L’histoire du temps présentLa fin de la Lune de miel

L’histoire du temps présent / La fin de la Lune de miel
Gauleiter Gustav Simon Photo: archives Editpress

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La première grève de l’occupation n’a pas eu lieu à l’été 1942 mais dès octobre 1940, à peine trois mois après l’instauration de l’administration civile allemande. Elle a éclaté suite à la décision du Gauleiter Simon d’aligner les prix et les salaires au Luxembourg sur ceux de l’Allemagne. Son objectif était d’augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs mais le contraire se produisit. Cette erreur de calcul mit fin à la dynamique en faveur du régime nazi qui avait réellement existé au Luxembourg, au cours des semaines précédentes.

La mission que Gustav Simon avait reçue de Hitler était de ramener le Luxembourg „Heim ins Reich“. Pour la mener à bien, le Gauleiter n’avait en aucun cas juste l’intention de terroriser la population pour la forcer à se soumettre. Il considérait que les Luxembourgeois étaient des Allemands „de race“, mais qu’ils avaient été aliénés à leurs frères de sang par les mensonges juifs et français. Il entendait donc les convaincre que leur place était au sein de la Grande-Allemagne.

Il voulait aussi les persuader que rejoindre la Volksgemeinschaft, la communauté du peuple rêvée par les nazis, n’était pas seulement un choix naturel mais profitable. La solidarité et les opportunités que cette intégration était censée leur offrir permettrait aux Luxembourgeois de s’épanouir et de prospérer, d’être pris en charge, avec leur famille, en cas de coup dur, de maladie ou lorsqu’ils seraient trop vieux pour travailler.

Conquérir le cœur des travailleurs

Le Gauleiter fit des travailleurs luxembourgeois la cible privilégiée de son offensive de charme – en particulier des ouvriers et mineurs du Sud du pays. Durant les années 1930, ceux-ci avaient beaucoup souffert de la crise économique et accusé le système politique en place de ne pas défendre leurs intérêts. Leur défiance face au pouvoir avait été ravivée par l’invasion allemande, plus particulièrement par la fuite du gouvernement et de la Grande-Duchesse que beaucoup d’entre eux avaient vécue comme une trahison.

„Die Arbeiter gehören wohl in Luxemburg zu demjenigen Personenkreis, der nach Schaffung einer gesunden Lebensexistenz [sic!] an erster Stelle für das Deutschtum gewonnen werden kann“, estimait ainsi un agent du Sicherheitsdienst (SD), le service de renseignement de la SS, dans un rapport : „Es zeigten sich auch in dieser Hinsicht bereits gute Ansätze. So stand das Ergebnis für das Kriegs-Winterhilfswerk im Escher Gebiet im Verhältnis weit über dem anderer Gegenden. Auch bei anderen Anlässen zeigte sich, dass der Arbeiter des Escher Gebietes auf dem besten Wege war sich zu Deutschland zu bekennen. In Esch war schon verhältnismäßig früh eine beachtenswerte Zahl von Hakenkreuzfahnen festzustellen.“

On peut rajouter à cela que le parti luxembourgeois pro-nazi Volksdeutsche Bewegung (VdB), fondé à la mi-juillet 1940, avait d’emblée créé un grand nombre de sections dans le Sud – alors même qu’il peinait à s’implanter au Nord et dans l’Est – et qu’il comptait un nombre élevé d’ouvriers dans sa base militante.

Une erreur de calcul

Pour accélérer cette tendance particulièrement prometteuse, Simon décida d’appliquer les salaires allemands au Luxembourg. Le calcul semblait évident, en Allemagne un ouvrier gagnait en moyenne 70 à 85 Pfennig de l’heure contre 45 au Luxembourg. L’introduction du taux horaire allemand devait donc permettre à un ouvrier luxembourgeois de gagner jusqu’à deux fois plus d’argent.

Le 1er octobre 1940 fut promulguée une ordonnance „créant les conditions formelles pour un ajustement des prix, traitement et salaires sur ceux du Reich allemand“ (Verordnung des Chef der Zivilverwaltung, die die formellen Voraussetzungen zur Angleichung der Preise, Löhne und Gehälter an die des Deutschen Reiches schaffen). Si le Gauleiter s’était attendu à ce que cette décision débouche sur un accroissement substantiel du pouvoir d’achat, il dut rapidement déchanter.

