportérisme radical dans ce pays est l’une des plus violentes du continent et les risques d’incidents sont avérés. C’est pourquoi la direction du Legia a refusé de fêter son éventuel titre sur la pelouse de Poznan. Enfin, pour être sûr de „motiver“ leurs joueurs, certains fans du Lech ont laissé une banderole à l’entraînement avec un message on ne peut plus clair: „Si vous ne gagnez pas dimanche, on va vous baiser“.

Je décide de voyager en train pour rejoindre la deuxième ville du pays. A l’approche de Poznan, les supporters aux couleurs bleu et blanc sont de plus en plus nombreux dans les wagons. Leurs gabarits sont assez impressionnants et permettent de confirmer les clichés sur certains fans polonais adeptes de body-building. Le stade municipal est situé à six kilomètres au sud-ouest du centre historique. Le tram est le meilleur moyen pour s’y rendre. La foule est déjà au rendez-vous et les supporters arborent tous les couleurs de leur club.

Arrivé à proximité de l’enceinte, certains en profitent pour aller boire quelques bières, d’autres vont acheter le dernier gadget aux couleurs de leur club, alors que les ultras font une quête pour financer leurs scénographies. Tomek, un fan de Poznan est accompagné de son fils. Il vient au stade depuis dix ans. „Aujourd’hui c’est le classico polonais, à l’image de Barca-Real.“ Pour lui, la banderole de menaces n’a pas sa place: „Cela ne reste qu’un jeu, nous devons jouer le match sans peur.“ Mais, ce père de trois enfants ne craint rien pour son fils qui l’accompagne comme toujours dans les tribunes: „Nous avons la meilleure ambiance de Pologne, peut-être même d’Europe.“

De l’extérieur, le stade est assez impressionnant. Sa capacité est de 45.000 places et il fut complètement rénové à l’occasion de l’Euro 2016. La situation semble pourtant calme pour ce sommet du championnat. Il faut dire que les 2.000 partisans du Legia voyagent avec deux trains spéciaux et les mesures de sécurité sont impressionnantes. Ils sont sous bonne garde dans un parking séparé et un tunnel les amène directement dans le secteur du stade qui leur est réservé.

Je me dirige vers l’entrée, et, pour pénétrer sur la pelouse avec les autres photographes, je dois passer par une entrée située sous le secteur adverse. Je traverse alors un couloir où une centaine de policier se préparent: tenue anti-émeute, casque, cagoule et même des fusils (pour tirer des balles en caoutchouc). La scène me fait froid dans le dos. Heureusement, la beauté du stade me permet d’oublier cela. Ce soir, il seront plus de 30.000 spectateurs dans les tribunes.

Lorsque les équipes pénètrent sur la pelouse, le bas de la tribune sud, celle qui abrite les ultras locaux, se pare d’un voile avec un slogan explicite: „atmosphère de mort“. Les joueurs posent pour la photo, puis chacune des deux équipes se rassemble pour se motiver. C’est alors que des fumigènes noirs et blancs sont allumés au-dessus du message, alors que les supporters de Poznan tendent leurs écharpes. Puis l’ambiance démarre. Les chants ne sont pas mélodieux comme dans les stades du Sud de l’Europe, mais l’ambiance est intimidante. L’un des leaders de la tribune sud lance les chants sur un podium, accompagné par un ultra qui frappe en cadence sur sa grosse caisse.

Derrière moi prennent place les fans de la capitale. Le secteur est séparé du reste du public et sous l’œil de nombreuses caméras de vidéosurveillance. Ils ne chantent pas, malgré l’ouverture du score du Legia dès la neuvième minute. Leurs compagnons de voyage subissent encore une fouille minutieuse et il faut attendre la demi-heure de jeu pour voir les derniers supporters du Legia arriver. C’est alors qu’ils commencent leur show. Le match des tribunes débute enfin avec un avantage pour le Legia. Dans les tribunes du stade les femmes et les enfants sont en force. Sous l’œil amusé des stewards, des enfants d’une dizaine d’année insultent le Legia.

La deuxième mi-temps reprend, mais, les fans du Lech n’y croient plus, leurs chants faiblissent et on n’entend plus que les partisans du club de la capitale. D’ailleurs à la demi-heure de jeu, les ultras de Poznan enlèvent toutes les banderoles de leur tribune, puis ils affichent une banderole explicite: „Putain, c’en est trop“. De temps en temps ils insultent leurs rivaux et, à la 69e minute arrive l’impensable: le deuxième but du Legia. C’est le signal qui déclenche les hostilités. Des fumigènes noirs sont jetés sur la pelouse. Rapidement, l’arbitre arrête le match. Cela dure quelques minutes, puis, quelques supporters du Lech Poznan pénètrent sur la pelouse. Le directeur de jeu renvoie définitivement les équipes aux vestiaires alors que les policiers anti-émeutes pénètrent sur la pelouse. Ils font reculer les fans locaux qui en réponse retournent dans leur tribune.

La stratégie policière est efficace, car il n’y a pas de blessés, de plus, les agents ne pénètrent pas dans le repère des fans radicaux de Poznan. Au bout d’une dizaine de minutes la tribune sud se vide, tout comme le reste du stade. Il ne reste plus que les 2.000 partisans du Legia dans leur secteur. Ces derniers ont remplacé leurs traditionnelles banderoles par deux messages: „Champion de Pologne“ et „Veni, vidi, vici“. Puis, au bout d’un quart d’heure les policiers abandonnent la pelouse. C’est alors que toute l’équipe du Legia revient devant le secteur de ses supporters. Leur joie explose, ils sont en communion avec leurs fans. Le capitaine va même jusqu’à prêter symboliquement le trophée au leader des ultras. Durant dix minutes ils célèbrent leur triomphe: coupe de Pologne et championnat. Les joueurs vont même jusqu’à prendre le mégaphone des ultras pour lancer les chants de la fameuse tribune Zyleta. La soirée s’achève ainsi, dans une explosion de joie pour les partisans du club de la capitale et finalement avec plus de peur que de mal.