L’histoire du temps présentEsch ville verte – Une expo autour du plan Stübben

L’histoire du temps présent / Esch ville verte – Une expo autour du plan Stübben
Esquisse de plan d’urbanisme pour la ville d’Esch-sur-Alzette, dessinée comme avant-projet par Josef Stübben (Münster i. W., août 1924) Photo: Service du développement urbain de la ville d’Esch-sur-Alzette

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Esch-sur-Alzette il y a cent ans: avec la construction de la gigantesque Adolf-Emil-Hütte (1909-1912) par la Gelsenkirchener Bergwerks-AG, la ville se retrouvait encerclée par trois usines, au sud (Brasseurschmelz rebaptisée Usine de Terre Rouge en 1919), à l’est (Metzeschmelz renommée Usine Arbed Esch en 1912) et à l’ouest (Adolf-Emil-Hütte devenue Usine de Belval en 1919) ainsi que par des mines de fer au sud.

La ville risquait d’être étouffée par l’emprise de l’industrie en 1924: les trois usines occupaient une superficie de 260 ha, le double de la superficie du reste de la ville (125 ha). La seule possibilité d’extension de la ville se situait au nord de l’agglomération.

A Esch, les premières élections communales au suffrage universel pour hommes et femmes d’octobre 1920 ont conduit à un renouvellement presque complet de l’élite politique locale, au profit du parti socialiste et du parti de la droite. Le cheminot socialiste Victor Wilhelm (1886-1967) est député-maire de la ville de 1920 à 1934, à partir de 1924 dans une coalition avec le parti de la droite. Le programme de cette nouvelle élite est un programme social. La ville devient, à côté des entreprises sidérurgiques et de la Société nationale des habitations à bon marché, un acteur clé en matière de construction de logements, mais aussi d’infrastructures sur le plan sanitaire (nouvel hôpital) et scolaire (nouvelles écoles primaires et secondaires).

Les responsables communaux souhaitent d’une part maîtriser le développement urbanistique d’une ville industrielle en plein essor tout en se souciant de la qualité de vie d’une population avant tout ouvrière. D’autre part, entourée par des sites industriels polluants et orpheline de son „Escher Bösch“ ou bois du Clair-Chêne, presque complètement rasé par la construction de l’Adolf-Emil-Hütte, il faut que la ville se donne les moyens de s’aérer. Ou comme l’expriment les responsables du Service des bâtiments en 1924 devant le conseil communal: „Dans le cas d’une éventuelle extension de la zone urbaine, un intérêt particulier devrait être accordé aux espaces verts, car les zones ouvertes et vertes peuvent être décrites comme les ,poumons‘ d’une ville moderne.“

Josef Stübben, sa philosophie, son plan

Voilà pourquoi les responsables communaux recourent aux services de l’éminent urbaniste allemand Josef Stübben (1845-1936), ancien Stadtbaumeister d’Aix-la-Chapelle et de Cologne, en vue de l’élaboration d’un plan général d’extension, équivalent à cinq fois la surface bâtie (hors industrie) de la ville de l’époque. Cet urbaniste était déjà connu au Luxembourg pour avoir développé au début du 20e siècle les plans d’urbanisation du Plateau Bourbon et du Limpertsberg à Luxembourg-ville.

Stübben prévoit un agrandissement de la ville vers le nord de 290 ha pour une population de 36.000 habitants, qui s’ajouteraient aux 27.000 habitants de la ville de 1924, créant à long terme une agglomération de plus de 60.000 habitants. Les grandes lignes du plan Stübben, officiellement approuvé en avril 1925, ont guidé la planification urbaine à Esch-sur-Alzette jusque dans les années 1950, puis à nouveau depuis les années 1980.

En s’inspirant des conceptions artistiques anglaises des 18e et 19e siècles, et notamment des jardins paysagers, ainsi que des théoriciens de l’urbanisme Camillo Sitte (1843-1903) et Karl Henrici (1842-1927), Stübben voulait joindre l’agréable à l’utile, le beau au pratique, en créant des plans urbains pittoresques, basés sur la diversité et la variété, des villes aérées et vertes.

Présentons quelques éléments essentiels qui se dégagent du plan Stübben pour Esch-sur-Alzette.