Le salaire brut moyen des ouvriers augmenta bel et bien de 22% mais cette augmentation apparaissait à peine sur les fiches de paie parce que les cotisations sociales allemandes étaient plus élevées que celles qui étaient jusque-là prélevées au Luxembourg. A cela s’ajoutèrent plus tard les cotisations au Deutsche Arbeitsfront (DAF), le pseudo-syndicat de l’Allemagne nazie

Explosion des prix et disparition de l’index

Quant au prix, ils grimpèrent de manière bien plus forte que les salaires nets – de 50 à 100%, voire davantage pour certains produits. Le prix des denrées alimentaires augmenta en moyenne de 60%, celui des produits textiles de 100%, celui du vin de 170% et celui du tabac même de 460%. L’index, qui aurait permis de compenser ce renchérissement brutal, avait disparu dans le cadre de la réforme. Richard Hengst, le maire allemand de Luxembourg, insista particulièrement sur cet élément dans un rapport extrêmement critique qu’il adressa au ministère de l’Intérieur du Reich, fin janvier 1941:

„Die Luxemburger Gehälter und Löhne bestanden aus einem Grundlohn oder Gehalt und einem gleitenden, der Teuerung angepassten Index etwa auf die Höhe der nun angeblichen Preise und alles war gut. Aber der deutsche Bürokrat denkt nicht so einfach. Nein! Er warf die Frage, die allein zur Debatte stand, nämlich der Angleichung an die erhöhten Preise, mit der Überführung in die deutsche Besoldungsordnung und sogar mit dem Stellenplan völlig durcheinander, ersoff in einer tierischen Arbeit und kam dann glücklich, nachdem im Oktober die Preise angeglichen waren, Ende Dezember zu einer Festsetzung der Gehälter, die in jeder Weise mangelhaft war. Auf dem Gebiet der Löhne war es nicht besser. Unsere deutsche Tarifgestaltung wird vielleicht von 2 bis 3 von mir bewunderten ungewöhnlich klugen und gedächtnisstarken Köpfen gemeistert, sonst schaut da keiner mehr durch. In Luxemburg war keiner dieser ragenden klugen Leute. Infolgedessen klappte die Lohnangleichung nicht. Es kam zu schwerwiegenden Unzufriedenheiten.“

Le patronat refuse de jouer le jeu

Enfin, à côté de cette médiocrité de l’administration allemande au Luxembourg dénoncée par l’un de ses représentants, un autre facteur mit le feu aux poudres: l’attitude du patronat luxembourgeois. Confronté au renchérissement de la main-d’œuvre imposé unilatéralement par les autorités allemandes, il refusa de jouer le jeu. Les salaires versés fin septembre étaient censés être majorés rétroactivement. Dans bien des cas, ils ne le furent pas, alors que l’augmentation des prix était déjà effective.

L’entreprise sidérurgique Arbed annonça qu’elle allait non seulement réduire les primes d’encouragement mais également son personnel. Un millier d’emplois devaient être supprimés et 250 salariés de l’usine Terres-Rouges perdirent effectivement leur emploi. Dans le Sud du pays, la colère commença à monter, comme le nota avec inquiétude un agent du SD dans un rapport:

„Die Stimmung in Esch und der näheren Umgebung ist dermaßen gespannt, dass es nach der Ansicht deutschgesinnter Kreise nur des geringsten Anlasses zu deutschfeindlichen Kundgebungen bedarf. Es ist bereits jetzt schon so weit, dass auf der Straße gerufen wird: „Nicht „Heil Hitler“ sondern „Heil Moskau“ muss es heißen!“ Am vergangenen Sonnabend, dem 12.10.40, wurden gelegentlich einer Kundgebung der VdB in Esch auch gegen Mitglieder derselben, die sich am Bahnhof formierten [sic!], mehrere Pistolenschüsse abgegeben.“

Les mineurs de Rodange se mettent en grève

Dans les entreprises minières, il n’y eut pas de réduction d’effectifs mais une nouvelle réduction du temps de travail. Contraint de travailler à temps partiel, un mineur qui, avant la guerre, gagnait en moyenne 1.800 francs par mois n’en gagnait plus désormais que 1.300 ou 1.400 ce qui, au vu de l’augmentation des prix, lui permettait à peine de nourrir sa famille.

La conséquence directe fut une chute de la productivité horaire de l’industrie sidérurgique. Il y eut aussi des débrayages. Fin octobre, 120 des 160 mineurs de la galerie Doihl à Rodange se mirent en grève. Non seulement leur entreprise avait refusé de procéder à l’augmentation fin septembre mais elle refusa de nouveau à la fin octobre. Le SS-Sturmbannführer Nölle, chef de l’appareil de répression nazi au Luxembourg, dut intervenir en personne. Il ordonna aux mineurs de reprendre le travail s’ils voulaient éviter des ennuis avec ses services mais critiqua aussi vivement leurs employeurs qu’il tint pour responsable de la situation.

Si les mineurs se remirent au travail, la tension mit du temps à tomber. Mais surtout, la dynamique qui avait permis à la VdB d’accroître rapidement ses effectifs était irrémédiablement brisée. Le mouvement pro-allemand comptait plus d’un millier d’adhérents avant même que le Gauleiter n’arrive au Luxembourg. Début septembre, ils étaient 6.000, début octobre près de 9.500! Mais à ce moment-là, le nombre d’adhérents cessa tout à coup de croître. Incapable de séduire une majorité de la population, le Gauleiter Simon adopta alors une politique répressive.