Antisionisme = antisémitisme?

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„Nous ne céderons rien à l’antisionisme car il est la forme réinventée de l’antisémitisme“, a-t-il ainsi cru bon de déclarer, sous les applaudissements d’un Netanyahou qui n’en demandait pas tant.

La critique du sionisme est la critique d’une idéologie et d’une politique fondées sur une vision ethno-raciale des rapports sociaux qui a conduit l’État d’Israël à institutionnaliser les discriminations et l’oppression subies par les Palestiniens au moyen de lois accordant des droits spécifiques (et supérieurs) aux juifs. Ainsi, critiquer le sionisme et les structures discriminatoires de l’État d’Israël, ce n’est pas faire preuve de racisme mais, bien au contraire, refuser la légitimation de mécanismes institutionnels de hiérarchisation raciale.

L’antisionisme n’a donc rien à voir avec la haine des juifs, quand bien même certains courants et individus antisémites prennent prétexte du sort du peuple palestinien pour alimenter leur rhétorique nauséabonde. Qui plus est, en assimilant, d’une part, opposition au sionisme et, d’autre part, antisémitisme, Macron favorise en réalité l’amalgame qu’il prétend combattre. Il se place en effet sur le même terrain que la vermine antisémite: celui de la confusion volontaire entre „juif“, „sioniste“ et „Israélien“.

Lettre ouverte de Shlomo Sand

Dans une lettre ouverte l’emblématique historien israélien Shlomo Sand s’adresse à Macron:

„J’ai cessé de vous comprendre lorsqu’au cours de votre discours, vous avez déclaré que: ‚l’antisionisme … est la forme réinventée de l’antisémitisme‘. Cette déclaration avait-elle pour but de complaire à votre invité, ou bien est-ce purement et simplement une marque d’inculture politique? L’ancien étudiant en philosophie, l’assistant de Paul Ricoeur, a-t-il si peu lu de livres d’histoire, au point d’ignorer que nombre de juifs, ou de descendants de filiation juive se sont toujours opposés au sionisme sans, pour autant, être antisémites?

Je fais ici référence à presque tous les anciens grands rabbins, mais aussi, aux prises de position d’une partie du judaïsme orthodoxe contemporain. J’ai également en mémoire des personnalités telles Marek Edelman, l’un des dirigeants rescapé de l’insurrection du ghetto de Varsovie, ou encore les communistes d’origine juive, résistants du groupe Manouchian, qui ont péri. Je pense aussi à mon ami et professeur: Pierre Vidal-Naquet, et à d’autres grands historiens ou sociologues comme Eric Hobsbawm et Maxime Rodinson dont les écrits et le souvenir me sont chers, ou encore à Edgar Morin.

Enfin, je me demande si, sincèrement, vous attendez des Palestiniens qu’ils ne soient pas antisionistes!

Je suppose, toutefois, que vous n’appréciez pas particulièrement les gens de gauche, ni, peut-être, les Palestiniens; aussi, sachant que vous avez travaillé à la banque Rothschild, je livre ici une citation de Nathan Rothschild, président de l’union des synagogues en Grande-Bretagne, et premier juif à avoir été nommé Lord au Royaume-Uni, dont il devint également le gouverneur de la banque.

Dans une lettre adressée, en 1903, à Théodore Herzl, le talentueux banquier écrit: ‚Je vous le dis en toute franchise je tremble à l’idée de la fondation d’une colonie juive au plein sens du terme. Une telle colonie deviendrait un ghetto, avec tous les préjugés d’un ghetto. Un petit, tout petit, Etat juif, dévot et non libéral, qui rejettera le chrétien et l’étranger.‘ Rothschild s’est, peut-être, trompé dans sa prophétie, mais une chose est sûre, cependant: il n’était pas antisémite!“ (publié notamment dans Médiapart, le 20 juillet 2017)

Idéologie politique et non religieuse

Se laisser terroriser par le chantage à l’antisémitisme, se taire pour ne pas prêter le flan à des accusations de „collusion avec l’antisémitisme“ voire d’“antisémitisme inconscient“, ne peut, en dernière analyse, que faire le jeu des antisémites véritables, ou pour le moins des confusions identitaires et des réflexes communautaristes.

La vraie gauche, antiraciste et anticolonialiste, n’a pas à faire la preuve de son engagement dans le combat contre la peste antisémite. Elle sera d’autant plus efficace dans la poursuite de ce combat, que ses positions sur les crimes de guerre d’Israël et sa politique de colonisation seront claires et sans ambiguïté.

Le conflit israélo-palestinien est un conflit politique entre un mouvement colonial et un mouvement de libération nationale. Le sionisme est une idéologie politique, et non religieuse, qui vise a résoudre la question juive en Europe par l’immigration en Palestine, sa colonisation et la création d’un état juif.

C’est la définition qu’en ont toujours donnée ses instigateurs, de Herzl à Ben Gourion, de Pinsker à Jabotinsky, pour qui les concepts de colonisation (Hityashvuth) ou de colonies (Yishuv, Moshav) n’ont jamais été péjoratifs. Jusqu’à la montée du nazisme, l’immense majorité des juifs à travers le monde a rejeté le sionisme, considéré soit comme hérétique (position de la grande majorité des rabbins et des juifs religieux) soit comme réactionnaire (position du mouvement ouvrier juif en Europe orientale), soit encore comme anachronique (positions des juifs émancipés ou assimilés en Europe centrale et occidentale).

En ce sens, l’antisionisme a toujours été perçu comme une position politique parmi d’autres, qui plus est, hégémonique dans le monde juif pendant près d’un demi-siècle.
Les racismes anti-arabe et anti-juif doivent être condamnés et combattus, sans concession, et l’on ne peut le faire avec efficacité que si l’on mène les deux combats de front, faute de quoi, on ne fait que renforcer l’idée, fortement répandue, que derrière la dénonciation d’une seule forme de racisme on attaque en fait une communauté.

Ceux qui dénoncent les actes antisémites, réels ou fruits de „glissements sémantiques“, mais ne disent rien des exactions anti-arabes portent une part de responsabilité dans la communautarisation des esprits et dans le renforcement de l’antisémitisme, car ce n’est pas le racisme, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, qu’ils combattent, mais uniquement le racisme de l’autre.

 

Robert Mertzig