Comme le montrent les parties en gris du plan, les sites industriels (usines, mines, crassiers, cimenterie) forment de loin la majeure partie de la ville de 1924-25. Stübben propose de contrebalancer ces grandes aires industrielles par des espaces verts, des allées d’arbres, des chemins bordés de verdure et des constructions aérées, en créant une ville verte qui s’inspire de l’idéal des cités-jardins anglaises.

Au parc du Gaalgebierg et à l’espace vert du cimetière St-Joseph viendront s’ajouter de nouveaux poumons: 1) Les vestiges du bois de Clair-Chêne sont à développer le long de l’usine de Belval, pour former également un petit parc. 2) Un axe vert transforme l’espace autour du Dipbach en parc public, et promenade qui traverse la ville d’est en ouest, de l’usine d’Arbed Esch à celle de Belval: un „aménagement paysager d’une beauté inhabituelle“ (Stübben en 1927). 3) Un pendant du parc municipal du Gaalgebierg est projeté à la limite nord de la ville en aménageant le Lankhëlzerbësch. A côté de ces trois nouveaux parcs, Stübben prévoit d’autres îlots verts: 4) Un réseau de voies vertes („parkways“) pour piétons et cyclistes (d’une longueur de 6 km), certaines bordées d’arbres, est à aménager. 5) De nombreuses aires de jeux, de sport et de rencontre (Spielwiese, Sportwiese, Volkswiese) se trouveront à l’intérieur ou à côté des lotissements. 6) De petits parcs et espaces verts sont prévus près et autour des nouveaux bains municipaux, des écoles, des grandes places, du château Berwart, du nouvel hôpital. 7) Le nouveau cimetière de Lallange sera lui aussi aménagé en parc.

Dans son plan d’extension, Stübben place les bâtiments publics – églises, écoles, bains municipaux, grande halle, d’autres bâtiments aux fonctions encore à définir – sur des terrains privilégiés et des emplacements spacieux, dans l’axe visuel des rues, à proximité d’espaces verts et valorisés par de belles places. Toujours avec le souci de créer des perspectives variées.

Pour favoriser au maximum la pénétration de lumière, d’air et de soleil, Stübben préconise des groupes de logement en blocs ouverts ou semi-ouverts et en petits ensembles, à faible densité. Ces lotissements comportent des jardins, disposent d’aires de jeux à proximité et sont conçus comme des espaces de rencontre.

Un plan d’une actualité brûlante

En 1924-1925, Josef Stübben a, par son plan d’extension, réinventé la ville d’Esch-sur-Alzette d’après ses principes: espaces verts, air et lumière. Une exposition au Bridderhaus (1, rue Léon Metz) à Esch, inauguré avant-hier, permet maintenant de le redécouvrir du 18 juin au 15 septembre 2022: „L’invention d’Esch-sur-Alzette: Josef Stübben et les architectes de la ville“. A côté du plan Stübben pour Esch, exposé pour la première fois, et d’une grande photographie aérienne de la ville d’aujourd’hui, les dessins originaux de nombreux architectes eschois qui ont participé, par les bâtiments publics et les maisons d’habitation ou de commerce qu’ils ont conçus, à l’embellissement de la métropole du fer, sont au centre de cette exposition qui permet de découvrir d’une façon inédite le riche patrimoine architectural et urbain de la ville d’Esch-sur-Alzette. Je vous invite à venir au vernissage qui a lieu aujourd’hui à 17 heures.

Face à l’urgence environnementale et au besoin de créer des villes décarbonées donc vertes, la redécouverte et l’étude du plan d’extension réalisé par Josef Stübben pour la ville d’Esch-sur-Alzette en 1924-1925 sont d’une actualité brûlante. En 1924, les responsables ont su, par le choix d’un urbanisme à dimension humaine, s’émanciper de l’emprise des sociétés sidérurgiques qui avaient jusque-là dominé la ville d’Esch. Aujourd’hui, le développement durable de la ville et de sa région transfrontalière exige des responsables politiques la même émancipation, afin de prendre les décisions urbanistiques actuelles et futures dans l’intérêt des citoyens et citoyennes eschois et non de promoteurs immobiliers.

Une exposition du Bridderhaus, du Luxembourg Centre for Contemporary and Digital History (C2DH) et du Lëtzebuerger Architektur Musée (LAM). Curateurs: Alain Linster (LAM), Denis Scuto (C2DH). Textes: Alain Linster, Denis Scuto, Manu Scuto. Direction artistique: Christian Mosar. Montage de l’exposition: Eric Schumacher.