Le Luxembourg perd un grand homme

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C’est dans son sommeil que Nic Klecker s’est éteint. Un départ serein à l’image de la vie de cet homme dont la discrétion n’a jamais exclu l’engagement. Un engagement intransigeant mais sans tapage inutile. Pour certains, la révolte ne peut être que violente. Mais qui côtoyait Nic Klecker savait que la courtoisie aussi pouvait être...

Le geste lent, la posture droite et un peu raide. C’est ainsi que je revois Nic Klecker depuis toujours. Depuis ce jour où, élève du Lycée de garçons de Luxembourg, je pénétrai pour la première fois dans une petite salle de classe vétuste au deuxième étage du lycée. C‘était au milieu des années 1980. Nic Klecker y animait avec Pierre Mergen l’„Atelier de poésie“ du LGL pendant la pause de midi. A une époque où les professeurs ne collectionnaient souvent de leurs élèves que quelques phrases maladroites pour leur bêtisier, l’„Atelier de poésie“ était un espace où l’on prenait au sérieux les créations des jeunes. Les élèves qui le désiraient y présentaient leurs poèmes et ceux-ci étaient étudiés comme ceux des auteurs reconnus. Beaucoup y trouvaient leurs premiers (et parfois leurs seuls) lecteurs. Parfois, des écrivains luxembourgeois – Roger Manderscheid ou José Ensch – y venaient pour présenter leurs œuvres…

Un fils de paysan

Nic Klecker aimait beaucoup ce terme d’atelier. Il ne manquait jamais une occasion pour rappeler que la poésie est un artisanat autant qu’un art et qu’un poème aussi se remet sur le métier. Avec lui on apprenait à goûter non seulement le sens des mots, mais leur aspect, leur saveur, leur couleur. De manière générale, Nic Klecker ne parlait jamais de poésie de manière abstraite; il utilisait de préférence un vocabulaire simple et palpable. Ce fils de paysan, comme il se qualifiait lui-même, avait une prédilection pour le concret. Si bien qu’on hésiterait presque à lui accoler le terme d’intellectuel, ce qu’il était pourtant à sa manière, lui qui disait que son siècle de prédilection était celui des Lumières.

Des Lumières, Nic Klecker avait hérité l’esprit critique. Cet esprit lui a inspiré une méfiance spontanée à l‘égard de tous les obscurantismes, qu’ils soient de nature religieuse, idéologique, technologique ou économique. A ses yeux, aucune vérité ne justifiait le recours à la violence. Son action en tant que président d’Amnesty International-Luxembourg et à la Commission des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe était l’un des volets de son engagement. L’autre était l‘écriture.

Ses chroniques pour le „Lëtzebuerger Land“ ou pour „Kulturissimo“ montrent un auteur incisif et conscient que la barbarie a de nombreux visages. A un monde en perte de repères et de valeurs, il opposait le monde rural de son enfance à Brandenbourg comme dans ses „Créneaux du Souvenir“, publiés en 1997. De cette confrontation, Nic Klecker ne tirait aucune morale simpliste, mais plutôt un questionnement de la société moderne. Et c’est ainsi que j’interprète la dernière phrase du livre: „Les enfants du village ne frissonnaient d’aucune peur, mais ils posaient des questions qui laissaient les adultes perplexes“. Nic Klecker était un peu à l’image de ces enfants sans peur posant des questions qui dérangent.

„Estuaires“

De Nic Klecker on retiendra encore qu’il fut avec Emile Hemmen le fondateur de la revue culturelle „Estuaires“ qui publia entre 1986 et 2002 tout ce que la littérature luxembourgeoise comptait de grands noms. Mais „Estuaires“, conformément aux convictions profondes de ses fondateurs, a aussi été – et reste à ce jour – la revue la plus ouverte et la plus internationale qui ait été éditée au Luxembourg. Un nom choisi „comme une promesse“. Avec la fin de l’aventure d’„Estuaires“ et la mort de son épouse, Nic Klecker s‘était un peu retiré de la vie publique. Fidèle à lui-même et à ses convictions jusqu’au bout, on sentait pourtant ces derniers temps une certaine lassitude, comme si le décès de sa femme l’avait convaincu qu’il était temps de se préparer pour le dernier voyage.

Avec Nic Klecker s‘éteint l’un des derniers écrivains luxembourgeois issu de la génération qui a connu la dernière guerre mondiale. Cette expérience a façonné son engagement et son écriture. „Malraux, après Valéry, et tant d’autres – écrivait Nic Klecker en 1986 – constate la déchéance, la mort d’un certain humanisme traditionnel, la maladie de l’homme européen, à qui il s’agit de redonner une raison de vivre. Camus rejoint Malraux dans ce que j’appellerai l’engagement de l‘écrivain dans l’humain.“

Pour moi, Nic Klecker restera l’un des représentants de cet humanisme traditionnel. Un poète en ces temps de détresse. Tom Reisen*

*L’auteur a fait partie du comité de rédaction d’Estuaires de 1995 à 2002.