L’affaire Puigdemont

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Par Daniel Salvatore Schiffer*

Scandale au cœur de l’Europe: avec la capture de Carles Puigdemont par la police allemande, suite au mandat d’arrêt international lancé contre lui, pour „rébellion“ et „sédition“, par l’Espagne, ce n’est pas seulement à un énième et grave épisode de la crise catalane auquel nous venons d’assister, le 25 mars 2018, mais bien, chose beaucoup plus inquiétante au regard des droits de l’homme, à un nouveau et honteux déni de démocratie, valeur pourtant censée présider, depuis sa naissance, au destin de l’Union européenne elle-même!

Certes ne nous appartient-il pas de nous immiscer dans les affaires internes d’un pays souverain – l’Espagne, en l’occurrence – ni de nous prononcer donc sur l’indépendance ou non de l’une de ses régions, la Catalogne précisément. Je serais même plutôt enclin à plaider, en ce qui me concerne, pour un pays unifié.

Mais, enfin, des élections libres et pacifiques ont eu lieu il y a trois mois déjà, le 21 décembre dernier, à ce propos. Avec, au terme de ce scrutin, une majorité, plus que significative, en faveur de cette même indépendance, laquelle, en outre, ne faisait que venir renforcer ainsi les résultats, tout aussi incontestables, du référendum populaire organisé, seulement deux mois auparavant (le 1er octobre), au sujet de ladite autodétermination!

Mais voilà: le pouvoir central de Madrid, à l’évidence, ne veut absolument pas, quelle que soit la légitime voix des urnes, de cette sécession. Ainsi, pas plus tard que le 30 octobre dernier, en est-il même arrivé, bafouant là tout principe démocratique, bâillonnant sa presse, emprisonnant ses leaders et destituant son président (Carles Puigdemont), à mettre la Catalogne sous tutelle.

Répression policière

Conséquence? Une répression politico-idéologique indigne, par son aspect aussi disproportionné qu’expéditif, d’un pays faisant partie intégrante de l’Union européenne. Avec, à ce jour, rien moins que douze responsables politiques, tous issus de partis indépendantistes mais néanmoins élus démocratiquement, arbitrairement incarcérés, sans autre forme de procès et au mépris de tout dialogue, dans les geôles espagnoles. Bref, en de telles circonstances, de purs et simples prisonniers politiques, vis-à-vis desquels la nécessaire séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire, socle de tout Etat de Droit qui se respecte, se voit là manifestement violée!

Pis: que dire, encore, de ces violentes méthodes avec lesquelles la fameuse „guardia civil“, alors envoyée abusivement par Madrid, tenta d’empêcher, matraque à la main, ce référendum populaire portant sur l’indépendance de la Catalogne du 1er octobre dernier. De cette brutalité, en tout point injustifiable, le monde entier, choqué, a été, face à ces terribles images télévisées, comme venues d’un autre temps (celui, de sinistre mémoire, du franquisme), le témoin horrifié.

Ainsi, à supposer même que l’Espagne, en estimant ce référendum comme ces élections „anticonstitutionnels“, soit politiquement dans son droit quant au fond du problème, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle finit donc, à l’aune de cette intolérable répression policière, par avoir tort, tant sur le plan humain que judiciaire, quant à la forme.

Non: la fin ne justifie pas toujours, loin s’en faut, les moyens, à moins que l’Espagne ne se voie à nouveau hantée, comme cela semble être effectivement le cas aujourd’hui, par ses vieux démons, aux nauséabonds relents de dictature! Davantage: ce type d’autoritarisme ne fait qu’exacerber, tel un boomerang, le sentiment indépendantiste, y compris, à présent, chez les plus modérés des Catalans!

En attendant, c’est à un silence aussi coupable qu’incompréhensible, sinon pour d’hypocrites et vils calculs d’opportunisme politico-économique, auquel l’Union européenne s’adonne ces dernières semaines en se taisant aussi lâchement, dans toutes les langues, sur cette odieuse répression s’abattant aujourd’hui sur ceux que toute authentique conscience démocratique ne peut plus désormais considérer que comme, selon les cas, des prisonniers ou des réfugiés politiques.

Honte à l’Europe, qui, au regard de cette importante affaire, laquelle dépasse certes la seule personne de Carles Puigdemont, manque singulièrement de courage intellectuel tout autant que de noblesse morale, allant ainsi jusqu’à mettre en péril, au prétexte d’on ne sait quelle absurde logique de solidarité avec l’un des ses pays membres, sa crédibilité même, sinon, aux yeux de ses détracteurs, son avenir.

Liberté pour Puigdemont!

Que n’eût-on pas dit, crié au scandale et hurlé au fascisme, si d’aussi répréhensibles méthodes, pareil abus de pouvoir et semblables purges, avaient été l’infâme fait d’un pays extérieur la Russie de Poutine, par exemple à l’Union européenne? Le tollé aurait été, à juste titre, général! Mais non, à l’inverse dans le cas présent, et face à un premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, qui s’abreuva pourtant à la mamelle du franquisme à l’aube de sa carrière politique, pas un mot, pas même un soupçon, fût-il du bout des lèvres, de condamnation! Un indécent, plus encore qu’irrationnel, deux poids deux mesures! Les intellectuels européens eux-mêmes, pourtant toujours prêts à s’introniser en donneurs de leçons en matière de droits de l’homme, demeurent, sur cet épineux dossier, étrangement muets.

L’Histoire, certes, jugera. Mais, pour l’heure, cette Europe que nous portons chevillée au cœur sera-t-elle encore longtemps complice, par sa veulerie tout autant que son aveuglement, de cette justice aux abjects accents de totalitarisme?

Reste à espérer, en d’aussi inéquitables conditions, et la sagesse aidant malgré l’avis pour le moins partial d’un procureur du Schleswig-Holstein, que l’Allemagne n’extradera finalement pas Puigdemont (que, je tiens à le préciser, je ne connais pas personnellement et dont je réprouve, bien évidemment, les malheureuses accointances parfois avec certains partis d’extrême-droite) vers cette Espagne dans laquelle tout humaniste digne de ce nom ne peut plus guère, ces derniers temps, se reconnaître!

* Daniel Salvatore Schiffer est philosophe, auteur, notamment, de „La Philosophie d’Emmanuel Levinas“ (Presses universitaires de France), „Oscar Wilde“ et „Lord Byron“ (Gallimard – Folio biographies), „Critique de la déraison pure La faillite intellectuelle des ’nouveaux philosophes‘ et de leurs épigones“ (François Bourin Editeur) et „Traité de la mort sublime L’art de mourir, de Socrate à David Bowie“ (Alma Editeur).